Une femme, douée de pouvoirs paranormaux, a la vision d'un crime horrible. Cela lui permet de retrouver le cadavre d'une jeune femme, emmurée il y a plusieurs années de cela...
Avec L'emmurée vivante, Lucio Fulci fait son retour au thriller
horrifique, genre qu'il avait abandonné après le remarquable La longue
nuit de l'exorcisme (1972). Il écrit L'emmurée vivante avec
Dardano Sacchetti, scénariste très important du cinéma populaire italien des
années 1970 : c'est la première d'une longue série de collaborations entre
les deux hommes, qui
s'étalera jusqu'au milieu des années 1980. Mais Fulci peine à faire financer
la film. Heureusement, il obtient le soutien du producteur Fulvio Frizzi et le
projet finit par se monter. Le fils de ce producteur, Fabio Frizzi, participe à
l'écriture de la musique (il avait déjà oeuvré sur le western Les quatre
de l'apocalypse (1975) de Fulci), tandis que le chef-opérateur Sergio
Salvati assure la lumière. Pour la première fois, donc, l'équipe
Fulci-Frizzi-Sachetti-Salvati est réunie. Ils travailleront ensuite ensemble
sur la série des grands classiques de Fulci du début des années 1980 : L'enfer
des zombies (1979), Frayeurs (1980), L'au-delà (1981)... Pour
L'emmurée vivante, on parvient à réunir un prestigieux casting
international. Jennifer O'Neill avait percé avec le western Rio Lobo (1970)
de Howard Hawks et, surtout, la chronique sentimentale Un été 42 (1971)
de Robert Mulligan ; au milieu des années 1970, elle tourne quelques titres en
Italie, parmi lesquels L'innocent (1976), ultime film de Luchino Visconti
; puis elle retourne en Amérique du nord, et apparaît notamment dans Scanners
(1981) de David Cronenberg. L'acteur Marc Porel jouait aussi
dans L'innocent et interpréta de nombreux seconds rôles dans des films
français ou italiens des années 1970 : La longue nuit de l'exorcisme
de Fulci, Big guns (1973) de Duccio Tessari avec Delon, La venere di
Ille (1981) de Mario Bava.... Gabriele Ferzetti était un acteur transalpin important,
qui joua dans L'avventurra (1960) d'Antonioni, Il était une fois dans
l'ouest (1968) de Sergio Leone, le James Bond Au service secret de sa
majesté (1969)...
En 1972, La longue nuit de l'exorcisme est un beau succès, bien
que son exploitation se soit compliquée pour des raisons de censure. Fulci
a envie de persévérer dans le fantastique, genre qu'il apprécie beaucoup.
Pourtant, il retrouve ensuite Franco Nero, célèbre acteur de
western spaghetti qu'il avait déjà dirigé dans Le temps du massacre
(1966), pour un film plutôt familial : Croc-blanc (1973) d'après le
célèbre roman d'aventures de Jack London. C'est un succès, qui entraîne le
tournage d'une suite, par le même réalisateur et avec le même comédien : Le
retour de Croc-blanc (1974). Puis Fulci tourne Les quatre de l'apocalypse,
distribué en 1975, un western spaghetti, bien que le genre était alors
fortement sur le déclin. Le réalisateur se retrouve alors à nouveau à
tourner des comédies, genre dans lequel il avait été cantonné, un peu
malgré lui, pendant la plus grande part des années 1960 : Il Cav. Costante Nicosia demoniaco, ovvero : Dracula in
Brianza (1975), parodie le mythe des vampires. Puis, c'est la La
pretora (1976), comédie polissonne interprétée Edwige Fenech, reine du
genre en Italie. Fulci peut ensuite revenir à l'épouvante et au mystère avec L'emmurée
vivante, distribuée en Italie dès 1977...
L'emmurée vivante
Virginia est une femme douée de pouvoirs de voyance. Ainsi, dans son
enfance, elle a eu la vision du suicide de sa mère au moment même de ce drame, qui
se déroulait pourtant loin d'elle. Des années plus tard, en 1976, elle est à
nouveau l'objet de visions surnaturelles, alors qu'elle traverse un tunnel au
volant de sa voiture. Une succession d'images et de sons apparemment dénués de
sens se déroule dans son esprit : elle croit comprendre qu'une vielle femme y est
tuée par un homme boiteux, puis que le cadavre est emmuré dans une petite alcôve.
Lorsqu'elle se rend dans une vieille villa abandonnée, propriétée de son
mari Francesco , elle découvre qu'une des pièces apparaissait dans sa vision. Avec l'aide de la police, elle y découvre une cache
murée dans laquelle se trouve le squelette d'une femme ! Les enquêteurs affirment
qu'il s'agit d'une jeune fille, disparue en 1972, et ancienne maîtresse de
Francesco. Celui-ci devient aussitôt le suspect numéro un et
on le met en prison. Virginia se rend compte que,
dans cette histoire, de nombreux éléments ne correspondent pas exactement à sa
vision. Convaincue de l'innocence de son mari, elle poursuit ses investigations
avec l'aide de Luca, un spécialiste des phénomènes paranormaux...
