Le capitaine John Boyd est muté dans une petite garnison, située dans une région montagneuse isolée. Un jour, un homme gelé et blessé s'y présente : il raconte qu'il est un survivant d'une expédition décimée par le froid et la faim...
Vorace est une production Fox 2000, filiale de la 20th Century Fox. Il devait être filmé au Canada, mais, en fin de compte, on se reporta sur le Mexique et des sites d'Europe de l'est, en république Tchèque et en Slovaquie. Le tournage est commencé par Milcho Manchevski, un réalisateur d'origine macédonienne, mais il est renvoyé par la production après quinze jours de prises de vue, pour "divergences artistiques".
L'acteur Robert Carlyle contacte alors Antonia Bird, dont il avait interprété le film précédent, un thriller nommé Face (1997). Celle-ci arrive à la rescousse et doit prendre en charge un film dont la direction artistique, le casting... sont déjà fixés. De même, elle n'a que très peu de marge pour modifier le scénario.
Bien qu'étant une production modeste d'à peine 12 millions de dollars, Vorace rassemble un casting d'acteurs assez connus : Guy Pearce (L.A. Confidential (1997), Memento(2000)...), Robert Carlyle (Trainspotting (1996) de Danny Boyle, Full monty(1997)...), David Arquette (Scream (1996) de Wes Craven, Arac attack (2002)...), Jeremy Davies (Il faut sauver le soldat Ryan (1998) de Steven Spielberg, Solaris (2002)...), Jeffrey Jones (l'empereur Joseph II dans Amadeus (1984), Sleepy Hollow (1999) de Tim Burton...).
La musique est composée par Michael Nyman (Meurtre dans un jardin anglais(1982), La leçon de piano (1993)...) et Damon Albarn (Face est le seul film dans lequel il est apparu en tant qu'acteur), chanteur du groupe Blur.
Le capitaine John Boyd est considéré comme un héros de la guerre de 1847, entre le Mexique et les USA : il a en effet réussi à s'infiltrer derrière les lignes ennemis et à neutraliser seul un Quartier Général adverse. Mais la réalité de ce haut-fait est plus ambiguë : si Doyle s'est retrouvé dans un camp mexicain, c'est que, par lâcheté, il s'est fait passer pour mort sur le champs de bataille et a été emporté parmi les cadavres de ses infortunés compagnons. Son supérieur est au courant des circonstances peu glorieuses de son "exploit" et l'affecte, en "récompense", dans un petit fort isolé.
Situé en Californie, au milieu d'une région montagneuse et déserte, on n'y voit pratiquement jamais passer personne. Doyle y fait connaissance avec les autres soldats et son nouveau supérieur, le colonel Hart. Ils recueillent un voyageur, transi de froid, appelé F.W. Colhoun. Celui-ci affirme être un survivant d'une expédition qui s'est retrouvée coincée, suite à une terrible tempête de neige, dans une caverne, trois mois durant : pour ne pas mourir de faim, ils ont du se livrer au cannibalisme... Le colonel Hart et ses hommes se rendent à la caverne en question afin d'y retrouver les autres survivants. Ils ne savent pas que Colhoun leur a en fait tendu un piège...
Vorace s'appuie en partie sur la légende du Wendigo, née chez les indiens d'Amérique du Nord. Selon cette tradition, le Wendigo est une gigantesque créature, vaguement humanoïde, aux yeux luisants et aux crocs démesurés. Cet esprit malfaisant apparaîtrait partout où les hommes se livrent au cannibalisme. Cette légende est souvent considérée comme une manifestation du tabou du cannibalisme, c'est-à-dire comme une mise en garde contre cette pratique. Ce mythe a par ailleurs déjà été utilisé plusieurs fois au cinéma, notamment dans le récent Wendigo (2001) de Larry Fessenden, bien accueilli par la presse de cinéma fantastique anglo-saxonne, bien qu'encore inédit en France, et présenté au H.P. Lovecraft's film festival de 2001.
