Forums ■ Blogs ■ Toceur(euse)s  » Chat
La TocCyclopédie ■ Les Epoques
Apparitions du Gardien du Signe Jaune
Un commentaire (dernier de Rowainrrr) [826]
(Oscar Wilde a-t-il écrit le Roi en Jaune - 5ème)
Un sort plus funeste que la folie attend les protagonistes du « Signe jaune » et de« Cour du Dragon ». Car un personnage fait son apparition, et ne semble visible que pour celui qui a été touché par la pièce à l’abominable second acte.

« Mes yeux se tournèrent sans que je ne sache pourquoi vers le fond de l’église. L’organiste quittait son orgue et traversait la galerie pour sortir, je le vis disparaître par une petite porte menant à quelque escalier qui descendait directement dans la rue. C’était un homme mince au visage aussi blanc que son manteau était noir (…) Je fis un tour d’horizon. C’était le refuge idéal pour de surnaturelles horreurs (…) Les derniers rayons du crépuscule s’abîmaient le long de l’Arc de Triomphe. Je passais dessous, et le rencontrai face à face. Je l’avais quitté loin au bas des Champs-Elysées, et à présent il arrivait avec le flot des gens qui s’en revenaient du Bois de Boulogne. Il passa si près qu’il me frôla. Sa forme mince et dépenaillée sous son manteau noir inspirait le métal. Il ne montra ni hâte ni fatigue, ni aucun autre sentiment humain. Son être entier n’exprimait qu’une chose : la volonté, et le pouvoir de me rendre fou. (…) Mon regard flétri se fit d’une insondable colère, et je vis l’étoile noire suspendue dans les cieux : et les vapeurs moites du Lac de Hali firent frissonner mon visage. C’est alors que, loin, au-dessus des vapeurs d’un cyclone, je vis la lune ruisseler d’embruns, et au-delà, les tours de Carcosa s’élevèrent derrière elle. La Mort et la demeure affreuse des âmes perdues où ma miséricorde l’avait envoyé il y a bien longtemps, avait donné le change à quiconque sauf à moi. Et à présent, j’entendais sa voix qui s’élevait, enflant, grondant à mesure que s’embrasait la lumière, et comme je tombais, son éclat peu à peu augmentait, augmentait, se déversant sur moi en langues de flammes. Alors que les profondeurs m’engloutirent, j’entendis le Roi en Jaune chuchoter à mon âme: « C’est une chose affreuse que de tomber dans les mains du Dieu vivant ! » (Dans la Cour du Dragon, traduction originale).
Carcosa, nous l’aurons compris, est semblable au Monde des morts – morts adorant malgré tout un « Dieu vivant ». Une figure similaire à celle de cet organiste dépenaillé apparaît dans « Le signe jaune » qui marqua tant Lovecraft. Après avoir croisé un fossoyeur inspirant dégoût et putréfaction, le narrateur de ce récit commence à ressentir les signes d’une profonde agitation.

« Un certain temps, je me retournai dans mon lit en essayant d’occulter le son de sa voix de mon esprit, en vain. Ce grommellement m’entêtait, comme la fumée épaisse et huileuse d’une cuve à graisse ou l’odeur d’une nuisible déchéance. Alors que je gisais, vaincu, la voix me sembla devenir plus distincte, et je commençai à comprendre les mots qu’il grommelait. Ils vinrent à ma compréhension lentement, comme si je les avais oubliés, et je pus enfin leur donner sens. C’était ceci :
« Avez-vous trouvé le Signe Jaune ? »
« Avez-vous trouvé le Signe Jaune ? »
« Avez-vous trouvé le Signe Jaune ? »
J’étais furieux. Qu’insinuait-il par là ? En le maudissant lui et les siens, je me retournai et m’endormis, mais quand je m’éveillais plus tard j’avais l’air pâle et hagard …»

