TocCyclopédie ■ Époques

Dans une grande ville américaine, une bande malfrats, parmi lesquels un avocat réputé, font passer un chômeur, John Ellmann, pour le responsable d'un de leurs crimes avec lequel il n'a rien à voir. L'homme est envoyé à la chaise électrique et éxécuté. Mais des témoins se manifestent, trop tard, en sa faveur. Un savant, le docteur Beaumont, affirme être capable de ramener le défunt à la vie...



Le mort qui marche sort en 1936, alors que la production de films fantastiqueshollywoodiens était encore abondante suite aux succès des films Universal Dracula(1931) et Frankenstein (1931). La Warner Bros, sans être très énergique dansce domaine, a néanmoins produit quelques films confiés au réalisateur d'originehongroise Michael Curtiz : Docteur X (1932) et Masques de cires (1933)(tous deux en Technicolor bichrome), puis, un peu plus tard, Le mort qui marche.Au milieu des années 30, Curtiz n'est plus l'européen fraîchement débarqué àHollywood qu'il était à la fin des années 20. Il a fini par se tailler une place deréalisateur très respecté chez la Warner Bros, qui lui confie des projets ambitieux,comme le film social sur les mineurs Furie noire (1935). Il vient de réaliser CapitaineBlood (1935), son premier film d'aventures avec Errol Flynn qui allait propulser cedernier star du cinéma d'action et digne héritier de Douglas Fairbanks (Robin desbois (1922)...) : leur collaboration se poursuivra sur une série de dix films, dontplusieurs chefs d'oeuvre de l'aventure (Les aventures de Robin des bois (1938), L'aigledes mers (1940)...). Si l'acteur Boris Karloff (La momie (1932) de KarlFreund...) est indissociable des classiques horrifiques de la Universal, il a néanmoinstourné à maintes reprises pour des firmes concurrentes après être devenue une vedettegrâce à Frankenstein : Le masque d'or (1932) chez la MGM, Thehouse of Rotschild (1934) chez les Artistes Associés, Le baron Gregor(1935) chez Columbia... Tourné juste après Le rayon invisible (1936)(production Universal réalisée par Lambert Hillyer, avec Bela Lugosi), Le mort quimarche est son premier grand rôle chez la Warner. Curtiz bénéficie pour cefilm de l'aide de techniciens talentueux, tel le chef-opérateur Hal Mohr (Le chanteurde Jazz (1927), Capitaine Blood, Le fantôme de l'opéra (1943)d'Arthur Lubin, le western L'ange des maudits (1952) de Fritz Lang...) ou lemaquilleur Perc Westmore (Masques de cire, La vie privée d'Elizabethd'Angleterre (1939) de Curtiz, Arsenic et vieilles dentelles (1944) de FrankCapra...). Le docteur Beaumont est interprété par Edmund Gwenn (Des monstresattaquent la ville (1954), Mais qui a tué Harry ? (1955) de Hitchcock...),et on retrouve à ses côtés Marguerite Churchill (La fille de Dracula (1936) deLambert Hillyer...), Burton MacLane (Docteur Jeckyll et Mr. Hyde (1941) de VictorFleming, Le fantôme de la momie (1944) de Reginald Le Borg...)...
Le mort qui marche a la particularité de mêler de nombreux genres (gangsters,procès, science-fiction, horreur, drame social) dans un récit pour le moins compliquéet par moment légèrement abracadabrant. Loder, un politicien véreux proche de lapègre, est condamné par Roger Shaw, un juge trop intègre, pour des malversationslouches. Les gangsters proches de Loder, parmi lesquels son avocat Nolan, organise lemeurtre du juge et font porter le chapeau à John Ellmann, un pauvre musicien au chômagequi était venu naïvement demander de l'aide à l'homme de loi. Des témoins pourraientl'innocenter, mais les gangsters les menacent, et, finalement, ils ne se décideront àparler que trop tard. Ellmann aura déjà été éxécuté sur la chaise électrique.Pourtant, le docteur Beaumont parvient à ramener l'infortuné musicien à la vie grâceà une nouvelle technique de son invention. Mais Ellmann se réveille amnésique ; ilreconnaît instinctivement ses amis et ses ennemis, mais il n'a plus aucun souvenir de savie antérieure. Le procureur Werner lui demande de l'aider à retrouver les vraisassassins du juge Shaw, tandis que le docteur Beaumont tente de lui faire avouer lessecrets auxquels il a eu accès lors de son passage dans l'au-delà...


Comme dans Docteur X et Masques de cire, Curtiz refuse d'aborder lefantastique en passant par une ambiance gothique et brumeuse ou par un décor exotique sichers l'Universal (l'Europe centrale de Frankenstein, le Londres brumeux de Dracula...).Le mort qui marche s'inscrit dans la réalité d'une ville américaine desannées 30, avec toute sa misère sociale découlant de la crise de 1929 (Ellmann estchômeur...) et l'omniprésence de la pègre et de la corruption, y compris dans lesmilieux politiques. Les décors sont essentiellement ceux d'une grande ville grouillantd'automobiles rapides, de journalistes et de réceptions mondaines auxquelles on se renden smoking. Le docteur Beaumont officie dans un laboratoire moderne situé dans saclinique, et non pas dans quelque sinistre donjon.


