Des explorateurs se rendent sur une île tropicale afin d'y tourner un film. Ils y découvrent qu'une peuplade vénère King Kong, un terrible singe géant...
En 1933, aux USA, le cinéma fantastique hollywoodien est pratiquement à son apogée.Après les triomphes des productions Universal Dracula (1931) de Tod Browning et,surtout, Frankenstein (1931) de James Whale, cette firme s'est spécialisée dansle cinéma d'épouvante parlant, en employant ses propres vedettes du genre, rattachéesà ces deux films : respectivement Bela Lugosi et Boris Karloff. Lugosi tourne pour eux Doubleassassinat dans la rue Morgue (1932) de Robert Florey, d'après Poe, tandis queKarloff fait le monstre dans La momie (1932) de Karl Freund et Une soiréeétrange (1932) de James Whale. Les deux stars du frisson trouvent encore moyen detravailler pour d'autres compagnies : Lugosi joue ainsi dans Les morts vivants(1932) ou Chandu the magician (1932) ; Karloff incarne Fu Manchu dans Lemasque d'or (1932) pour la MGM. 1931-1932-1933 : ces trois années, situés dans lafoulée de la généralisation du cinéma parlant aux USA, verront se succéder d'autreschefs-d'oeuvre fondateurs du cinéma fantastique : Docteur Jekyll et Mr. Hyde(1931) de Rouben Mamoulian et L'île du docteur Moreau (1933) de Erle C. Kenton,produits par Paramount ; Docteur X (1932) et Masques de cire (1933),tous deux réalisés en Technicolor bichrome par Michael Curtiz pour Warner ; la MGM qui,dans les années 1920, avaient déjà produit plusieurs classiques de l'angoisse mettanten scène l'acteur Lon Chaney, fait réaliser par Tod Browning La monstrueuse parade(1932) ; Universal continuera sur sa lancée avec L'homme invisible (1933) deJames Whale... Parmi tous ces classiques, on trouve un film très particulier, unchef-d'oeuvre mythique, aujourd'hui incontesté : King Kong. Merveille detechnique, histoire d'amour bouleversante et superbe spectacle cinématographique, il estle fruit d'années de travail. Le développement de ce projet débuta, dans la tête deMerian C. Cooper, dès 1931. Mais commençons par présenter les principaux artistes quidonnèrent la vie au roi Kong...
La réalisation de King Kong est le fruit de la collaboration entre deuxréalisateurs qui avaient déjà travaillé ensemble à plusieurs occasions. Merian C.Cooper, américain, combat pendant la première Guerre Mondiale en Europe, où il est faitprisonnier par les allemands. En 1919, il se bat aux côtés des polonais contre l'arméesoviétique. C'est à cette occasion qu'il rencontre pour la première fois Ernest B.Schoedsack, qui a lui aussi participé à la Grande Guerre, et œuvrait alors auxcôtés de la Croix Rouge. Schoedsack avait été caméraman dès 1914, et a tourné desimages documentaires sur les conflits européens, notamment pour le compte de l'arméeaméricaine. Les deux compères réalisent ensuite des documentaire : L'exode(1925), sur les migrations kurdes en Turquie ; Chang (1927), l'histoire d'unhomme au Siam, qui survit avec sa famille dans la jungle et y affronte des animauxsauvages. Ces deux documentaires romancés sont marqués par l'influence de Flaherty (Nanoukl'esquimau (1922)...). Avec Lothar Mendes, ils réalisent leur première fiction : Lesquatre plumes blanches (1929), un film d'aventures coloniales de la Paramount,d'après un roman d'A.E.W. Mason maintes fois adapté au cinéma. Puis, Schoedsack retourne,seul cette fois, au documentaire avec Rango (1931), tourné dans la jungleindonésienne. Vient ensuite la période de gestation de King Kong sur laquelleon reviendra plus bas...