En effet, les amateurs de Lovecraft ne sont pas sans savoir que le Wendigo s'est trouvé incorporé au panthéon des Grands Anciens, notamment sous le nom d'Ithaqua. Ce n'est pourtant pas une idée de Lovecraft : c'est August Derleth, fameux continuateur de la mythologie cthulienne, qui est responsable de cette trouvaille Au-delà du mythe du Wendigo proprement dit, Vorace s'appuie aussi sur certaines croyances traditionnelles liées au cannibalisme tel qu'il était pratiqué par certaines tribus, par exemple sur des îles du Pacifique ou chez les indiens d'Amérique. Généralement rattachées à des rituels guerriers, ces croyances consistent à penser que, lorsqu'on dévore son adversaire, on récupère une partie de sa force vitale.
Enfin, le scénariste Ted Griffin s'est aussi inspiré du drame du passage de Donner, qui s'est déroulé en 1847 : des émigrants se rendant en Californie se sont retrouvés coincés dans une région montagneuse par une tempête et ont été contraints, pour survivre, de se livrer au cannibalisme.
Vorace mêle donc ses diverses sources en un récit présentant le cannibalisme sous un jour assez original, proche, par bien des points, du vampirisme. Ainsi, la consommation du sang ou de la chair humaine rend plus fort physiquement, plus courageux, et parvient même à guérir des blessures ou des maladies gravissimes. Ceux qui se livrent régulièrement à ces dégustations particulières deviennent ainsi des surhommes pratiquement indestructibles. Toutefois, aucun retour en arrière n'est possible pour le cannibale, une fois qu'il a mis le doigt dans cet engrenage : il sera toujours tiraillé par la faim de viande humaine jusqu'à sa mort. Dès lors, ces anthropophages se comportent comme des prédateurs pour qui les humains normaux deviennent un simple cheptel dans lequel il faut piocher afin de se sustenter. Le seul moyen de mettre un terme à cette faim très particulière est de se laisser mourir de faim, de se sacrifier.
Comme le vampirisme, le cannibalisme est ici fort séduisant par bien des aspects : garantissant pratiquement l'immortalité, seules des considérations morales pourraient forcer quelqu'un à se détourner de ce "pacte" bien particulier avec la chair. Ce conflit moral va s'incarner, dans la seconde partie du film, par l'affrontement entre deux cannibales : le colonel Ives, satisfait de sa situation, sûr de lui et très organisé, et le capitaine Doyle, devenu anthropophage malgré lui et rongé par les remords. On peut toutefois regretter que ce conflit soit traité de façon un peu précipité. Vorace laisse, de ce côté, des pistes intéressantes inexploités, se précipite un peu trop, et manque de finesse. De même, l'interprétation est parfois caricaturale : on pense notamment à Robert Carlyle à certains moments ; ou à des seconds rôles un brin cabotins, comme David Arquette ou Jeremy Davies, qui peinent à vraiment faire vivre leurs personnages.
Vorace séduit pourtant encore grâce à l'originalité de son cadre, surtout pour un film d'épouvante. Ce mélange de western très violent et de comédie noire et excessive évoque en effet irrésistiblement l'atmosphère des westerns spaghettis. Quand aux décors montagneux, écrasants, enneigés et solitaires, ils renvoient aussi à des références du western, qu'elles soient américaines (Jeremiah Johnson (1972) de Sidney Pollack...) ou italiennes (le tragique Le grand silence (1968) de Sergio Corbucci...).
Vorace est un film intéressant, bénéficiant d'un script réussi, traitant du cannibalisme de façon élaborée et originale, et ce dans le cadre assez inattendu d'un western. En cela, il nous change agréablement des habituels serial-killers (Anthropophagous (1980) de Joe d'Amato, Le silence des agneaux (1991) de Jonathan Demme...) et, surtout, des films gore pseudo-anthropologistes qui ont fait, en leur temps, les joies du cinéma populaire européen (Cannibal holocaust (1979) de Ruggero Deodato, Mondo cannibal (1981) de Jesus Franco...). A sa sortie en salles, Vorace passa un peu inaperçu. Néanmoins, avec les années il acquiert une excellente réputation auprès des amateurs de cinéma fantastique.
Bibliographie consultée :
- Mad Movies numéro 120 (juillet 1999).