Un soir de tempête, trois voyageurs égarés en plein pays de Galles trouvent refuge dans une demeure sinistre habitée par une étrange famille : les Femm...
Frankenstein (1931), réalisé par James Whale et interprété par Boris Karloff,a été un triomphe : pour un budget de 300.000 dollars, il en rapporte...cinq millions au cours de sa première sortie ! C'est une excellente affaire pour sacompagnie productrice, Universal, qui connaissait alors des difficultés financières. Ilscomprennent vite qu'ils ont, avec Karloff, une vedette de l'horreur doublée d'un acteurmature et compétent. Rapidement, on commence à lui chercher un nouvel emploi dans ledomaine de l'angoisse : les scénaristes de l'Universal, parmi lesquels Robert Florey, semettent à plancher pour lui proposer des rôles de loup-garou, d'homme invisible ou demomie. De son côté, le réalisateur James Whale enchaîne rapidement, mais sans beaucoupde conviction, sur Impatient maiden (1932), un mélodrame sentimentalinterprété par un couple de jeunes premiers vedettes à la Universal : Mae Clarke et LewAyres. Whale encourage aussi Universal à se procurer les droits de Benighted, unroman de J.B Priestley : des scénaristes en tirent le script d'Une soirée étrangeque Whale réalise lui-même. Boris Karloff, à nouveau maquillé par Jack Pierce(Frankenstein...), y interprète le rôle de Morgan, l'inquiétant valet muet. On remarque aussi, parmi les voyageurs égarés, l'acteur britanniqueCharles Laughton (L'île du docteur Moreau (1933), Quasimodo (1939) deDieterle...), dont c'était le premier rôle à Hollywood ; il deviendra vraiment une staravec La vie privée d'Henri VIII (1933) d'Alexander Korda. On note aussi lesprésences de Gloria Stuart (L'homme invisible (1933) de James Whale...) et deErnest Thesiger (Le fantôme vivant (1934) encore avec Karloff, La fiancéede Frankenstein (1935) où il est inoubliable en docteur Pretorius...).
Mais, le récit d'Une soirée étrange consiste avant tout en la révélationprogressive des habitants et des secrets hantants cette "maison de la mort". Onrencontre d'abord le valet Morgan, énorme brute dont le visage bestial est parcouru parde larges balafres : supportant fort mal l'alcool, il devient dangereusementincontrôlable après en avoir bu. C'est évidemment Boris Karloff, encore admirablementmaquillé par Jack Pierce, qui incarne ce personnage monstrueux. Puis, on est introduitauprès des inquiétants maîtres de maison, Horace et Rebecca Femm, qui sont frère etsœur : elle est une bigote inquiétante et menaçante, tandis que, sous desapparences guindés, il semble en permanence rongé par une angoisse indicible. D'autrespersonnages de cette famille, cachés dans la maison, nous seront révélés, tel lepatriarche centenaire Roderick (on pense évidemment à la nouvelle La chute de lamaison Usher d'Edgar Poe). Progressivement, l'humour va s'atténuer, tandis qu'Unesoirée étrange s'enfonce lentement dans une troublante atmosphère de démence.
Si son récit ne contient pas véritablement d'éléments aussi nettement fantastiquesqu'un Dracula (1931) ou un Frankenstein, Une soirée étranges'inscrit dans la tradition du cinéma horrifique par l'ambiance de sa sinistre demeure.Les splendides décors gothiques et poussiéreux de cette bâtisse sont encore l'oeuvre deCharles D. Hall (Le kid (1921) de Chaplin, Le fantôme de l'opéra(1925), Frankenstein...) : il avait déjà conçu une fameuse maison lugubre dansLa volonté de mort (1927) de Paul Leni, un autre classique de l'épouvante. Dansle même sens, les images raffinées, jouant sur un noir et blanc sombre etinquiétant, sont le fruit du travail magnifique effectué par le très grandchef-opérateur Arthur Edeson (Le voleur de Bagdad (1924) avec Douglas Fairbanks,Frankenstein, L'homme invisible, Le faucon maltais (1941) deJohn Huston...). L'oppression ressentie par les voyageurs est encore rendue par uneattention particulière à rendre certains détails étranges : tels ces cris d'enfantderrière une porte lourdement verrouillée, la mystérieuse silhouette qui vientterroriser Margaret tandis qu'elle s'amuse à faire des ombres chinoises sur un mur...Certaines trouvailles horrifiques sont fabuleuses : le geste incroyablement brutal deMorgan, ivre, se jetant sur une fenêtre pour en briser la vitre ; ou encore l'apparitiongéniale de la main immobile en haut de la rampe de l'escalier... De même, lorsqueRebecca harcèle Margaret, la réalisation a recours, pour créer un sentimentd'étrangeté, à des effets de réalisation expérimentaux (montage serrés, refletsdéformants, modification de la texture sonore...) innovants et efficaces.
L'angoisse culmine dans la conclusion du métrage, lorsque le plus dangereux membre de lafamille Femm est libéré dans la demeure et y sème la terreur. La tension, la violenceet la cruauté de ces séquences d'affrontement sont tout à fait remarquables. Personnageambigu et inquiétant, ce sadique est aidé par le redoutable valet Morgan qui va semontrer particulièrement menaçant envers Margaret dans une scène célèbre, au cours delaquelle il s'approche d'elle, la saisit et lui caresse la joue, fasciné : Karloff estdécidément toujours aussi excellent !
Malgré toutes ses qualités, on peut trouver que Une soirée étrange estlégèrement moins bons que les autres films d'horreur de James Whale à la Universal. Lamise en place des personnages et de l'intrigue est peut-être un peu trop lente etthéâtrale, et le récit n'a pas la force des grands mythes du cinéma fantastique qu'ila illustré dans ses autres films (Frankenstein, L'Homme invisible, Lafiancée de Frankenstein...).
Néanmoins, tout cela n'enlève rien à la rigueur et à l'invention de la mise en scènede James Whale, ni au talent formidable de tous ses interprètes. Par son ambiance terrifiante, Une soirée étrange reste un grand classique très influent,notamment dans le domaine du cinéma de "maison hantée". On notera que WilliamCastle (La nuit de tous les mystères (1958)...) en tourna un remake avec Theold dark house (1963). Après Une soirée étrange, James Whale tournera unautre film d'horreur fameux, L'homme invisible, sans Boris Karloff cette fois. Cedernier va notamment interprété le redoutable docteur Fu Manchu dans Le masque d'or(1932) pour la MGM, avant de créer le rôle d'un nouveau monstre terrible pour laUniversal : La momie (1932) de Karl Freund.
Bibliographie consultée :