C’est après avoir lu la pièce, par « solidarité » pour sa compagne, (voir l’extrait cité auparavant) que réapparaît le fossoyeur.
« La maison était silencieuse, et aucun son des rues embrumées ne venait briser ce silence. Tessie était allongée sur les coussins, son visage faisait une tâche grise dans la pénombre, mais ses mains tenaient fermement les miennes et je savais qu’elle savait et lisait mes pensées comme je lisais les siennes, car nous avions compris le mystère des Hyades et que le Spectre de la Vérités’étendait sur nous. Comme nous nous répondions mutuellement, rapidement, silencieusement, d’une pensée à l’autre, les ombres nous recouvrirent d’avantage, et du lointain des rues alentours nous parvînt un son. Alors qu’il s’approchait, en de mornes craquements de roue, de plus en plus proche, jusqu’à cesser juste derrière la porte vers l’extérieur, je me traînais jusqu’à la fenêtre pour découvrir un corbillard empanaché de plumets noirs. Le portail au-dessous s’ouvrit et se ferma, et je rampais en tremblant pour barricader ma porte, bien que je sus qu’aucun verrou, qu’aucune serrure, ne saurait nous prémunir d’une telle créature, elle qui provenait du Signe Jaune. A présent je l’entendais qui s’avançait doucement dans le couloir. Maintenant il était à la porte, et les verrous pourrirent à son contact. Alors il entra. Les yeux exorbités je scrutais les ténèbres, mais quand il entra dans la pièce je ne le vis point. Ce n’est que lorsque je sentis qu’il m’enveloppait de sa poigne molle et froide que je hurlais et me battis comme un forcené, mais mes mains ne m’étaient d’aucun secours, et il arracha le collier d’onyx de mon manteau et me frappa en plein visage. Alors, comme je tombais, j’entendis Tessie pleurer doucement avant que son esprit ne rejoignît Dieu, et alors même que je sombrais je me languissais de la rejoindre, car je savais que le Roi en Jaune avait ouvert son manteau déguenillé et qu’il n’y avait plus qu’à implorer le Christ. »(Le signe jaune – traduction originale)
Spectre de la Vérité ou Gardien du Signe Jaune, cette créature semble entretenir des rapports très proches avec l’étranger masqué de la pièce, voire avec le Roi en Jaune lui-même.
Oscar Wilde a-t-il écrit "Le roi en jaune" ?(4eme)
Un commentaire (dernier de Rowainrrr) [1030]
Autopsie du "Roi en Jaune" (suite...)
b) Les effets de la lecture du « Roi en jaune ».
- Effets psychologiques :
Les différentes nouvelles vont jouer plus ou moins habilement avec les circonstances de cette lecture. Dans « Cour du Dragon », on ne sait rien de celles-ci :

« J’étais usé par trois nuits de souffrance physique et de troubles mentaux : la dernière ayant été la pire, et c’était un corps extenué, et un esprit engourdi et fragile, que je traînais en cure jusqu’à ma paroisse. Car je venais de lire « Le Roi en jaune ». (Cour du Dragon – traduction originale)