Après le triomphe de King Kong, qui sauve la compagnie productrice RKO de lafaillite, Cooper abandonne la réalisation pour devenir directeur de production au sein decette firme. Il remplace à ce poste David O. Selznick, qui retourna travailler chez MGM.Cooper lance alors chez RKO des œuvres majeures : on pense à la première comédiemusicale réunissant Ginger Rogers et Fred Astaire (Carioca (1933)), la premièrecollaboration entre l'actrice Katherine Hepburn et le réalisateur George Cukor (Lesquatre filles du docteur March (1933)), ou au western La patrouille perdue(1934) de John Ford, avec Karloff. Après la seconde Guerre mondiale (au cours de laquelle il estofficier), Cooper fonde Argosy avec John Ford, et produit quelques classiques de cemaître du cinéma américain : Le massacre de Fort Apache (1948), Rio Grande(1950), L'homme tranquille (1952) et bien sûr La prisonnière du désert(1956) (tous ces titres sont interprétés par John Wayne).
De son côté, Schoedsack continue à réaliser des films. Après le triomphe de KingKong, il tourne pour RKO Le fils de Kong (1933), dans lequel on retrouveles effets spéciaux de Willis O'Brien et l'acteur Robert Armstrong. Pour la même firme,il réalise encore Blind adventure (1933) et Long lost father (1934), puisle péplum-catastrophe Les derniers jours de Pompéi (1935) (qui, contrairementà ce que pourrait laisser croire son titre, n'est pas une adaptation du célèbre romanhomonyme d'Edward George Bulwer-Lytton). Paramount le charge ensuite de tourner un grandfilm d'aventures : The lives of a bengal lancer ; il tourne les extérieurs enInde pendant plusieurs mois ; mais, à son retour aux États-unis, on découvre que toutela pellicule filmée a été détruite à cause des conditions climatiques et sanitairesinadéquates ! Après ce fiasco, le réalisateur Henry Hataway reprend le tournage àzéro, et le film sortira en France sous le titre Le lancier du Bengale (1935).Puis Schoedsack tourne deux films d'aventures pour la Columbia (Trouble in Morocco(1937) et Outlaws in Orient (1937)) avant de retourner au fantastique avec DocteurCyclops (1940) : ce film Paramount, produit par Cooper, a la particularité d'êtrela première oeuvre fantastique majeure à avoir été tournée en Technicolortrichrome (procédé capable de restituer l'intégralité du spectre des couleurs,employé pour la première fois au cinéma dans Becky Sharp (1935)). Un savantfou y réduisait ses ennemis à la taille de jouets... Pendant la guerre, Schoedsack a lesyeux très abîmés suite à une blessure, ce qui aurait du le détourner définitivementdu cinéma. Pourtant, à l'occasion de la fondation de sa firme Argosy, Cooper réunitl'équipe de King Kong pour un nouveau film de gros singe : Monsieur Joe (1949),réalisé par Schoedsack, avec des trucages de O'Brien. Ce sera le dernierlong-métrage de ce réalisateur : une jeune fille vivant en Afrique est l'ami d'ungorille ; un organisateur de spectacle les fait venir aux USA pour mettre au point desspectacles de dressage.
Willis O'Brien
Outre ses deux réalisateurs, King Kong est aussi l'oeuvre de Willis O'Brien,responsable de ses effets spéciaux. Après des débuts hésitants (il pratique desmétiers aussi variés que cow boy, trappeur, caricaturiste de presse, machiniste dans leschemins de fer...), O'Brien a l'idée d'animer image par image une figure de boxeur enargile. Finalement, son premier essai filmé dans ce style mettra en scène un hommepréhistorique et un dinosaure, tous deux modelés en argile sur un squelette de bois. Unproducteur de San Francisco, ville où travaillait O'Brien, lui avance alors de l'argentpour poursuivre son travail. Cela lui permet de filmer The dinosaur and the missinglink (1915), une saynète préhistorique animée de cinq minutes, qui lui prend deuxmois de travail. Les studios Edison, firme de l'inventeur de l'ampoule électrique, duphonographe et du kinétoscope, se montrent intéressés et lui achètent ce programme,avant de l'embaucher pour qu'il conçoive de courts films animés du même style (Thebirth of a Flivver (1917)...). Mais, ces studios connaissent une grave crisefinancière, et O'Brien les quitte en 1918, peu avant que la compagnie ne soit vendue.
