Un soir, le Diable, la Mort et une prostituée sortent de tableaux qui décorent la boutique d'un antiquaire, et se mettent à lire des histoires macabres...
Cauchemars et hallucinations de Richard Oswald est un film à sketchs,chronologiquement pratiquement jumeau du classique Le cabinet du docteur Caligari(1920) de Robert Wiene. En effet, l'avant-première du film de Oswald a eu lieu en 1919,puis son exploitation commerciale a commencé en 1920 ; tandis que la première de Lecabinet du docteur Caligari prend place dès le début de 1920. Richard Oswald(Ornstein de son vrai nom) fut un réalisateur très prolifique, qui commença àréaliser des films dès 1914. Sa force de travail lui permettait, dans ses années lesplus riches, d'aligner plus de dix titres (en 1915 ou 1917). Très tôt, il aborde, entreautres, des sujets fantastiques : à partir de 1914, il participe à une série sur Lechien des Baskerville, aussi bien en tant qu'acteur que réalisateur ; il tourneaussi une version de Les contes d'Hoffman (1916), dans lequel il donne un de sespremiers grands rôles à Werner Krauss. Issu de la troupe de théâtre de Max Reinhardt, ce grand visage du cinéma allemand de l'entre-deuxguerre : il sera le docteur Caligari dans Le cabinet du docteur Caligari, et onle verra aussi dans : La terre qui flambe (1922) de Murnau, Le trésor(1923) de Pabst, Le cabinet des figures de cire (1924) de Leni.... De la même troupe vient aussi Conrad Veidt, acteurprincipal de Cauchemars et hallucinations : ses traits marqués, son regardintense et sa longue silhouette en ont fait un des acteurs internationaux les plusemblématique du cinéma de son époque. Parmi la spectaculaire liste de chefs-d'œuvre auxquels il a participé, on ne citera pour mémoire, que quelques titreschers aux amateurs de fantastique : Le cabinet du docteur Caligari (où il est lesomnambule Cesar), Le crime du docteur Warren (1920) de Murnau, Les mainsd'Orlac (1924) de Robert Wiene, Le voleur de Bagdad (1940) produit parAlexander Korda... Veidt partage le haut de l'affiche de Cauchemars et hallucinationsavec Reinhold Schünzel (L'opéra de quat'sous (1931) de Pabst, Les bourreauxmeurent aussi (1943) tourné aux USA par Fritz Lang, Les enchaînés (1946)d'Hitchcock...) et la danseuse Anita Berber, qui joua assez souvent dans des filmsd'Oswald (Prostitution (1919), Lucrèce Borgia (1922)...) avant demourir à 29 ans.
Le premier récit s'appelle L'apparition, et est l'adaptation d'un texted'Anselma Heine. Un homme remarque dans un parc un couple en train de se disputerviolemment. Il les sépare et s'en va avec la femme. Celle-ci lui révèle que son mari estun fou sadique qui veut l'assassiner, et elle demande à l'homme de la protéger. Celui-ciaccepte et lui paie une chambre dans un hôtel pour qu'elle se repose. Le lendemain matin,il découvre que la chambre en question est vide, et aucun registre de l'hôtel ne faitmention de la présence de cette femme... Ce bon samaritain a-t-il été victime d'unehallucination ? Ce premier récit est dans doute le plus réussi de Cauchemars ethallucinations. Certes, la mise en scène, l'emploi des décors et des éclairages,très réalistes et théâtraux, décevront les amateurs du cinéma expressionnisteallemand : mais ce parti-pris stylistique n'a rien d'étonnant puisque la"bombe" Le cabinet du docteur Caligari n'explosera qu'après la sortiede Cauchemars et hallucinations. On a néanmoins affaire à une histoire fortmacabre, au dénouement vertigineux et lugubre, qui ne dépareillerait pas dans unépisode de La quatrième dimension.
