Le comte Dracula arrive en pleine nuit à la clinique du docteur Edelman et lui demande de le guérir de son vampirisme. Plus tard, le lycanthrope Larry Talbot rend visite au savant et souhaite, lui aussi, être débarassé de sa terrible malédiction. Edelman accepte et se met au travail...
Bien que la fin de La maison de Frankenstein (1944) laissait pour mort le comte Dracula, le monstre de Frankenstein et le loup-garou Larry Talbot, ce film a eu un tel succès que la Universal décida de rajouter un nouveau segment à sa série de films parlants fantastiques amorcée par Dracula (1931) de Tod Browning. La même équipe se retrouva donc pour tourner ce La maison de Dracula : c'est à nouveau John Carradine (La chevauchée fantastique (1939) de John Ford, Les dix commandements (1956) de Cecil B. DeMille...) qui incarne Dracula ; Lon Chaney jr. reprend le rôle du lycanthrope qu'il a créé dans Le loup-garou (1941) de George Waggner ; Glenn Strange (Le corbeau noir (1943) de Sam Newfield...) incarne pour la seconde fois la créature du docteur Frankenstein. Toutefois, Boris Karloff (Frankenstein (1931)...), qui jouait le docteur Niemann dans La maison de Frankenstein n'est plus au générique : son personnage apparaît pourtant dans le film... sous la forme d'un squelette abandonné au fond d'une grotte ; de plus on voit Karloff dans des extraits de La fiancée de Frankenstein (1935) de James Whale, qui nous sont resservis ici pour illustrer une scène onirique accompagnant les délire du docteur Edelman. L'équipe technique reste aussi très semblable : outre le maquilleur Jack Pierce (Frankenstein...) et le responsable des effets optiques John P. Fulton (L'homme invisible (1933) de James Whale...), incontournables dans les productions fantastiques de la Universal, on retrouve le chef-opérateur George Robinson (La fille de Dracula (1936), Le fils de Frankenstein (1939)...) et le décorateur Russell A. Gausman (Le fils de Frankenstein, Les survivants de l'infini (1954) de Joseph F. Newman...). Surtout, le réalisateur Erle C. Kenton (L'île du docteur Moreau (1933), Le spectre de Frankenstein (1942), La maison de Frankenstein...) poursuit ic son travail sur les films d'horreur Universal.
Dans La maison de Dracula, le lien entre les monstres va être la clinique du docteur Edelman, située dans une petite ville d'Europe centrale. Dracula s'y rend le premier (de nuit, bien évidemment) et demande au savant de le guérir de sa malédiction vampirique. Edelman se met au travail et propose un remède au mal du comte, remède qui exige des transfusions sanguines entre le médecin et le malade. Le vampire retrouve dans la clinique la belle Miliza, une femme qu'il a connu des années auparavant, et qu'il cherche à séduire : il ne semble, dès lors, plus très préoccupé par sa guérison... Larry Talbot va aussi se rendre auprès du docteur Edelman et le supplier de faire cesser ses crises de lycanthropie. Ce loup-garou malgré lui est un patient plus sérieux, bien décidé à suivre les prescriptions de l'homme de science : mais, dans un excès de désespoir provoqué par la durée très longue de la préparation de son traitement, il va chercher à se suicider en se jetant du haut d'une falaise. Le docteur retrouve Talbot dans une grotte marine, ainsi que... le corps du monstre de Frankenstein, entraîné ici après avoir sombré dans un marécage à la fin de La maison de Frankenstein ! Notons au passage que le scénariste ne propose une explication relativement rationnelle que pour le retour de cette créature. En effet, dans La maison de Frankenstein, Dracula périssait désintégré par les rayons du soleil, tandis que Larry Talbot mourrait d'une balle d'argent en plein cœur : on retrouve pourtant ces deux monstres en parfaite santé au début de La maison de Dracula, sans aucune explication !