Pour une autre firme, il tourne The ghost of the slumber mountain (1918), un filmde deux bobines, encore avec des monstres préhistoriques animés image par image. Enfin,O'Brien a l'opportunité d'appliquer ses découvertes à l'échelle d'un long métrage enadaptant le roman d'aventures Le monde perdu de sir Arthur Conan Doyle, le créateurde Sherlock Holmes, pour la firme First National : en Amérique du sud, des aventuriersdécouvrent un plateau sur lequel des monstres préhistoriques ont survécu. O'Brienrecrute à cette occasion Marcel Delgado, qui l'aide à modeler les monstres. Il s'initieaussi à la technique de la peinture sur verre, ce qui lui permet de créer, pour un coûtmodéré, de superbes décors où faire évoluer ses monstres. En 1922, Conan Doyle lui-même présentedes bouts d'essai d'O'Brien pour Le monde perdu, mettant en scène des dinosaures,dans une convention de prestidigitateurs : il se garde bien de révéler à ces magiciensprofessionnels s'il s'agit d'un vrai documentaire ou d'un film truqué ! Le tournagecommence vraiment en 1923. Pour incruster les acteurs humains dans les plans, on emploiedes technique à base de caches. A sa sortie, Le monde perdu (1925) est untriomphe. Aujourd'hui, il reste un chef-d'oeuvre admirable. O'Brien envisage alors detourner une suite : Atlantis. De même, il s'intéresse à une adaptationcinématographique du roman Frankenstein de Mary Shelley, dans lequel il envisagede remplacer le monstre par une figure animée image par image pour les scènes les plusspectaculaires : rappelons que le classique Frankenstein de James Whale devaitsortir en 1931 ! Mais First National est racheté à la fin des années 1920 par Warner.Les deux projets sont abandonnés et O'Brien part alors pour le studio RKO et travaillesur un projet appelé Création. Mais cela nous amène déjà à la genèse dufilm King Kong, dont on reparlera plus bas...
Après ce succès, il travaille aussitôt sur Le fils de Kong de Schoedsack en1933, pour lequel il anime le (relativement ) petit bébé singe. Puis, il réalisequelques séquences d'effets spéciaux pour des films RKO, comme Les derniers jours dePompéi de Schoedsack. Cooper le contacte à nouveau pour War eagles en 1938
- ce film devait mettre en scène les aventures d'explorateurs découvrant au pôle nord
- on aurait du rencontrer dans cette aventure moult dinosaures et monstres des temps
Puis, O'Brien oeuvre en 1941 sur Gwangi, un autre projet de la RKO. Des cow-boys,travaillant dans un cirque itinérant, découvrent une vallée isolée dans le Colorado,où vivent encore des monstres préhistoriques. Cela tombe encore à l'eau ! Pourtant, leproducteur Charles H. Shneer va acquérir plus tard les droits de ce projet afin de leconfier au grand spécialiste de l'animation image par image Ray Harryhausen (Leseptième voyage de Sinbad (1958) de Nathan Juran, Jason et les argonautes(1963) de Don Chaffey... ) : celui-ci effectue donc les trucages de La vallée deGwangi (1969), réalisé par Jim O'Connoly, en se conformant le plus possible auxtravaux préparatoires réalisés par son maître Willis O'Brien. En effet, Harryhausen,grand admirateur de King Kong dont la vision a conditionné son orientationprofessionnelle, s'est formé notamment en travaillant au service d'O'Brien sur son projetsuivant : Monsieur Joe de Schoedsack, sorti en 1949, qui vaut à O'Brien un Oscarpour ses effets spéciaux. Cooper envisage ensuite de tourner, avec l'aide d'O'Brien, unremake de King Kong en couleurs et en format "Cinérama" : mais la mortdu technicien chargé de l'élaboration des caméras de ce nouveau procédé met un termeau développement de ce projet.
