Le sergent Howie, de la police britannique, se rend sur la petite île de Summerisle, en Écosse, afin d'enquêter sur la mystérieuse disparition d'une fillette. Il y découvre que les habitants ont renoncé à la religion chrétienne pour adorer des anciens dieux païens.
The wicker man est le premier film de fiction réalisé par Robin Hardy, quiavait derrière lui une longue carrière à la télévision, notamment dans le domaine dudocumentaire. Il avait, à ce titre, déjà travaillé avec le dramaturge et écrivainAnthony Shaffer, qui venait de signer pour le cinéma les scénarios de Frenzy(1972) de Hitchcock et de Le limier (1972) de Mankiewicz. Shaffer souhaite alorsse frotter au domaine de l'horreur. Le studio anglais Golden Lion (Le troisième homme(1949) de Carol Reed, La solitude du coureur de fond (1962) de TonyRichardson...) accepte de financer ce projet. Après un travail de préparation très soigneux (repérage, recherches historiques...), le tournage commence en Écosse. Lesacteurs principaux étaient alors des vedettes en Grande-Bretagne : Edward Woodward étaitl'acteur principal de la série télévisée Callan ; Britt Ekland était lafemme de Peter Sellers dans les années 1960 et allait devenir James Bond Girl dans L'hommeau pistolet d'or (1974) ; enfin, le casting est complété par deux stars des filmsd'horreur de la Hammer : Ingrid Pitt (The vampire lovers (1970)...) etChristopher Lee (Le cauchemar de Dracula (1958)...). Ce dernier, passionnéd'occultisme, s'engage complètement dans ce projet, pour lequel il accepte de ne pasêtre payé.
The wicker man (c'est-à-dire "L'homme d'osier") est un éminentreprésentant du "film de sectes". Un homme va devoir affronter une organisationreligieuse, qui, dans le cadre de ses pratiques cultuelles, se livre à des crimes etutilise la magie noire. Cette oeuvre s'inscrit donc dans la lignée de deux prestigieuxclassiques britanniques : Rendez-vous avec la peur (1957) de Jacques Tourneur et Lesvierges de Satan (1968) de Terence Fisher. Dans le film de Tourneur, un savant trèsrationaliste (Dana Andrews) devait affronter une malédiction orchestrée par une sected'adorateurs du démon. Dans l'oeuvre de Fisher, le duc de Richleau (Christopher Lee) estun expert en occultisme et met tous les moyens de la magie blanche en oeuvre pour vaincreun sorcier sataniste. Dans les deux cas, l'étude des cultes païens reste assezsuperficielle et le manichéisme est de mise dans la représentation d'un conflit bien-malsans nuance.
The wicker man propose un point de vue tout à fait novateur : Summerisle est enfait une communauté dans laquelle le paganisme ancien a été réintroduit au XIXèmesiècle par le châtelain de la région, afin d'accompagner la réorientation de la petiteéconomie locale vers l'agriculture. Les rites païens en question sont ceux dela culture celte, c'est-à-dire des traditions qui ont été presque complètementéradiquées des îles britanniques lors de l'introduction du christianisme dans cetterégion (le cycle du roi Arthur décrit en fait une transition entre ces deux ères). Ilest exact que la religion celte avait intéressé certains intellectuels au XIXèmesiècle, lorsqu'on avait commencé à étudier les traditions populaires et lespatrimoines européens, au moment de l'apparition de la notion d'Etat-nation en Europe.Avec l'explosion du mouvement hippie de la fin des années 1960, et sa recherche d'un modede vie en harmonie avec la nature, ce folklore connaît un regain de popularité. RobinHardy se livre à un travail de documentation extrêmement sérieux sur la matière etpropose dans The wicker man une restitution de cette culture donnant une forteimpression de cohérence, de dépaysement et d'authenticité. Cela est encore renforcépar le choix d'un tournage en décor naturel, en Écosse, dans de superbes extérieurs, cequi était en totale opposition avec l'ambiance assez confinée des films d'épouvanteanglais classiques réalisés avant tout en studio, dans les années 1950-1960.
