TocCyclopédie ■ Époques

Le professeur Markway, spécialisé dans l'anthropologie, est fasciné par le surnaturel. Il décide d'inviter des personnes sensibles aux phénomènes psychiques à passer plusieurs jours dans une maison réputée hantée, afin de provoquer l'apparition de fantômes...



Robert Wise est un réalisateur du cinéma américain de la seconde moitié du vingtième siècle. Si ses films les plus populaires restent ses célèbres comédies musicales (West side story (1961), La mélodie du bonheur (1965)...), il s'est essayé à la plupart des genres du cinéma populaire de Hollywood: le polar (Né pour tuer (1947)...), le western (Ciel rouge (1948)...), le péplum (Hélène de Troyes (1956)...), la science-fiction (Le jour où la terre s'arrêta (1951)...)... Mais c'est avec l'horreur que ce monteur de la compagnie RKO (il a ainsi travaillé à ce poste sur Citizen Kane (1941) et La splendeur des Amberson (1942) d'Orson Welles) accède au rang de réalisateur professionnel, avec Le récupérateur de cadavres (1945), La malédiction des hommes chats (1944) et A game of death (1945) (remake de Les chasses du comte Zaroff (1932) de Ernest B. Schoedsak). En 1963, il part en Angleterre tourner un film de maison hantée avec des comédiens comme Julie Harris (A l'est d'Eden (1955) d'Elia Kazan...), Richard Johnson (L'enfer des zombies (1979) de Lucio Fulci...) ou Russ Tamblyn (West side story, la séie TV Twin Peaks (1989) de David Lynch...).
La maison du diable joue très habilement sur l'atmosphère et la suggestion pour effrayer le spectateur. Pour cela, il bénéficie d'un magnifique décor avec cette maison aux parois chargés de motifs gothiques et de moulures compliquées. La géométrie de ces murs est absurde, destinée à mettre mal à l'aise le visiteur : le spectateur Lovecraft-ophile sera tenté de comparer cette architecture déstabilisante aux inclinaisons "non euclidiennes" de l'île de R'lyeh. Pour animer ce décor d'une vie propre, Robert Wise recourt à l'usage d'objectifs légèrement déformants (courte focale entre autres), qui, combinés à des mouvements de caméras décrivant des portions de cercle (panoramiques notamment) et au format cinémascope, donnent une impression d'enveloppement mystérieux et menaçant des personnages. L'utilisation extrêmement subtile des éclairages et des ombres vont aussi permettre de donner imperceptiblement vie à des figures de pierre ou de bois. Mais l'atmosphère est aussi affaire de son : ils peuvent être violents (les pulsations de la force maléfique arpentant les couloirs de la maison) ou incroyablement bas, à la limite de l'imperceptible (les chuchotements et les rires d'enfants qu'Eleanor croit percevoir dans le silence de la nuit). Ce ne sont là que quelques exemples de l'inventivité dont fera preuve Wise : il utilise une gamme de mouvements de caméra incroyablement variée et surprenante. Malgré toutes les prouesses techniques et les innovations de sa réalisation, La maison du diable parvient à donner une implacable impression de rigueur et de maîtrise, de la première à la dernière image. Ainsi, jamais un effet gratuit ou malvenu ne vient briser l'homogénéité de la narration.

La plus grande force de ce film reste néanmoins la peinture du personnage d'Eleanor Lance, interprété génialement par Julie Harris. Cette jeune fille solitaire a passé onze ans de sa vie à prendre soin de sa mère malade et cruelle, sans aucune trêve. Puis, elle devra ensuite vivre dans l'appartement familial envahi par la famille de sa sœur, qui lui reproche de s'être mal occupé de sa mère. Infantilisée, écrasée par un sentiment de culpabilité suite à la mort de sa mère, Eleanor n'a pas eu un moment de son existence à elle. Sa vie lui a été tout simplement volé par sa famille, qui en a fait une garde-malade par paresse et égoïsme. Solitaire, elle vit en permanence dans la peur. Peur d'aller vers les autres, vers l'extérieur, par exemple : littéralement prisonnière dans l'appartement de sa famille, le seul fait de quitter sa ville pour aller rejoindre un groupe d'étrangers est déjà une aventure terrifiante. Elle avoue aussi sa peur de l'isolement, d'être rejetée. Ainsi, elle a peur du regard des autres, peur qu'on la prenne pour une folle, ce qui est aussi la conséquence d'une des terreurs les plus abjectes : la peur de soi-même, l'absence de confiance en soi inculquée par un entourage familial égoïste. La possibilité d'aller passer un séjour dans cette maison hantée avec des inconnus est pour elle porteur d'un immense espoir : elle va enfin avoir la possibilité de se bâtir un espace de liberté, d'aller vers des gens qui vont l'aborder sans préjugés. Peut-être même pourrait-elle trouver l'amour?...

Eleanor est donc une personne ultra-sensible, susceptible d'être victime de toutes les hallucinations et de toutes les suggestions. Ainsi, quand elle apprend les légendes du castel, elle ne peut s'empêcher de rapprocher son histoire personnelle de celle de l'infirmière de la châtelaine, infirmière qui s'est pendue après que la vieille femme soit morte faute des soins nécessaires. Cette connection entre l'imaginaire d'Eleanor et celui de la maison vont encourager les pulsions suicidaires de la jeune femme.

Les autres personnages reclus dans la maison sont aussi décrits avec finesse. Ainsi le personnage de l'homosexuelle affiche une complète confiance en soi et une agressivité parfois provocante pour mieux se protéger contre les blessures et les moqueries. Le professeur, obsédé par le surnaturel, va transmettre son envie de croire aux fantômes à tous les membres du groupe. Quand au jeune châtelain, Luke, ce cartésien bon vivant finira lui aussi à succomber à la terreur provoquée par cette demeure maudite, car la peur de l'indicible et du mystérieux est susceptible de frapper même les personnes qui se croient complètement à l'abri des superstitions.

En quelques lignes, je n'ai pu qu'effleurer quelques pistes dans le contenu incroyablement riche de ce chef-d'oeuvre du cinéma fantastique. Comme les films des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma (Welles (Citizen Kane...), Eiseinstein (Ivan le terrible (1945)...) ou Visconti (Le guépard (1963)...), il allie une invention permanente dans le langage cinématographique et la profondeur du propos. C'est aussi un film qui fait très peur. Je ne peux d'ailleurs que vous encourager à le découvrir au cinéma, tant la subtilité des éclairages et le travail sur les décors sont importants. A chaque vision, le spectateur découvrira de nouveaux sujets de réflexion dans la description intelligente et sensible de l'âme solitaire d'Eleanor. La maison du diable est avant tout la peinture de l'horreur absolue : celle d'une vie gâchée.
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attention : chef d'oeuvre.
■ Randolph Carter 28/07/2004
Vous avez ici l'ambiance parfaite des Demeures de l'épouvante. Et ceci sans débauche d'effet spéciaux.

Chapeau bas.
Cthulien !!
■ Fab 01/08/2003
Un film à (re)découvrir d'urgence pour son atmosphère unique et lovecraftienne (la maison que se soit de l'extérieur ou de l'intérieur est splendide), sa réalisation impeccable et inventive (le travelling dans l'escalier de la bibliothèque par exemple), ses acteurs très bons (Julie Christie notamment est mémorable) et sa fin, noire, à l'image du film .
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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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