Les déveines s'accumulent pour O'Brien. Ainsi, son scénario The beast from thehollow mountain (1956), dans lequel des cow boys affrontent un dinosaure mangeur debétail, est acheté par des producteurs qui empêchent O'Brien de réaliser les trucagesde ce film, qui sera finalement réalisé par Edward Nassour et Ismael Rodríguez. Lamême malchance lui arrivera avec le remake de Le monde perdu (1960) d'IrwinAllen : la Fox l'engage pour ce film, puis l'écarte de l'élaboration des trucages. Lebut de la manœuvre était seulement d'avoir le nom prestigieux d'O'Brien augénérique de ce remake ! Un autre de ses projets tournera mal : King Kong contreFrankenstein, dans lequel le singe géant devait affronter un monstre gigantesquecréé par le docteur Frankenstein. O'Brien contacte un producteur pour le charger detrouver des financements : en fait, celui-ci vend l'idée aux studios japonais Toho pour KingKong contre Godzilla (1962) d'Inoshiro Honda, tourné dans le dos d'O'Brien, encoreune fois floué et réduit à l'inactivité ! Néanmoins, il travaillera encore sur deuxfilms de monstre : Le scorpion noir (1957) d'Edward Ludwig et The giantBehemoth (1959), tous deux tournés avec des moyens limités. Il œuvrera aussisur des séquences d'animation conçue pour être insérée dans des long-métrages, commepour le documentaire Le monde des animaux (1956) d'Irwin Allen.
La genèse de King Kong
Revenons en 1931. Merian C. Cooper a d'abord entendu parler des fameux "dragons"de Komodo, énormes lézards découverts sur cette île indonésienne par un aviateur en1912. Il a l'idée de tourner sur place l'affrontement entre un de ces sauriens et ungorille d'Afrique. Mais, au lendemain de la crise de 1929, l'économie américaine est enpleine dépression, et il ne paraît pas vraisemblable qu'un studio soit prêt à investirde l'argent sur un projet aussi coûteux. Au même moment, Cooper est chargé par David O.Selznick (qui venait de produire en 1929 son Les quatre plumes blanches), nouveaudirecteur de production de la RKO, de mener une enquête sur les coûts et les méthodesde production de cette firme. Cooper étudie alors le projet Création, uneaventure dans le style de Le monde perdu qu'O'Brien cherche alors à monter ausein de cette compagnie, et pour lequel il a réalisé un bout d'essai. Cooper estimpressionné par les trucages, mais il juge l'histoire inintéressante, et faitarrêter le développement de ce projet. Ayant entendu parlé du film de gorilles queCooper tente de monter, O'Brien explique à Cooper qu'avec ses effets spéciaux, il estcapable de réaliser cette histoire en studio, sans recourir à de coûteux tournages enextérieurs exotiques. Cooper est convaincu, et il propose, avec l'appui de dessinsréalisés par O'Brien, ce projet à David O. Selznick, qui l'accepte. Les scénaristessont réunis : Merian C. Cooper, James Ashmore Creelman, Ruth Rose (l'épouse d'Ernest B.Schoedsack) et Edgar Wallace (fameux écrivain anglais de romans policiers). Pourtant,Wallace meurt en février 1932, et son apport est considéré comme minime sur ce script.
Certains des autres dirigeants de RKO sont encore hésitants et demandent le tournage d'unbout d'essai. O'Brien se met au travail et recrutent déjà les trois acteurs principauxdu film : Fay Wray (comédienne canadienne dont la carrière avait décollé avec Lasymphonie nuptiale (1927) de Von Stroheim, et qui jouait dans Les quatres plumesblanches de Schoedsack et Cooper en 1929) sera Ann Darrow ; Robert Armstrong (Unefille dans chaque port (1928) de Howard Hawks, le drame The iron man (1931)de Tod Browning...) sera le réalisateur-aventurier Carl Denham ; Bruce Cabot (alorsinconnu) sera le courageux marin Jack Driscoll. Finalement, les bouts d'essai sont jugésconvaincants, et le tournage de King Kong commence en 1932, pour un budget quisera évalué par RKO à plus de 600.000 dollars (estimation peut-être gonflée pour desraisons publicitaires ; certains considèrent que le budget réel était d'environ 400.000dollars) : c'était alors énorme. King Kong est ainsi souvent considéré commeun coup de poker de la RKO qui, menacée de faillite, a mis toutes ses billes sur un grosbudget, susceptible, en cas de succès, de rétablir durablement la compagnie.