La seconde histoire, La main, est une création originale de Robert Liebmann,scénariste de Cauchemars et hallucinations, qui a aussi travaillé, ensuite, surd'autres films célèbres, comme L'ange bleu (1930) de von Sternberg ou Liliom(1934) de Fritz Lang. Dans ce récit, deux séducteurs convoitent une même femme. Ils lajouent aux dés : mais le perdant n'accepte pas sa défaite et étrangle le vainqueur. Desannées plus tard, l'assassin est encore hanté par la vision de la main crispée de savictime agonisante, qui revient finalement sous forme de fantôme pour se venger...Histoire de fantômes extrêmement classique, La main reste néanmoins assezagréable à suivre, notamment grâce aux interprétations de Veidt et Schünzel, et à undénouement étonnant, au cours duquel l'usage de certains éclairages par en haut sembleannoncer l'expressionnisme.
Le troisième récit est le très fameux conte de Poe Le chat noir, souventporté à l'écran, avec plus ou moins de fidélité : citons par exemple sa versioncomique dans L'empire de la terreur (1962) de Roger Corman, ou le très réussisegment Le chat noir réalisé par Dario Argento dans Deux yeux maléfiques (1990).Un ivrogne maltraite son épouse et la chat noir de celle-ci. Un jour, sa femme et sonanimal de compagnie disparaissent mystérieusement. Tout le monde dans le villagesoupçonne ce mauvais mari de les avoir tués. Cette mise en scène sans éclat d'un récit trèscélèbre est assez quelconque. Malgré des interprètes savoureux, cesketch manque gravement de tonus et de surprises.
Par contre, le passage suivant est plus intéressant. Il s'agit d'une adptation de Le club dessuicidés de Robert Louis Stevenson, qui connaîtra ensuite d'autres transpositions (Avos ordres madame (1936) avec Robert Montgomery, ou le récent The suicide club(2000) produit par la compagnie Concorde de Roger Corman). Un homme découvre un clubprivé dans lequel il tente de se faire accepter. Mais il va se rendre compte que ce cercle a desactivités hautement macabres : le soir, on tire les cartes d'un jeu, et celui quitirera un as de pique sera condamné à mourir à minuit ! Certes, la réalisation estencore un peu fade, mais les qualités de l'histoire et des acteurs rendent ce sketchencore acceptable.
Enfin, Le spectre est écrit par Richard Oswald lui-même. Au XVIIIème, siècleune femme se juge délaissée par son mari, trop occupé par ses travaux d'études. Unjour un personnage arrive à leur demeure après un accident de calèche. Il décide deséduire la femme en s'attribuant des exploits imaginaires et autres vantardises. Le soir,le mari part à un rendez-vous et laisse le séducteur seul avec sa femme. Des fantômesvont se manifester... Ce sketch joue cette fois sur le ton badin de la comédiefantastique, et le résultat est tout à fait sympathique...
Cauchemars et hallucinations est, au final, un film globalement agréable, mais dontla réalisation souffre d'une certaine platitude. Les épisodes, pourtant relativementcourts, semblent toujours durer un peu trop longtemps. La comparaison avec d'autresclassiques du film à sketchs du cinéma allemand de la même époque (Le cabinet desfigures de cire de Leni, Les trois lumières (1921) de Lang...) est doncplutôt cruelle. Il n'en reste pas moins que les interprétations de ces trois acteursprincipaux tirent l'ensemble vers le haut. Oswald tourna encore d'autres sujetsfantastiques, notamment au début des années 1930 où il fait des remakes parlants defilms célèbres, comme Le chien des Baskerville (1929), Mandragore(1930) avec Brigitte Helm et même Unheimliche Geschichten (1932), remake de Cauchemarset hallucinations avec Paul Wegener (Le golem (1920)...). Juif, Oswald estforcé de fuir l'Allemagne nazie, et tourne des films en France ou aux USA, sansconnaître de réels succès. Après la guerre, il retournera en Allemagne où il mourraen 1948.
Bibliographie consultée :