Une colonie de fourmis vivant dans le désert de l'Arizona se met soudainement à agir de façon agressive et très organisée. Deux savants se rendent dans la région pour étudier ce phénomène.
Saul Bass est une figure connue du cinéma américain, bien que son rôle soit assezhors-norme. Il est en effet surtout célèbre comme concepteur de célèbres affiches (Autopsied'un meurtre (1959) d'Otto Preminger, Shining (1980) de Stanley Kubrick...)et de non moins fameux génériques (La mort aux trousses (1959) d'AlfredHitchcock, Spartacus (1960) de Stanley Kubrick, Casino (1995) de MartinScorsese...). Il a aussi effectué des travaux admirables encollaboration avec d'autres réalisateurs : il participe très activement à desséquences aussi fameuses que la bataille finale de Spartacus, les courses ensplit screen dans Grand Prix (1966) de John Frankenheimer, et même le mythiquemeurtre sous la douche de Psychose (1960) de Hitchcock. Pendant les années 1960,il tourne pour son compte des courts-métrages remarqués (Why man creates (1968)gagne l'Oscar de sa catégorie) et il se décide à tourner son propre long métrage avecle film de science-fiction Phase IV. Cette oeuvre mettant en scène de vraisfourmis, il s'adjoint les services du chef-opérateur Ken Middleham, qui s'étaitdistingué par son travail macrophotographique sur le documentaire Des insectes etdes hommes (1971). Middleham travaillera ensuite sur une autre film fantastiquegrouillant d'insectes : Les insectes de feu (1975) réalisé aux États-Unis parJeannot Szwarc. Phase IV met en vedette l'acteur britannique Nigel Davenport (Levoyeur (1960) de Michael Powell, L'île du docteur Moreau (1977) de DonTaylor...), Michael Murphy (Count Yorga, vampire (1970), Manhattan(1979) de Woody Allen, Shocker (1989) de Wes Craven....) et Lynne Frederick (Lecirque des vampires (1972) produit par la compagnie Hammer, le western Les quatrede l'apocalypse (1975) de Lucio Fulci, Schizo (1977)...).
Le style de Phase IV se veut d'une austérité documentaire. Refusant de donnerdans le folklore du genre (robots, effets spéciaux ostentatoires...), il affiche trèsnettement un caractère réaliste et très rigoureux. Ainsi, il s'ouvre sur lalecture de notes de scientifiques nous présentant la situation des chercheurs. Laréalisation est aussi d'une grande sévérité, en parfaite harmonie avec le regardscientifique des deux entomologistes du point de vue desquels nous sera raconté lerécit. Ils travaillent d'ailleurs dans un laboratoire très crédible, qui ne sacrifiejamais à des détails pseudo-futuristes ou décoratifs : on est très loin de l'universde Barbarella (1968) de Roger Vadim ou de La guerre des étoiles (1977).Le réalisme trouve aussi son compte dans le refus complet de tous trucages. Les insectesmis en scène sont de véritables fourmis, filmées à l'aide de techniques qui avaientalors plutôt leur place dans le domaine du documentaire scientifique. On assiste alors àde très spectaculaires séquences, telles : les fourmis combattant leurs prédateursnaturelles, les fourmis rapportant un morceau de produit insecticide à leur fourmilièreafin que la Reine conçoive de nouveaux insectes immunisés contre ce produit ; une fourmidévorant un câble électrique... Les insectes restent ici à une taille normale, et nedeviennent pas géantes (contrairement au classique Des monstres attaquent la ville(1954) de Gordon Douglas) : elles n'ont sont pourtant pas moins inquiétantes etredoutables, bien au contraire.