Un long tournage commence, qui implique des trucages de toutes sortes. A aucun moment, on nevoit un acteur déguisé en singe (ce qui avait été fait pour Double assassinat dansla rue Morgue en 1932). Certains détails seront en grandeur nature pour des plansrapprochés : main géante qui tient Fay Wray lorsqu'elle est portée par Kong ; piedgéant écrasant des indigènes sur l'île du Crâne ; buste animé de Kong pour les grosplans de son visage et les séquences où il mastique des humains. Tous les autres plansprésentant Kong et les autres monstres utilisent des poupées miniatures animées imagepar image. Étant données les nombreuses interactions entre les monstres et les acteurshumains, on utilisa des techniques plus élaborées que pour Le monde perdu afinde composer les plans truqués. Certes, on retrouve divers systèmes à base de caches...Mais on emploie surtout la rétroprojection sur un nouvel écran translucide (alors trèsinnovant : auparavant, les rétro-projections étaient faites sur verre, ce qui donnaitdes résultats moins bons). Les rétroprojections sont placées derrière les acteurs (parexemple lorsque Fay Wray, accroché aux poteaux de sacrifice est confrontée à Kong pourla première fois) ou, plus complexe, derrière les figures réduites et animées (dans lascène du fossé, lorsque Kong passa sa main devant la caverne où se trouve un marin...).
Tout cela implique un travail si minutieux et lent que les acteurs et les réalisateursont le temps de travailler sur d'autres projets en même temps. Si Merian C. Cooper s'est,semble-t-il, plutôt attelé à la réalisation des plans truqués aux côtés de WillisO'Brien, Ernest B. Schoedsack était avant tout responsable des scènes plusclassiques, avec acteurs. Pendant le tournage de King Kong, il co-réalisa avecIrving Pichel, toujours pour la RKO, un autre chef-d'oeuvre du film d'épouvante : Leschasses du comte Zaroff (1932) dans lequel jouaient aussi Fay Wray et RobertArmstrong. Tourné dans des décors de jungle, dont une bonne part servait aussi pour KingKong, il raconte les aventures de naufragés échouant sur une île où vit le comteZaroff (incarné génialement par Leslie Banks, une vedette du théâtre anglais quifaisait ses débuts au cinéma), un cruel aristocrate organisant des chasses à l'hommepour se divertir. Fay Wray tournera aussi en 1932 pour la Warner dans les films d'horreur DocteurX et Masques de cire de Michael Curtiz.
King Kong !
Carl Denham est un réalisateur aventureux et ambitieux. Il veut aller tourner unfilm d'aventures sur une île mystérieuse, appelée l'île du Crâne, où vivraient desanimaux incroyables. Mais, il ne parvient pas à trouver une actrice qui accepte departiciper à un tournage aussi dangereux. Dans la rue, il repère Ann Darow, unefigurante au chômage, réduite à voler des fruits dans une épicerie pour ne pas mourirde faim. Denham lui propose le rôle principale de son film, ce qu'elle accepte sanshésiter. Le bateau part alors pour cette mystérieuse île du Crâne, qui n'apparaît parsur les cartes marines et dont seul Denham connaît la localisation. Une fois arrivée àce lieu, l'équipe débarque et interrompt les indigènes alors qu'ils allaient sacrifierdes jeunes filles à "Kong". Le sorcier de la tribu, fasciné par la blondeurd'Ann, exige qu'elle soit sacrifiée à ce Dieu. Les explorateurs refusent et se replientsur leur navire. Néanmoins, les insulaires kidnappent Ann et l'offre à Kong. Celui-ciest en fait un gorille géant ! Il emmène Ann vers son antre à travers la jungle. Lesvoyageurs suivent sa trace. Ils doivent affronter de nombreux dinosaures ayantmystérieusement survécu sur cette île : stégosaure, brontosaure... Kong lui-même doitcombattre un tyrannosaure. Il parvient aussi à précipiter la plupart des membres del'expédition dans un ravin. Seules deux personnes survivent : Driscoll le marin, qui vacontinuer à suivre la trace du singe géant, et le réalisateur Denham, qui part chercherdu secours. Après maintes péripéties, Driscoll parvient à sauver Ann des griffes deKong, qui semble s'être épris de la jeune femme ! Furieux qu'on la lui enlève, Kongpoursuit les explorateurs et massacre le village indigène avant d'être neutralisé àl'aide de bombes au gaz. Denham a l'idée de ramener Kong à New York et de l'exposerenchaîné sur la scène d'un théâtre. Mais, le soir de la première, Kong parvient àbriser ses chaînes, s'échappe et sème la terreur dans la ville. Il retrouve Ann et l'emporte aveclui. On fait alors appel à des avions de l'armée pour le neutraliser, alors qu'il seréfugie au sommet de l'Empire State Building...