Ce n'est pas la première fois que l'on voyait un zombie hanté un film hollywoodien. Lesmorts vivants (1932) de Victor Halperin tenta de marcher sur les traces du succès deDracula : Bela Lugosi y est capable de créer des zombies grâce à quelqueancienne formule vaudou. Mais ce film ne connut pas vraiment une postérité immédiate,bien qu'on retrouve Karloff en mort-vivant dans Le fantôme vivant (1934) de T.Hayes Hunter. Le mort qui marche explore donc un terrain encore relativementvierge. Si, par ses objectifs (rendre la vie à un mort), le docteur Beaumont rappellenettement de le professeur Frankenstein, il ne nous est pourtant pas présentécomme les habituels savants plus ou moins fous de Hollywood. Lorsqu'il ramène Ellmann àla vie, c'est pour réparer une injustice. Son succès, loin de faire de lui un pariaincompris, est salué par les scientifiques du monde entier et la société dans sonensemble. De plus, il ne nous est jamais présenté comme un exalté ou un irresponsablemalfaisant. La mort de Ellmann est si injuste que le spectateur se réjouit de le voirsauvé par le scientifique. Toutefois, il cultive aussi des interrogations métaphysiquesqui lui font espérer des révélations de la part d'Ellmann sur un thème macabre,certes, mais qui nous intéresse tous : qu'y a-t-il au-delà du moment la mort ?


Ellmann le zombie est présenté ici comme un personnage pathétique et tragique, dans lagrande tradition des meilleurs films de monstre hollywoodien (Le fantôme de l'opéra (1925)avec Lon Chaney, Frankenstein, King Kong (1933) de Schoedsack etCooper...). Déjà de son vivant, Ellmann est un homme un peu perdu. Après avoir passédix ans en prison pour avoir tué sa femme (il affirme qu'il ne s'agissait que d'unaccident), ce musicien se retrouve à la rue sans le sou. La pègre locale,confortablement installée avec la complicité des notables et des politiciens de laville, lui font porter le chapeau dans une affaire de meurtre, et il est condamnéinjustement à la chaise électrique : ses derniers instants avant l'exécution donnentlieu à une séquence magnifique et mélodramatique. Revenu d'entre les morts, il n'estplus le même. Les traits alourdis, le regard hagard, traînant péniblement sa carcasse,il est incapable de se souvenir de quoi que ce soit avant que le docteur Beaumont ne l'aitextirpé du royaume des morts. Ellmann parvient à jouer de la musique comme auparavant,reconnaît ses ennemis, mais ne peut pas se rappeler des faits qui ont entraîné sonexécution. Même revenu d'entre les morts, on cherche encore à le manipuler, que ce soitle procureur pour arrêter les malfaiteurs, ou le docteur Beaumont pour lui soutirer lessecrets de l'au-delà. De plus, pour se protéger, la pègre cherche à l'abattre unenouvelle fois ! Ellmann erre, perdu, dans ce monde qu'il ne comprend pas. Il se rend aucimetière et dit "J'appartiens à cet endroit", comme le monstre deFrankenstein affirmait lucidement "J'appartiens à la Mort" à la fin de Lafiancée de Frankenstein (1935). Entouré partout où il se rend d'un aura surnaturelterrible, il sème, malgré lui, une terreur mortelle parmi les gangsters qui ontprovoqué sa perte du temps de son vivant. Est-il besoin de préciser que Karloff est ànouveau impeccable ? Il compose un mort-vivant pathétique, à la fois coupé du monde parson caractère fantomatique et irréel, et en même temps si terriblement humain, siterriblement touchant.


Pour faire tenir en une heure un récit aussi dense et compliqué, il fallait bien le sensdu rythme et de l'efficacité de Michael Curtiz. Si il parvient sans problème à rendrepar son style nerveux l'état d'excitation de la vie urbaine, il sait aussi, enralentissant opportunément son tempo, nous faire ressentir la nature surnaturelled'Ellmann le mort-vivant. Il souligne ainsi le décalage complet, le contraste saisissantentre le monde des vivants, plein de bruit et d'activité, et la lenteur hagarde de cezombie dont les gestes et les pensées sont rythmés par le temps des morts. Soulignonsencore quelques magnifiques séquences, telle la mise en oeuvre expressionniste duprocessus inventé par Beaumont pour ramener Ellmann à la vie, au milieu des superbesdécors d'un laboratoire bourré de dispositifs électriques angoissants. Évidemment lamagnifique scène où Ellmann reconnaît ses bourreaux et les dévisage avec uneintensité angoissante au cours du concert de piano, est un sommet de l'artcinématographique de Michael Curtiz et du jeu dramatique de Boris Karloff.


Certes, on peut reprocher, par ci par là, une tendance à un peu trop pousser dans lemélo, ou des rebondissements parfois un peu tirés par les cheveux. Il n'en reste pasmoins que Le mort qui marche est un film remarquablement riche, réalisé etinterprété de mains de maîtres, qui aborde le fantastique sans cynisme ni nonchalance.Toutefois, 1936 a aussi marqué un très net ralentissement de la production de filmsd'horreur suite à de mesures de censure très sévères aux USA et, surtout, enGrande-Bretagne. Ainsi, la Universal ne fit pas de films d'horreur en 1937 et 1938.Néanmoins, Le mort qui marche allait tout de même avoir une certaine influence.Ainsi, dans Le retour du docteur X (1939), tourné par Vincent Sherman pour laWarner, un savant ramène à la vie un autre scientifique, le docteur Xavier, incarné parHumphrey Bogart (Casablanca (1942) de Curtiz...), qui se retrouvent avec lesmêmes mèches blanches que le Ellmann zombifié de Le mort qui marche. Celuiqui avait tué la mort (1939) de Nick Grinde, met cette fois en scène Karloff dansle rôle du savant : arrêté et condamné à mort pour avoir mener des expériencesdouteuses, il est ramené à la vie grâce à une de ses invention mise en oeuvre par unde ses assistants.



Bibliographie consultée :

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