Les habitants de Summerisle se livrent à des rites essentiellement orientés vers lafertilité, et basés sur l'adoration du Dieu Soleil et de la Déesse des Champs. Laplupart de ces cérémonies et de l'enseignement religieux tourne donc avant tout autourde l'exaltation de la nature et de la sexualité, vécue comme une fête, mais aussiautour de la notion de sacrifice et de renaissance. Ainsi, à la mort d'un homme, onplante un arbuste sur sa tombe, arbuste qui grandira en se nourrissant de sa dépouille.Tous ces aspects choquent profondément le sergent Howie, chrétien puritain, qui estparticulièrement révulsé par ce qui tourne autour de la magie sexuelle et autrescérémonies orgiaques entourant l'arrivée du printemps. The wicker man souligneavec véhémence l'hypocrisie et le caractère névrosé de ce personnage, ainsi quesa profonde intolérance. Les païens de Summerisle nous paraissent immédiatement plussympathiques et raisonnables que ce bigot tourmenté.
Original par son sujet et son traitement, The wicker man l'est aussi par saforme. Présenté et promu comme un film d'horreur, genre dont il reprend deux vedettes(Pitt et Lee), il semble pourtant démarré comme un récit policier. Néanmoins, saprogression sera moins dictée par la nécessité de construire une enquêtesolide que par la volonté de présenter de façon documentaire, complète et détaillée,les coutumes de cette communauté païenne. Dès lors The wicker man pourrasembler lent et peu spectaculaire à ceux qui chercheront un produit plus fidèle auxcanons des thrillers classiques. The wicker man est aussi une étonnante comédiemusicale. En effet sa progression est ponctuée de nombreuses chansons folkloriques,arrangés par Paul Giovanni, et parfois accompagnées de chorégraphies. Citonsl'étonnant numéro final, ainsi que la bouleversante danse dénudée de Britt Ekland,qui, tentatrice, met à l'épreuve Howie en lui chantant une superbe chanson érotique.Mettre ainsi en valeur des chansons folk, la plupart à connotations religieuses, n'a riende gratuit dans le cadre d'une présentation des traditions celtes, civilisation danslaquelle la transmission orale du savoir est fondamentale : cette culture n'avait en effetpas d'écriture.
The wicker man est un excellent film fantastique, un des meilleurs proposéspar le cinéma anglais, qui vaut notamment pour l'originalité de son ton, ainsi que pourson approche documentaire tout à fait étonnante. Toutefois, il sortira dans de mauvaisesconditions. Les cadres du studio Golden Lion, venaient d'être remplacés, et la nouvelleéquipe décida de sacrifier les films mis en route avant leur arrivée. Le film se voitretirer presque vingt minutes de métrage et le négatif est perdu. The wicker man sorten Angleterre en catimini, en double-programme, avec un autre chef-d'oeuvre produit par Golden Lion : Ne vous retournez pas (1973) de Nicolas Roeg. Aux USA, ledistributeur bâcle aussi le travail. Pourtant, les critiques sont excellentes. En France,The wicker man reçoit le Grand Prix du festival du Film Fantastique de Paris,organisé par la revue L'écran fantastique, mais il n'est même pas distribuéen salles (il faudra attendre les alentours de 2000 pour qu'il soit diffusé à latélévision, sur Canal +, puis 2003 pour qu'il sorte dans le commerce, en DVD !). Avec lerecul, The wicker man et Ne vous retournez pas semblaient faire lapromesse d'un renouvellement passionnant du cinéma fantastique anglais, qui commençaità péricliter avec le déclin de la firme Hammer et la concurrence d'oeuvres américainesau ton très nouveau (La nuit des morts-vivants (1968) de Romero, L'exorciste(1973) de Friedkin...), prenant le contre-pied de l'épouvante gothique classique. Hélas,cela ne se concrétisera pas vraiment. The wicker man deviendra néanmoins unfilm très renommé chez les amateurs de cinéma fantastique, et sa popularité ne cesserade croître. Il influencera aussi énormément la scène musicale "underground"britannique des années 1980-1990, qui considérait d'un œil très favorable l'utopied'un retour de la Grande-Bretagne à ses racines celtes traditionnelles (avec des groupescomme Sol Invictus ou Current 93 notamment, qui ont souvent faitréférence à ce film).
Bibliographie :