Au XIIème siècle, en Italie, un village est décimé par l'épidémie de la mort rouge. Prospero, le cruel seigneur régnant sur la région, décide de s'enfermer avec ses courtisans dans son château afin de se protéger de la maladie. Il organise un grand bal masqué pour divertir ses convives...
Après La malédiction d'Arkham (1963), l'américain Roger Corman s'octroya une pause en tournant en Yougoslavie (Croatie) L'invasion secrète (1964), un sympathique film de guerre interprété par Stewart Granger (Scaramouche (1952)...), qui influença sans doute le réalisateur Robert Aldrich pour son film Les douze salopards (1967). Puis Corman revient, avec Le masque de la mort rouge, à sa série des adaptations d'Edgar Poe, amorcée avec La chute de maison Usher (1960) et dont cette oeuvre est le septième volet. Contrairement à ses prédécesseurs, ce film ne sera par tourné aux USA, mais en Grande-Bretagne. La plupart des collaborateurs ayant travaillé avec Corman sur ce cycle sont présents : on retrouve le directeur artistique Daniel Haller (La petite boutique des horreurs (1960) de Roger Corman...) ; le scénariste Charles Beaumont (L'enterré vivant (1962)...) ; les acteurs Hazel Court (La chute de la maison Usher...) et, évidemment Vincent Price (La chambre des tortures (1961)...). Pourtant, de nouveaux talents sont recrutés en Angleterre : le compositeur David Lee ; le chef-opérateur Nicolas Roeg (qui allait devenir un fameux réalisateur de cinéma fantastique avec Ne vous retournez pas (1973), L'homme qui venait d'ailleurs (1976)...) ; Patrick Magee (qui avait déjà joué dans un film de Corman, The young racers (1963),sans aucun rapport avec le cycle Poe...) et Jane Asher (Le succès à tout prix (1984) de Jerzy Skolimowski...).
Pour Le masque de la mort rouge, Corman va tenter de renouveler l'esthétique de son cycle sur Poe. Le récit, situé en plein moyen-âge italien, tourne le dos à l'atmosphère gothique dans laquelle baignait La chute de la maison Usher, L'enterré vivant ou La malédiction d'Arkham. On rejoint plutôt l'inspiration médiévale extravagante de La chambre des tortures (se déroulant au temps de l'inquisition espagnole) ou de Le corbeau. Pour Le masque de la mort rouge, Corman avouera avoir été surtout impressionné par les contes médiévaux du suédois Ingmar Bergman, qui avaient connu un retentissement international, comme La source (1960) et, surtout, Le septième sceau (1957). C'est à l'évidence cette dernière oeuvre qui a, ici, le plus influencé Corman. Ainsi, par exemple, un grand personnage énigmatique, vêtu d'un robe rouge, incarnant la Mort, joue avec un jeu de tarot, alors que dans Le septième sceau, la Mort jouait aux échecs avec un chevalier dans une Europe ravagée par la peste. D'autre part, à travers le portrait de Prospero, aristocrate intellectuel, raffiné et cruel, qui fait plus penser à un prince de la Renaissance toscane du XVème siècle qu'à un seigneur du moyen-âge, Corman tente d'établir des rapprochements avec Sade (dans son château, Prospero organise des jeux cruels et pervers pour son divertissement, et tente de corrompre la vertueuse paysanne Francesca). On pense encore à Freud (avec une séquence onirique, vaguement érotique, à la clé), Nietzsche ("Ton Dieu est mort il y a longtemps !" clame Vincent Price), et même un peu Marx (avec une lutte des classes très marquée au début du film). On voit donc que Corman tente, avec une certaine ambition, de réconcilier un cinéma d'horreur d'essence populaire (on y rencontre ainsi des combats à l'épée, des messes noires...) à un style de film plus auteurisant et bourgeois.
Hélas..., le mélange ne prend pas très bien. Sans doute la faute en incombe à un scénario très lent, mal fichu, mêlant des personnages et des intrigues secondaires (Juliana, l'histoire de Hop frog, les paysans...) de manière confuse et peu efficace. N'échappant pas au piège des lourdes allégories, avec sa mort rouge théâtrale et sentencieuse, le script se permet encore d'assommer le spectateur en faisant réciter à Vincent Price de longs discours philosophiques, à la fois prétentieux et naïfs. Certaines séquences se flirtent très ouvertement avec la nullité absolue : ainsi, Juliana, au cours d'une transe évoquant une psychanalyse de bazar, s'imagine accrochée nue sur un autel, tandis qu'un indien pré-colombien, un chinois, un zoulou et un prêtre égyptien, viennent la menacer de leurs longs couteaux dans des ralentis grotesques ! Le ballet des pestiférés est aussi assez risible. Il est généralement de coutume de s'extasier devant les qualités plastiques de Le masque de la mort rouge. Pourtant, l'ensemble, avec ses couleurs primaires vives et criardes, paraît tout de même un brin démodé, voire d'assez mauvais goût (la succession de chambres monochromes...). Néanmoins, certains décors impressionnent (l'escalier et ses chandeliers), et on peut parfois y voir un avant-goût de l'académie délirante du Suspiria (1977) de Dario Argento.
Certains passages s'avèrent réussis, se caractérisant par une tension qui fait bien défaut à l'ensemble du métrage : la fuite de Francesca à travers les pièces et les couloirs du château, après qu'elle ait découvert la chapelle sataniste, sans être très originale, est vraiment réussie ; le cruel jeu de la dague parvient à un certain suspens ; le récit inspiré par Hop frog est, certes, mal inséré, mais il est néanmoins assez réussi, notamment parce qu'il évite les lourdes prétentions philosophiques et démonstratives du reste du scénario. Enfin, Vincent Price est évidemment impérial dans le rôle du cruel Prospero, et c'est sans doute grâce à sa performance que l'ensemble décousu de Le masque de la mort rouge parvient à garder une certaine homogénéité : on l'admire particulièrement dans la scène de sa mort, au cours de laquelle l'aristocrate sûr de lui se décompose littéralement en prenant conscience de la vanité de ses certitudes.
Le masque de la mort rouge n'est donc pas une complète réussite, loin de là. Néanmoins, certaines séquences valent largement le coup d'oeil, tout comme l'interprétation de Vincent Price. Après ce film, Roger Corman tournera, encore en Grande-Bretagne, La tombe de Ligeia, le dernier volet de son cycle consacré à Edgar Allan Poe.