A bien des égards, il est évident que la trame reprend, en gros, celle de Le mondeperdu. Des explorateurs découvrent une région inexplorée où survivent desespèces préhistoriques. A la fin, un monstre est ramené dans une grande ville, selibère et y sème la terreur. Dans Le monde perdu, un brontosaure en colèreravage Londres ; mais, à la différence de Kong, il parviendra à échapper à sespoursuivants et survivra. Un enrichissement à ce canevas apporté par King Kong consisteà mettre en scène une équipe de tournage menée par un aventurier très téméraire,qui évoque assez irrésistiblement Cooper et Schoedsack, lorsque ceux-ci se rendaient auxquatre coins du globe pour en ramener des documentaires spectaculaires. On pense alors àl'idée originale de Cooper pour ce film, qui consistait à aller tourner sur l'île deKomodo les aventures d'un vrai gorille parmi les sauriens géant.
King Kong, c'est encore un admirable mélange de genres, parmi lesquels dominentl'aventure, l'épouvante et la romance. En effet, il s'agit d'un superbe film d'aventures,s'inscrivant dans la lignée, comme on l'a déjà souligné, de Le monde perdu,mais aussi d'oeuvres de Jules Verne, comme Le voyage au centre de la Terre.Décor de studio, mattes, peintures sur verre et maquettes contribuent à créer unsuperbe environnement exotique sur la fantastique île du Crâne. O'Brien, par ailleursadmirable dessinateur comme on peut le voir avec les superbes croquis préparatoires de KingKong, avoue l'influence déterminante des gravures de Gustave Doré sur la directionartistique du film. La parenté de son travail avec l'art de la gravure est encoresoulignée par l'emploi du noir et blanc. En s'ouvrant sur des scènes banales, à NewYork, soulignant le morne quotidien d'une chômeuse ordinaire dans l'Amérique de la criseéconomique, le récit renforce encore le caractère fantastique et démesuré de l'îledu Crâne. A partir de l'arrivée des voyageurs sur ce lieu, la réalisation se déploiemajestueusement en de vastes plans d'ensemble tandis qu'éclate dans toute sa vigueur lasuperbe musique de Max Steiner, interprétée par un orchestre de quatre-vingt musiciens(ce qui était extrêmement innovant, et aussi assez coûteux, les musiques de film, audébut du cinéma parlant, étant en général enregistrées par de bien plus petitesformations). Cette démesure grandiose, inégalée, est encore présente dans les scènesnew yorkaises du dénouement : l'affrontement de Kong avec les avions au somment del'Empire State Building reste la représentation la plus célèbre, le pluscinématographique et la plus populaire de cette cité dans l'histoire du cinéma.
Mais King Kong est aussi un film terrifiant. Sa violence est encore aujourd'huimarquante. Kong broie des humains dans ses mains et dans ses mâchoires, balance une femmedu haute de dix étages, ou démolit à coups de poings un wagon de métro bondé devoyageurs. Son comportement envers les autres animaux n'est pas moins terrifiant : lesanglant et inoubliable combat avec le tyrannosaure reste un des plus grand moment debruits et de fureur de l'histoire du cinéma fantastique. La violence du film avait mêmeété jugée telle que, à l'occasion de sa ressortie en 1938 aux USA, les censeurs,appliquant le code Hays, castrèrent King Kong de plusieurs de ses scènes lesplus crues (ces séquences ont heureusement été réintégrées de nos jours dans lescopies). Il faut aussi savoir que Cooper pratiqua lui-même l'auto-censure en retirant uneséquence au cours de laquelle des monstres, parmi lesquelles des araignées géantes,dévoraient des marins précipités au fond du précipice par Kong : il trouvait que cesscènes ralentissaient l'action et, en plus, étaient si violentes et dérangeantesqu'elles nuisaient à l'homogénéité du film.
