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En Suisse, au XIXème siècle : dans sa cellule, le baron Frankenstein tente de convaincre l'aumônier de la prison qu'il n'a pas commis les agressions pour lesquelles on va le guillotiner. Il prétend qu'il s'agit en fait de l'oeuvre d'une créature qu'il a créé lui-même, de toutes pièces...



A la fin des années 1940, les films d'horreur hollywoodiens basés sur les mythes mis en place par les productions de l'Universal (Frankenstein (1931) de James Whale, Dracula (1931) de Tod Browning, La momie (1933) de Karl Freund...) ont fini par décliner en des œuvres mineures, voire décadentes ou parodiques. Désormais, c'est la science-fiction qui fait la loi dans le cinéma fantastique, avec, par exemple, La guerre des mondes (1953) de Byron Haskin ou La planète interdite (1956) de Fred M. Wilcox. En Angleterre, la compagnie Hammer lance avec succès les aventures angoissantes du professeur Quatermass, savant affrontant des menaces extra-terrestres (Le monstre (1955) et La trace (1957) de Val Guest...). Ses producteurs veulent alors persévérer dans l'horreur et achètent les droits cinématographiques leur permettant d'utliser les monstres de l'âge d'or du fantastique américain des années 1930. Réalisé par Terence Fisher, qui avait déjà réaliséune bonne quinzaine de films auparavant, Frankenstein s'est échappé ! sera le premier fleuron de cette nouvelle vague d'épouvante. Énorme succès au niveau mondial, il va lancer toute une industrie de la peur dans le cinéma anglais des années 1960, rendre leurs popularités aux vieux mythes de l'horreur (notamment aux USA où on redécouvre les films Universal à la télévision) et installer la nouvelle esthétique du film d'horreur gothique (qui sera copiée, notamment aux Etats-Unis et en Italie). Le baron Frankenstein est interprété par Peter Cushing, acteur à la déjà longue carrière (Hamlet (1948) de Laurence Olivier par exemple...). La créature est jouée par Christopher Lee, qui travaillait lui aussi depuis assez longtemps. Ils allaient devenir des grandes vedettes de l'épouvante en général et de la Hammer en particulier. Bref, ce film est ce qu'on appelle "une date" !
Contrairement aux films hollywoodiens consacrés à ce mythe, Frankenstein s'est échappé! choisit délibérément de donner le premier rôle au docteur Frankenstein. Les apparitions du monstre sont donc relativement rares (bien que toujours impressionnantes) et sa personnalité est pour le moins embryonnaire : ce n'est en fait qu'une espèce de bête complètement ahurie, brutale et meurtrière, que n'effleurera jamais la moindre lueur d'intelligence ou d'humanité (contrairement au roman de Mary Shelley et aux œuvres américaines classiques, comme La fiancée de Frankenstein (1935) de James Whale...). Interprété par Christopher Lee, il n'est qu'une espèce de grande silhouette blanche désarticulée et hideuse.

Le personnage central est clairement le baron Frankenstein, dont on nous invite à suivre la formation intellectuelle et les travaux. C'est un savant extrêmement intelligent, sec, athée (il envoie balader le prêtre qui lui propose un peu de réconfort spirituel) et aussi très arrogant. Il va créer un homme monstrueux, bricolé à partir de plusieurs morceaux de corps humains, et lui donner la vie. Prêt à tout pour réussir ses travaux, conscient de leur importance, il ne se posera aucune limite dans ses méthodes : il n'hésitera pas à assassiner des personnes pour récupérer des organes hors du commun et en doter sa créature. Contrairement aux savants du roman original et des films américains, ce Victor Frankenstein ne va jamais à aucun moment se poser de questions morales ou se laisser ronger par les remords : convaincu qu'il agit pour le bien de l'humanité et que, ma foi, on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, il va maintenir jusqu'à la fin qu'il n'a, au fond, rien à se reprocher. On remarque aussi qu'il représente par bien des aspects un aristocratie cruelle et inhumaine, comme on la retrouvera souvent dans les films de Fisher (le début de La nuit du loup-garou (1961) par exemple), méprisant et traitant avec le plus grand dédain tout ce qui n'est pas de son rang (la bonne que Victor culbute entre deux portes, avant de la donner en pâture à la créature...). L'interprétation de Cushing est absolument extraordinaire : nettement moins effacé que ses prédécesseurs hollywoodiens, il tient le rôle du savant avec beaucoup d'énergie et de présence. Pour de nombreux amateurs, pas de doute, il est LE professeur Frankenstein.

Frankenstein s'est échappé! est avant tout connu pour avoir mis en place l'esthétique de l'épouvante de style gothique, appelée ainsi à cause de ses liens avec l'atmosphère mystérieuse des romans britanniques gothiques du XIXème siècle (Ann Radcliff, Mary Shelley...). Les décors sont ainsi très importants : bien qu'assez réduits (il ne s'agit pas d'une grosse production), ils installent tout un vocabulaire architectural de cryptes sombres, de manoirs aux façades ornés de galbes inquiétants et d'arcs-boutant obscurs, de cimetières ruinés et de laboratoires aux sinistres couvrements voûtés. Toutefois, la grande innovation va être l'introduction de la couleur dans un genre qui n'avait alors connu essentiellement que les nuances du noir et blanc. Le directeur de la photographie Jack Asher va mettre au point des éclairages fantastiques très évocateurs : la nuit est d'un bleu profond, le laboratoire est envahi de fioles multicolores, la créature en gestation marine dans un sordide bain de liquide verdâtre... Et surtout le rouge du sang éclate sur grand écran. Alors que, chez les productions Universal, l'horreur découlait surtout de l'atmosphère expressionniste et de l'interprétation des comédiens, la Hammer va faire monter le degré violence du cinéma d'horreur : on promène des mains coupées, des yeux arrachés, des cervelles juteuses ; on fait fréquemment usage d'un bain d'acide fumant pour se débarrasser des organes encombrants ; les cicatrices du monstre sont encore poisseuses... Ce goût de l'horreur et de la cruauté sera une des caractéristiques essentielles de ce nouveau style. L'épouvante gothique va ensuite essaimer à travers le monde et inspirer des réalisateurs italiens (Mario Bava avec Le masque du démon (1960)...) ou américains (Roger Corman et ses adaptations d'Edgar Poe...). On remarque d'ailleurs que Corman réalisera une adaptation (discutable) du roman L'affaire Charles Dexter Ward de Lovecraft à la sauce gothique, avec La malédiction d'Arkham (1963).

Certes, Frankenstein s'est échappé ! n'est pas encore aussi abouti que les meilleures œuvres de la Hammer : le budget étriqué semble limiter les possibilités des décors et de la réalisation. On peut aussi noter quelques petits bavardages longuets.Ce film bénéficie toutefois de la réalisation toujours très maîtrisée de Terence Fisher : classique, bien rythmée, efficace avant tout, elle parvient à combiner avec talent une narration solide et des effets d'atmosphère tout à fait réussis. Le scénario, solide, traite le genre avec beaucoup de sérieux et de respect. Cette œuvre est donc un vrai régal pour les amateurs de fantastique traditionnel et pour les fans d'atmosphère Gaslight, brumeuses à souhait.

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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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