Deux autres cas relèvent du hasard, les narrateurs respectifs du « Signe jaune » et du « Masque » tombent sur la pièce maudite en piochant au hasard (?) parmi d’autres livres.
« J’étais sur le point de retourner à la salle à manger lorsque mes yeux tombèrent sur un ouvrage relié en jaune dans le coin le plus haut des rayonnages. Je ne m’en rappelait pas et d’en bas je ne pouvais pas déchiffrer les lettres pales du titre, j’allai au fumoir où j’appelais Tessie. Elle arriva de l’atelier et grimpa pour atteindre le livre.
« Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je.
« Le Roi en jaune ».
J’étais abasourdi. Qui l’avait placé là ? Comment était-il arrivé chez moi ? (…) J’observais la couverture jaune comme s’il s’agissait d’un serpent venimeux.
« Ne le touche pas, Tessie, » dis-je. « Descend. »
Bien entendu mon avertissement suffit à éveiller sa curiosité, et avant que je ne puisse l’en empêcher, elle emporta le livre et dansa avec lui en riant dans tout l’atelier. Je l’appelais, mais elle s’échappa de mes mains impuissantes avec un sourire persécuteur, et je ne pus que la poursuivre avec quelque impatience.
« Tessie ! » m’écriai-je en entrant dans la bibliothèque, « Ecoute, je suis sérieux. Débarrasse-toi de ce livre. Je ne souhaite pas que tu l’ouvres. » (…) Je ne la découvris qu’une demi-heure plus tard, prostrée, pâle et silencieuse sous la fenêtre treillissée de la réserve. Du premier coup d’œil, je compris qu’elle avait été punie de sa bêtise. « Le Roi en jaune »gisait à ses pieds, ouvert au deuxième acte. En voyant Tessie je sus qu’il était trop tard. Elle avait ouvert « Le Roi en jaune ». Je la pris alors par la main et la mena dans l’atelier. Elle avait l’air hébété, et quand je lui dit de s’étendre sur le sofa elle m’obéit sans mot dire. Après quelques temps elle ferma les yeux et sa respiration devînt profonde et régulière, mais je ne pus déterminer si elle dormait ou non. Je m’assis silencieusement à ses côtés pour un long moment, mais elle ne parla pas ni ne fit aucun bruit, alors je me levai et pénétrai dans la réserve inusitée pour m’emparer du livre jaune (…) Il semblait lourd comme du plomb, mais je le rapportais à l’atelier et m’assis sur le tapis près du sofa, pour l’ouvrir et le lire du début à la fin.
Quand, terrassé par l’excès d’émotions, je lâchai le volume et m’appuyai lourdement contre le sofa, Tessie ouvrit les yeux et me fixa."
( Le signe jaune– traduction originale)
Une couverture jaune, un deuxième acte à la pièce. L’extrait suivant nous offre encore quelques éléments supplémentaires sur la pièce :
« Me saisissant d’un livre au hasard, je m’installais à l’atelier pour lire. Pour mon malheur, je venais de trouver « Le Roi en Jaune ». (…)La dernière chose dont je me souvienne avec distinction était la voix de Jack demandant : « Par le Ciel, docteur, qu’est-ce qui l’afflige ainsi, pour qu’il ait un tel visage ? » et je pensai alors au Roi en Jaune et au Masque Blême. (…) Je vis alors le Lac de Hali, étroit et vierge de toute ondulation que le vent aurait pu remuer, et je vis les tours de Carcosa derrière la lune. Aldebaran, les Hyades, Alar, Hastur, glissant à travers les nuées qui battaient et claquaient tels les guenilles du Roi en Jaune. » (Le masque, traduction originale).
Voici nommé le masque dont ne peut s’affranchir l’étranger : le masque blême (« Pallid mask »). Est-ce de faire porter ce masque que menace le Roi en Jaune lorsque Cassilda s’écrie « Pas sur nous, ô Roi » ? Dans cette nouvelle, ce masque est avant tout celui allégorique qu’arbore un narrateur au plus profond d’une dépression nerveuse ; le masque d’une non-vie, mais pas encore celui d’un mort.

Voici aussi poétiquement définie l’infinie distance qui nous sépare de Carcosa, dont les tours s’élèvent derrière la Lune, et nommé tout autant le lac qui semble border Carcosa : le Lac de Hali, reprenant là encore un élément de Bierce. Voici enfin cité parmi d’autres noms - ceux des constellations déjà remarquées, puis Hastur, toujours emprunté à Bierce, et Alar - lieu ou chose, rien ne nous éclaire encore à ce sujet.




Tous les postes!
Archives
    Juin 2017
    Avril 2013
    Avril 2007
    Octobre 2005
    Septembre 2005
    Juin 2005
    Décembre 2004
    


L'Appel de Cthulhu 7e Édition est copyright © 1981, 1983, 1992, 1993, 1995, 1998, 1999, 2001, 2004, 2005, 2015 de Chaosium Inc.; tous droits réservés. L'Appel de Cthulhu est publié par Chaosium Inc. « Chaosium Inc. » et « L'Appel de Cthulhu » sont des marques déposées de Chaosium Inc. Édition française par Edge Entertainment.
Merci à Monsieur Sandy Petersen !
Tous les matériels trouvés sur ce site sont la propriété de leurs auteurs respectifs. Toute utilisation de ressource trouvée ici est régie par les Creative Commons. Logo & Déco intérieure par Goomi
Pour toute question quant à leur utilisation, contactez-nous: .