King Kong, c'est bien entendu une superbe histoire d'amour. Le terrifiant roiKong s'éprend de la minuscule (à son échelle) Ann Darow. Dès lors la fureur animalequi le rend si redoutable s'estompe pour laisser paraître une humanité bouleversante audétour d'une mimique sensible ou d'un geste de tendresse destinée à la petite femme enrobe de soie qu'il tient soigneusement au creux de sa main. La fameuse scène où Kongdéshabille Ann est ainsi un célèbre moment d'érotisme, d'autant plus fantasmatiquequ'il est profondément imprégné de fantastique et de merveilleux. Le sacrifice final deKong, qui, par amour et imprudence, est allé se réfugier au sommet de la plus haute tourde New York, véritable impasse verticale, est aussi bouleversant. Il est significatif quelorsque les premières rafales de mitrailleuses l'atteignent, lorsqu'il comprend qu'il estperdu, Kong dédie ses derniers moments à poser doucement Ann sur le bord de l'immeubleet à lui prodiguer quelques derniers signes de tendresse, en devenant indifférent à laronde mençante des avions autour de lui. Le génie de Willis O'Brien transparaît danstoutes ces scènes ; Kong, la marionnette, est de loin le meilleur acteur du film, le plusbouleversant, le plus humain. Dès lors, peu importe les quelques défaillancestechniques, King Kong reste un des monuments inégalés des effets spéciaux parce qu'ilparvient à rendre l'illusion de la vie et de l'amour.
King Kong, à partir de l'arrivée des voyageurs sur l'île du Crâne n'estqu'une succession de morceaux d'anthologie inoubliables. Chef-d'oeuvre inépuisable, ilfait partie de ces très rares films qui supportent d'innombrables visions sans jamaisrien perdre de sa fraîcheur et de sa puissance d'évocation. Autre trait singulier, ilfait aussi partie de ces chefs-d'oeuvre qui, comme Le kid (1921) de Chaplin ou Lesaventures de Robin des bois (1938) de Michael Curtiz, sont capables d'engendrer chezle spectateur la passion du cinéma. King Kong provoque à chaque vision unémerveillement à toujours renouvelé, émerveillement qui est peut-être bien l'essencemême du cinéma en général, et du cinéma fantastique en particulier.
King Kong devait connaître un triomphe fracassant aux USA. RKO s'empressa doncde faire réaliser par Schoedsack une suite, Le fils de Kong, toujours avec lestrucages d'O'Brien ; mais, encore aujourd'hui, elle souffre d'être comparée à soninégalable modèle. Cooper demandera en 1949 à Schoedsack et O'Brien de tenter derenouveler les formules de King Kong avec Monsieur Joe, un film bienplus gentil. Les japonais parviennent à mettre la main sur les droits du personnage KingKong et le mettent à la sauce de leurs films de grands monstres : autant dire que lepauvre Roi, interprété par un comédien glissé dans un costume ou par quelquesmarionnettes maladroites, perd de sa superbe dans le consternant King Kong contreGodzilla (1962) et le médiocre La revanche de King Kong (1967) (dans lequelon croise un pittoresque robot King Kong mis au point par un savant fou), tous deuxréalisés par Inoshiro Honda. Plus tard, Dino De Laurentiis produit un fade et laborieux KingKong (1976) de John Guillermin. Universal, de son côté, annonce à ce moment qu'elleprépare un autre film sur le fameux monstre, mais rien de concret ne sortira de cesstudios. Par contre, King Kong II (1986) de Guillermin, toujours produit par DeLaurentiis, reçoit un accueil désastreux, qui semble compromettre pour un bon moment lefutur cinématographique de ce monstre. A la fin des années 1990, c'est Peter Jackson (Braindead(1992), Le seigneur des anneaux : la communauté de l'anneau (2001)...) quitente de mettre sur pied un nouveau remake avec Unversal : en vain. Il se consolera enréalisant sa trilogie monumentale Le seigneur des anneaux, dont le succèspourrait bien entraîner, à plus ou moins long terme, la concrétisation de son KingKong.
Merci à l'équipe de DeVil Dead pour le prêt dece DVD !
Bibliographie consultée :