Saul Bass vient de l'univers du graphisme et on ne s'étonne pas, alors, que le style de PhaseIV bénéficie d'une originalité plastique à la fois moderne et puissante. Ainsi,il puise dans un répertoire de formes géométriques très épurées, allant dans lesens de la simplicité et de l'austérité. Le cercle a ainsi un rôle déterminant dansla mise en scène : les planètes dans l'espace au cours du prologue ; le cercle decéréales dévoré par les fourmis dans le champs ; le laboratoire a la forme d'unedemi-sphère ; la course du soleil dans le ciel revient souvent... Si toutes ses surfacesgéométriques évoquent le travail des peintres abstraits du début du vingtième siècle(Mondrian, Malevich...), elles sont aussi en harmonie avec le propos du film. Il n'estalors pas anormal qu'un monde colonisé par les fourmis soit présenté à l'aide d'unsystème visuel composé de formes géométriques et fonctionnelles en parfaiteadéquation avec l'intelligence hyper-rationnelle de ces insectes. Dans le mêmesens, les humains et les fourmis vont communiquer en se transmettant des schémascomposés de formes géométriques : en effet, les mathématiques étant universelles cheztoutes les espèces intelligentes, quand bien même elles ne partagent pas le mêmelangage. Autre élément moderne et original qui participe au ton singulier de PhaseIV, l'excellente musique que Brian Gascoigne (La forêt d'émeraudes (1985)de John Boorman...) a composé, essentiellement pour les séquences au sein de lafourmilière, crée une atmosphère étrange et inhumaine tout à fait appropriée.
Cette approche très moderne de la science-fiction s'inscrit nettement dans la descendancede 2001, l'odyssée de l'espace que ce soit, comme on l'a vu, dans le choix d'uneapproche réaliste et dépouillée, par le goût pour l'expérimentation technique ou parl'influence d'avant-gardes artistiques du XXème siècle. De même, les fourmilièress'élevant, telles des tours, dans le désert, rappellent immanquablement le monolithe duclassique de Kubrick. Bass va aussi se complaire dans une métaphysique énigmatique.Ainsi, il est difficile de savoir ce qui provoque l'évolution de fourmis vers une formede vie intelligente : le film reste assez flou là-dessus et certains spectateurs y ont vuune intervention extra-terrestre. De même, la fin laisse songeur. Un nouveau lien entreles hommes et les fourmis s'est créé et une nouvelle aube se lève sur la Terre,après laquelle plus rien ne comme avant. Les hommes vont-ils alors vivre en harmonie avecles fourmis ? L'humanité va-t-elle accéder elle-aussi à une nouvelle phase del'évolution ? Ou bien les humains vont-ils devenir esclaves des fourmis, voire êtreexterminés pour laisser la place à une nouvelle espèce dominante ? Bass ne répond pasvraiment à ces questions.
Malgré toutes ces ambitions louables, il est permis de trouver que Phase IV enfait un peu beaucoup dans l'austérité. Après un début qui éveille la curiosité duspectateur, le rythme du récit manque très gravement de densité, etle spectacle de Michael Murphy tournant les boutons d'instruments de mesure peutvite lasser. Le manque de progression des évènements finit par engendrer un film,lent, très inégal et assez froid, par lequel on peut avoir du mal à se sentirconcerné, notamment au cours des séquences mettant en scène les scientifiques.
Phase IV est indéniablement un film de science-fiction très ambitieux,intéressant et sérieux. Il n'en reste pas moins un peu trop ennuyeux et lent par moment,et sa manière de cultiver l'énigme peut laisser dubitatif. Ce sera le seul long métrageque réalisera Saul Bass, bien qu'il continuera à tourner des courts et moyens métrages,dont Quest (1983), co-réalisé avec son épouse Elaine Bass, d'après un textede Ray Bradbury. Phase IV va s'inscrire dans une vague de films d'inspirationécologique mettant en scène de sanglants affrontements entre les humains et la nature : Lesdents de la mer (1975) de Steven Spielberg, Alligator (1979) de SergioMartino, Morsures (1979) et ses chauves-souris... Les insectes tiendront unebonne place dans ce genre de films : Les insectes de feu qui met en scène descafards doués de pouvoirs surnaturels, L'empire des fourmis géantes (1977) deBert I. Gordon, Quand les abeilles attaqueront (1976) de Bruce Geller...
Bibliographie consultée :