Au XVIème siècle, en Espagne, Francis Barnard, un anglais, se rend au château de Nicholas Medina, l'époux de sa sœur Elisabeth, décédée il y a peu. Il apprend que celle-ci serait mystérieusement morte de peur et que son spectre hanterait encore le palais...
La chute de la maison Usher (1960) de Roger Corman a été un gros succès :tourné avec 200 000 dollars, il en rapporte plus d'un million au cours de sa premièreexploitation. C'est un soulagement pour sa compagnie productrice, l'AIP, qui avait pris ungros risque avec ce film. Ses dirigeants réclament donc à Corman une nouvelle adaptationd'Edgar Poe. Ce dernier pense d'abord à transcrire Le masque de la mort rouge,mais la vision qu'il en a est trop proche de Le septième sceau (1957), le chefd'oeuvre d'Ingmar Bergman qui avait beaucoup fait parler de lui à la fin des années 1950.Corman décide alors de se reporter sur Le puits le pendule, pour sa secondetransposition cinématographique des œuvres d'Edgar Allan Poe : en France, le filmsortira sous le titre La chambre des tortures. Mais avant de commencer cetournage, Corman trouve quand même moyen, pour se changer les idées, de tourner un petitfilm de guerre (Ski troop attack (1960)) et un péplum (Atlas (1960)filmé en Grèce : le producteur local de cette oeuvre ayant fait faillite, il aété tourné avec des moyens ridicules). Pour La chambre des tortures, Cormanréunit la même équipe que pour La chute de ma maison Usher : Robert Mathesonrédige le scénario, Daniel Haller se charge des décors, Floyd Crosby est chefopérateur et Les Baxter compose la musique. Les moyens sont les mêmes : deux semaines detournage, 200 000 dollars, cinémascope et couleurs. C'est évidemment Vincent Price quitient le rôle principal, celui de Nicholas Medina, fils d'un serviteur ultra-zélé del'inquisition espagnole. A ses côtés, on retrouve Barbara Steele, actrice d'origineirlandaise qui venait d'être repéré dans Le masque du démon (1960) del'italien Mario Bava : elle allait devenir une vedette du cinéma fantastique des années1960 (Danse macabre (1964) de Margheriti, Les amants d'outre-tombe (1965)de Caiano...). On trouve aussi au casting John Kerr (La toile d'araignée (1955)et Thé et sympathie (1956) de Vincente Minelli...), Anthony Carbone (Unbaquet de sang (1959) et The last woman on earth (1960) de RogerCorman...)...
La géniale nouvelle Le puits et le pendule d'Edgar Allan Poe ne se prête pas, apriori, à une adaptation sous la forme d'un long métrage. Dans ce texte de quelquespages, des bourreaux invisibles font subir à un personnage, enfermé dans les ténèbres,une série de supplices d'une cruauté hallucinante. L'instrument de torture le plusfameux y est le "pendule", énorme lame se balançant de droite à gauche, defaçon à décrire une portion de cercle, descendant régulièrement de quelquescentimètres vers sa victime attachée au sol, de façon à le couper en deux,petit à petit, au niveau du ventre. Corman et Matheson n'ont retenu des éléments de lanouvelle que pour le dernier quart d'heure du film. La première heure se compose en faitd'une intrigue inspirée assez directement par La chute de la maison Usher. On nes'étonne pas alors de retrouver de nombreuses similitudes entre les deux œuvres deRoger Corman La chute de la maison Usher et La chambre des tortures.Dans les deux cas, c'est la hantise de l'enterrement vivant, si chère à Edgar Poe, quidomine l'histoire. On retrouve même cet enjeu à trois reprises dans La chambre destortures ! Pourtant, il s'y superpose une machination étonnante, qui n'est pas sansrappeler Sueurs froides (1957) de Hitchcock, par exemple. Des élémentspsychanalytiques et psychiatriques rentrent en jeu : culpabilité, auto-punition,traumatisme enfantin... Tout cela est construit assez habilement et, contrairement à Lachute de la maison Usher, n'aboutit pas à une lourde séquence onirique. Ons'étonne néanmoins un peu de voir des espagnols de la Renaissance parler avec autantd'aisance de l'inconscient ou d'auto-châtiment. De plus certains passages affectent unelenteur qui donne tout de même une impression de remplissage (l'expédition de Nicholas,seul, dans les caves).
Ici, la plus grande réussite est indéniablement plastique. Les décors de Daniel Haller,dont certains éléments sont des remplois habiles de ceux de La chute de la maisonUsher, sont magnifiques. La vaste crypte ou la réserve des vieuxinstruments de tortures sont des sommets du décorum gothique. Des mate-paintingmagnifiques sont utilisées avec beaucoup de talent (les extérieurs du château,notamment). Le plus spectaculaire reste la chambre du "Puits" (fosse serait plusappropriée pour La chambre des tortures) et du "Pendule". Combinantune magnifique restitution du mécanisme démoniaque inventé par Poe et un splendideMate painting, cette sinistre pièce sous-terraine accueille le clou du film : sontrès spectaculaire et très fameux final. Le terrible pendule est mis en oeuvre au coursd'une séquence d'une brutalité et d'une efficacité peu commune, surtout dans les filmsde Corman d'après Edgar Poe, qui ont toujours un rythme assez languide. Ici, grâce à unmontage d'une puissance étonnante et une bande-son éprouvante, on s'accroche auxaccoudoirs de son fauteuil chaque fois que la redoutable lame passe au dessus de lavictime potentielle. Pour l'anecdote, Corman était peu satisfait du pendule au moment dutournage, car il trouvait que son balancement était trop lent : il l'a donc accéléréen post-production, en retirant une image sur deux dans les plans dans lequelles la machine est enmouvement. Dans cette scène, on regrette quand même le présence de quelques effetspsychédéliques (couleurs, déformations) qui amoindrissent un peu son impact.
Un autre atout de La chambre des horreurs est indéniablement la présence deVincent Price. Il nous rejoue ici un personnage assez proche de Roderick dans La chutede la maison Usher. Fragile et délicat, paraissant en permanence à deux doigts desombrer dans la folie, Nicholas est un personnage pathétique, si bien que l'acharnementde Francis à son encontre semble même injuste. On regrette peut-être qu'il cabotine unbrin trop dans la final. Tous les autres comédiens sont irréprochables. Tout au plusaurait-on peut-être aimé voir un peu plus Barbara Steele, toujours impeccable.
La chambre des tortures souffre certes de petits défauts et de petites longueursdans son récit. Il n'en reste pas moins un régal pour ses acteurs, sa superbe ambiancefantastique, sa magnifique photographie en scope et en couleurs, ainsi que pour sessomptueux décors. La chambre des tortures allait connaître un très grossuccès, encore plus important que La chute de la maison Usher. Corman, seplaignant alors de ne pas toucher suffisamment d'argent, décida de faire son adaptationsuivante de Poe pour Pathé America, sans la compagnie AIP. Mais cette dernière réussiranéanmoins à racheter l'affaire, et L'enterré vivant (1962), le troisièmePoe-Corman, sera bien un film AIP !
Bibliographie consultée :