Une femme est suivie par un psychiatre aux méthodes étranges, ce qui inquiète son mari...
Après le film d'horreur Rage (1977), réalisé pour la petite compagniecanadienne Cinépix, David Cronenberg abandonne temporairement le fantastique pour tournerFast company (1979), une fiction consacrée au milieu du sport automobile,discipline qui le fascine depuis son plus jeune âge. Ce film sportif a été tournégrâce à des dispositions fiscales mises en place par le gouvernement canadien,extrêmement favorables à la production cinématographique. Des investisseurs, ignorantsouvent tout du cinéma, se bousculent alors pour trouver des projets à financer.Cronenberg est très avantagé par cette situation, d'autant plus que les réalisateurscanadiens n'étaient alors guère nombreux. Après Fast company, il revient àl'épouvante avec Chromosome 3 qui, grâce à cette fiscalité particulière,permet à son réalisateur de travailler avec le budget le plus élevé jamais mis à sadisposition jusqu'alors (1,5 millions de dollars canadiens). Il bénéficie de laprésence de deux acteurs de carrure internationale : Oliver Reed (La nuit duloup-garou (1961) de Terence Fisher, Les diables (1971) de Ken Russell...)et Samantha Eggar (L'obsédé (1965) de William Wyler, Le droit de tuer(1980) de James Glikenhaus...). Le rôle principale est interprété par un canadien : ArtHindle (Black Christmas (1975) de Bob Clark, L'invasion des profanateurs(1978)...). Sur Chromosome 3 œuvrent aussi des collaborateurs de Cronenbergappelés à travailler encore souvent avec lui, comme le compositeur Howard Shore (qui aécrit la partition du récent Spider (2002)...), la directeur artistique CarolSpier (Le festin nu (1991)...) ou le chef-opérateur Mark Iwins (Vidéodrome(1982)...).
En s'appuyant sur la révélation progressive des méthodes du docteur Raglan, Chromosome3 bénéficie d'un excellent et très original argument de science-fiction. Selon cesavant, les souffrances psychologiques et physiques sont inextricablement liées. Enplaçant ses patients dans des situations de stress extrême, en les confrontant ànouveau à leurs traumatismes les plus profonds (notamment grâce à des techniquesproches du jeu de rôles), il provoque en eux l'apparition de symptômes physiologiques(tumeurs...), se manifestant à la manière des maladies psychosomatiques, c'est-à-direcomme la conséquence d'une souffrance mentale si forte qu'elle en vient à nuire aufonctionnement normal de leur organisme. Les malades soignés par Raglan se couvrent doncde boutons et d'étranges protubérances, manifestations externes de leurs souffrances lesplus profondes. Toutefois, Nola Carveth a subi des traumatismes d'une telle violence quela prise en charge de son mal va tourner à une expérience difficilement contrôlable. Onn'en dira toutefois pas plus, afin de conserver intact le suspens de ce récit qui ne sedénoue vraiment que dans les dernières minutes... Cronenberg poursuit, defaçon rigoureuse, l'exploration d'idées déjà proposées dans Frissons (1975)et Rage : un mal étrange et incontrôlé, fruit de recherches scientifiquesimprudemment menées, provoque des mutations, donnant lieu à des images-chocs étonnanteset à des morts brutales. L'influence réciproque entre les changements de l'esprit etceux du corps seront, bien sûr, présents dans de nombreux autres films de Cronenberg,comme La mouche (1986), par exemple.
Au-delà d'un film de science-fiction horrifique, Chromosome 3 est aussi undrame familial, mettant en scène des personnages et des situations autrement plusétoffées que dans Rage. Cronenberg avoue s'être inspiré de sa propre vie, etparticulièrement de sa séparation d'avec sa première femme. Celle-ci comptait rejoindreune communauté en Californie en emportant, avec elle, leur fille Cassandra. DavidCronenberg a néanmoins réussi à garder la fillette auprès de lui. Le combat douloureuxet traumatisant d'un père pour la garde de son enfant, ainsi que le déferlement de haineque cela entraîne entre les deux parents, sont bien le cœur de Chromosome 3,particulièrement dans son dénouement. Toute cette composante du récit estremarquablement rendue par la très bonne interprétation de Art Hindle et, surtout, parcelle, stupéfiante, de Samantha Eggar (qui n'est pourtant restée que trois jours sur cetournage). Saluons aussi, au passage, la performance impeccable d'Oliver Reed,particulièrement impressionnant dans les séances de "jeu de rôles".
La réalisation de David Cronenberg gagne nettement en rigueur par rapport à Rage.Au diapason de l'univers aseptisé, neutre, lisse et contemporain dans lequel évoluentles personnages, elle se caractérise par une rigueur froide et un découpage certesélégant, mais laissant peu de place à la subjectivité et à l'émotion. Cet univers etce style s'affirmeront encore plus nettement dans Scanners (1981), le filmsuivant de Cronenberg, supposé se dérouler dans un futur proche.
On peut pourtant regretter que Chromosome 3 souffre tout de même d'une certainelenteur et mette bien du temps à révéler quelques uns de ses enjeux principaux.L'ensemble donne parfois l'impression de manquer de rythme, voire de moyens financiers ettechniques. Si le dénouement contient son lot de visions étonnantes, le reste du filmparaît peut-être trop retenu et trop sage.
Chromosome 3, si il n'est peut-être pas le chef-d'oeuvre de Cronenberg, n'enreste pas moins un bon film, réalisé avec un soin et un sens de l'ambiance typiques deson auteur. L'approche originale et très personnelle de la science-fiction en fait aussiune oeuvre singulière qui intéressera, sans doute, les amateurs de Delta Green.Toujours grâce aux spécificités du système fiscal canadien, Cronenberg aura accès unbudget encore plus important pour son film suivant, Scanners, qui connaîtra untrès beau succès, notamment aux USA, et installera définitivement la renomméeinternationale de son réalisateur.
Bibliographie consultée :