L'emmurée vivante est un thriller, organisé autour d'une
mystérieuse affaire criminelle, dans laquelle interviennent des éléments
fantastiques. Ceux-ci sont avant tout liés aux pouvoirs surnaturels de
Virginia, douée de dons médiumniques lui permettant d'avoir des
visions. Bénéficiant du cadre pittoresque d'une ville italienne et de vieilles
villas latines décrépies, cette oeuvre évoque certains films qui l'ont
précédé. Ne
vous retournez pas (1973), film anglais de Nicolas Roeg tourné à Venise,
jouait de façon ambiguë sur les pouvoirs de voyance de ses personnages et
sur la difficulté à décrypter les signaux qu'ils ont le don de percevoir. Surtout, Les
frissons de l'angoisse (1975), célèbre giallo horrifique de Dario Argento,
mettait déjà en scène une médium ayant les visions d'une affaire criminelle
ancienne, ainsi qu'une pièce cachée dans laquelle reposait un cadavre. Obsession
(1976) de l'américain Brian De Palma, se déroulant en partie à Florence,
laissait flotter un parfum surnaturel sur une macabre et étrange histoire
d'amour. Difficile, aussi de ne pas penser aux écrits d'Edgar Poe, et tout
particulièrement à la célèbre nouvelle Le chat noir, dans laquelle un
homme emmurait le cadavre de sa femme qu'il venait d'assassiner. Fulci devait
d'ailleurs à nouveau s'inspirer de ce conte pour un autre de ses films : Le
chat noir (1981).
Le récit policier de L'emmurée vivante évoque donc une impression de
déjà-vu : on peut encore citer d'autres influences, comme La fille qui en
savait trop (1963) de Mario Bava, ou L'oiseau au plumage de cristal (1969)
de Dario Argento, dans lesquels des détectives amateurs, témoins de faits
divers, tentaient d'interpréter correctement les évènements auxquels ils
avaient assistés. Pourtant, on ne peut pas nier que l'ensemble
soit très bien construit, multipliant les rebondissements (parfois un peu
prévisibles) à un rythme très soutenu, voire
étourdissant en ce qui concerne la dernière demi-heure. Fulci, auquel on a souvent reproché
la nonchalance de sa narration (pour Frayeurs par exemple), maîtrise parfaitement
les ficelles du genre et joue avec beaucoup d'habileté sur les pistes et
fausses-pistes en tout genre (témoignages, sons, images...).
Fulci et Salvati propose des images forts soignées, éclairées de façon
raffinées, et se livrent à des expérimentations
assez variées (filtres, objectifs à courte focale, ralentis...) Transitions et
mouvements de caméras sont aussi très travaillés, et Fulci semble au sommet de
sa maîtrise technique. Pourtant, et c'est sans doute là le plus gros reproche
qu'on puisse lui faire, L'emmurée vivante manque de magie et de
mystère. On ne retrouve que rarement l'âpre cruauté qui faisait la force de La
longue nuit de l'exorcisme. Surtout, les visions fantastiques et poétiques de
Fulci, tout comme son sens des ambiances étranges, se font discrets. On les retrouve certes dans le prologue (qui emprunte beaucoup au
dénouement de La longue nuit de l'exorcisme), dans la première vision
de Virginia, et dans le final. Mais le reste du métrage souffre de ce manque
et semble, en fin de compte, trop anodin.
De nombreux petits défauts embarrassants peuvent encore être énumérés. A
l'exception de Jennifer O'Neill, qui se défend très bien, les comédiens
semblent assez peu concernés par les évènements. Les dialogues sont parfois
d'une trivialité très "Bis". Surtout Fulci abuse de zooms assommants
sur les yeux de Jennifer O'Neill, soulignant ainsi lourdement l'arrivée du
moindre indice. La musique tonitruante semble parfois très envahissante...
Tous ces reproches n'enlèvent pas à L'emmurée vivante ses qualités de
base : il s'agit d'un thriller fantastique bien fait, amusant à suivre et bénéficiant d'un bon
tempo . Dommage, néanmoins, que les instants vraiment envoûtants
et terrifiants soient trop rares. A sa sortie, L'emmurée vivante est un
grave échec commercial en Italie. La carrière de Fulci commence à mal
tourner, et il se met à travailler pour la télévision. Il tourne encore un
western Sella d'argento (1978) avec Giuliana Gemma (Un pistolet pour
Ringo (1965) de Duccio Tessari...), mais ce genre est alors complètement
moribond. Tout semble aller mal pour le réalisateur. Pourtant, le producteur Fabrizio De Angelis
remarque L'emmurée vivante alors qu'il était à la recherche de
quelqu'un capable de diriger un film mêlant horreur et aventures : certes,
il a envisagé de recourir aux services d'Enzo G. Castellari (Keoma
(1976) avec Franco Nero...), mais celui-ci demande un salaire trop élevé. Finalement,
de Angelis confiera son projet à Fulci. Ce sera L'enfer des zombies,
sorti en 1979, qui sera un vrai triomphe commercial et fera rebondir de façon
spectaculaire la carrière de Fulci. C'est ainsi avec L'enfer des zombies,
projeté au Grand Rex dans le cadre du Festival du Film fantastique de Paris,
que ce réalisateur deviendra un chouchou des amateurs de gore et d'épouvante. L'emmurée
vivante avait été un tel insuccès en 1977 qu'il était resté inédit en
France jusqu'alors : projeté dans l'édition de 1980 du même festival (avec le tout nouveau Frayeurs), il sortit enfin en salles en France en mars
1981.
Bibliographie consultée :
- L'écran fantastique numéro 16 (premier trimestre 1981) et 17
(premier trimestre 1981). - Mad Movies 22 (février 1982) et 95 (mai 1995).
- Spaghetti Nightmares de Luca M. Palmerini et Gaetano Mistretta,
Fantasma Books, 1996. - Fantastyka numéro 13 (premier trimestre 1997).
- Beyond terror, the films of Lucio Fulci de Stephen Thrower ;
FAB Press, 1999.