Une troupe répète une comédie musicale dans un théâtre. Mais un tueur dément s'évade d'un hôpital psychiatrique de la région et s'y introduit...
Bloody bird est le premier long métrage de fiction réalisé par l'italienMichele Soavi. Celui-ci a d'abord démarré sa carrière à divers postes, en tantqu'acteur, assistant-décorateur, scénariste... notamment sur des projets du réalisateurJoe D'Amato : Caligula, la véritable histoire (1981) (péplum érotique), Horrible(1981) (horreur), Ator (1981) (heroic fantasy), Le gladiateur du futur(1982) (post-apocalyptique)... Il fait aussi l'acteur chez d'autres réalisateurs italiens
- on le voit dans La grande bataille (1978) d'Umberto Lenzi, Frayeurs
Par plusieurs aspects, Bloody bird semble s'inscrire bien plus dans la traditiondes slashers américains des années 1980 que dans celle du thriller horrifique italien.On retrouve d'abord un schéma rappelant fortement Halloween (1978) de JohnCarpenter. Un dément, enfermé dans un asile après avoir commis un massacre, s'évade etsème la terreur et la mort durant toute une nuit dans un lieu précis et délimité. Cesunités de temps et de lieu éloignent Bloody bird des constructions classiquesdu giallo italien (6 femmes pour l'assassin (1964) de Mario Bava, L'oiseau auplumage de cristal (1970) de Dario Argento...), généralement organisé autour delongues enquêtes s'étalant sur plusieurs jours et des meurtres prenant place dans desendroits très variés. De même, dans la tradition de Halloween, l'identité dutueur nous est révélé très tôt, et la recherche du coupable n'est en rien la clé durécit : dans Bloody bird, la question est plutôt de savoir qui va survivre, etcomment, à la brutalité de ce tueur masqué.
Pourtant, par certains traits, Bloody bird s'inscrit nettement dans laprestigieuse lignée de Dario Argento et de Mario Bava. D'abord le cadre de l'actionpermet à Soavi de restituer l'ambiance si particulière de certains films de Bava dontles décors évoquent les coulisses d'un étrange théâtre, rempli d'accessoires et detoiles étranges, formant un ensemble hétéroclite et multicolore (6 femmes pourl'assassin, Lisa et le Diable (1972)...). Tout comme chez cet illustremaître du cinéma italien, des masques et des mannequins créent des présences inerteset insolites au sein de la mise en scène. Soavi a aussi avoué la grande influence ducinéma d'Argento, que ce soit dans l'élaboration de cadrages complexes (les plans avecla clé sur la scène, la jeune fille brandissant une aiguille qui renvoie très nettementà la fin de Suspiria (1977)...) ou pour l'ambiance claustrophobe de Bloodybird qu'il rapproche du fameux meurtre dans la galerie d'art moderne de L'oiseauau plumage de cristal. Pour le masque d'oiseau du tueur, il penche plutôt pour uneinfluence des toiles du peintre surréaliste Max Ernst, qui peignait fréquemment deshommes à tête d'oiseau (notamment son personnage récurent Loplop). Mais ce costume dutueur fait aussi penser à la très célèbre scène du bal masqué dans Judex(1963) de Georges Franju. En tout cas, la dernière demi-heure du film, par sa poésie etson onirisme, n'appartient qu'au cinéma italien, et se place dans la lignée de Lisaet le Diable, Inferno (1980) d'Argento ou L'au-delà (1981) deFulci.
Un autre trait rapproche fortement Bloody bird du cinéma d'Argento. Son récits'inscrit au sein d'une troupe de théâtre, c'est à dire dans le cadre d'un milieuartistique en plein travail. Cela rappelle bien entendu les musiciens de Les frissonsde l'angoisse (1975), les danseuses de Suspiria, l'écrivain de Ténèbres...Cette démarche culminera pour Argento avec Terreur à l'opéra (1987) qui a biendes points communs avec Bloody bird. Ici, le metteur en scène Peter se comporteavec ses acteurs comme un tyran, et son attitude face à son oeuvre oscille de façonambiguë entre la prétention artistique et un opportunisme racoleur. Au milieu de toutcela traîne le financier du spectacle, vaguement libidineux et trimbalant une valiseremplie de dollars. Mais la création artistique dans Bloody bird n'est passeulement prétexte à étaler un univers médiocre. Ainsi, le tueur, ancien acteurjustement, est lui aussi un artiste. Il se vêt du costume de l'assassin du ballet pourexécuter ses crimes (alors qu'il est inutile qu'il soit masqué puisque tout le mondeconnaît son identité), choisit la musique sur laquelle il commet ses meurtres, varie lesplaisirs (perceuse, tronçonneuse, couteau...)... A la fin du métrage, il se livre mêmeà une étonnante mise en scène de son "oeuvre", qui est sans doute le momentle plus réussi de Bloody bird.
La construction du récit frappe aussi par une structure relativement insolite.Contrairement à bien des slashers et giallos, Bloody bird ne s'ouvre pas sur uneclassique scène-choc de meurtre pour solliciter immédiatement l'attention du spectateur,mais sur une séquence de ballet, véritable "film dans le film" dans laquelleun assassin s'en prend à une prostituée. Si on trouve un véritable meurtre (sur leparking de l'hôtel) relativement sobre assez tôt dans le film, il n'en reste pas moinsque le premier tiers du métrage se veut bien plus une peinture de l'ambiance tendue ausein de la troupe de théâtre qu'un film d'épouvante. La plupart des meurtres, rapides,mais néanmoins très graphiques (c'est à dire gore !) sont concentrés sur une petitedemi-heure, tandis que le dernier tiers du métrage est constitué par un envoûtant jeudu chat et de la souris entre Irving Wallace et Alice. Si cette construction a le méritede l'originalité, il n'en reste pas moins qu'elle aboutit à un film relativementinégal. L'interprétation assez médiocre (à l'exception de David Brandon), unedirection artistique très démodée (la scène du ballet), ainsi qu'un certain manque demoyens aboutissent à un résultat parfois hésitant, notamment pour le premier tiers dufilm.
Bloody bird est donc un bon thriller, un coup d'essai réussi pour Michele Soavi.Toutefois, ce film est encore très influencé par ses prestigieux prédécesseurs. Cesera un échec commercial en Italie, où il sortira dans une version remontée contrel'avis de Soavi. Par contre il sera bien accueilli à l'étranger, notamment en France,où il recevra le Prix de la Peur au festival d'Avoriaz. D'Amato envisage ensuite de faireréaliser par Soavi un film appelé Bloody birds (qui sera finalement réalisépar Claudio Lattanzi et sortira en France sous le titre L'attaque des morts-vivants(1987)), mais le jeune metteur en scène préférera se tourner vers la réalisation d'unfilm produit par Dario Argento : Sanctuaire (1988).
Bibliographie consultée :