Bref, comme on le voit, le pivot autour duquel va s'organiser le script de La maison de Dracula est le bon docteur Edelman : non content d'héberger dans sa clinique deux patients aussi dangereux que Dracula et Larry Talbot, il va, en plus, y entreposer le monstre de Frankenstein inanimé dans un laboratoire. Il sera bien tenté de lui rendre la vie, mais la brave infirmière Nina saura le raisonner et le faire renoncer à cette périlleuse entreprise. D'autre part, Dracula va cruellement injecter un peu de son sang maudit à Edelman, ce qui va en faire un être hybride, mi-homme mi-vampire : normal et pacifique le jour, il devient une hideuse bête cruelle et assoiffée de sang à la tombée de la nuit. Edelman, incarné par un excellent Onslow Stevens (Des monstres attaquent la ville (1954) de Gordon Douglas...), devient donc un personnage au croisement du loup-garou et du vampire, évoquant le roman Docteur Jeckyll et Mr. Hyde de Stevenson. Si il va rencontrer tous les monstres, on note toutefois que les récits concernant Dracula et Larry Talbot évoluent parallèlement : les deux personnages ne se croiseront qu'au détour de quelques plans. De même Dracula ne fraiera pas avec le monstre de Frankenstein au cours de ce métrage. Notons d'ailleurs que cette pauvre créature est ici bien mal lotie, puisqu'elle passera l'essentiel du film allongée sur une table d'opération, attendant que quelqu'un veuille bien mettre en marche les machines électriques qui lui rendront le souffle de la vie : ce n'est que dans les toutes les dernières minutes qu'il interviendra enfin, ayant à peine le temps de faire quelques pas avant de se prendre plusieurs tonnes de poutres enflammées en travers de la figure (scène par ailleurs confectionnée à partir de plans piqués dans Le spectre de Frankenstein de Kenton).
Certes, tout cela peut sembler assez confus. Il faut pourtant reconnaître que La maison de Dracula bénéficie d'un script bien construit, reliant plutôt habilement les histoires des différents personnages les unes aux autres. Les rebondissements sont nombreux, et le film est mené tambour battant, si bien qu'il pourra même sembler un peu trop copieux au bout d'un moment ! Mais, malgré tout, ce récit reste un prétexte à réunir une galerie de monstres dans une même aventure fantastique. La richesse des thématiques fantastiques et l'émotion liée aux portraits des grands monstres (Frankenstein, La momie...) sont hélas négligées (malgré l'interprétation toujours touchante de Lon Chaney jr.). De plus, les histoires ont parfois tendance à se parasiter légèrement : à peine s'attache-t-on à Larry Talbot qu'on est sommé d'aller suivre les aventures romantiques de Dracula ; à peine est-on sous le charme envoûtant du prince des vampires qu'on est entraîné dans les malheurs du docteur Edelman...
Toutefois, La maison de Dracula bénéficie des qualités techniques propres aux meilleurs films fantastiques de la Universal. Les maquillages de Jack Pierce sont irréprochables, les trucages de Fulton sont impressionnants (les métamorphoses de Dracula sont magnifiques), les décors sont nombreux et fort beaux (grande bâtisse gothique au bord de l'océan, laboratoire plein d'instruments électriques, village d'Europe centrale, caverne lugubre...). Les éclairages sont toujours d'un grand raffinement (ombres géantes, éclairage du visage du "méchant" Edelman) et la réalisation est trés solide, capable de passer de scènes romantiques (Dracula séduisant Miliza...) à des séquences horrifiantes traditionnelles. Tout au plus regrette-t-on l'emploi de quelques stock-shots (La fiancée de Frankenstein et Le spectre de Frankenstein, comme indiqué plus haut), néanmoins assez discrets.
La maison de Dracula est donc un film sympathique, bien réalisé et interprété, qui n'ennuie jamais le spectateur. Pourtant, la dispersion du récit entre plusieurs personnages, l'impression de redite par rapport à certains des films précédents de la Universal, ainsi qu'une sensation de surenchère nuisent à cette oeuvre qui est loin d'être aussi émouvante que les films les classiques les plus réussis du cycle horrifique Universal.
La maison de Dracula a le triste privilège de clore la série de films d'épouvante parlants commencée par la Universal en 1931 avec Dracula, série qui avait mise en place la plupart des grands mythes fantastiques du cinéma populaire du vingtième siècle : les vampires, le monstre de Frankenstein, la momie, l'homme invisible... Pourtant la Universal allait encore employer ses chères créatures dans des parodies interprétées par les comiques Abbot et Costello : lancés par cette compagnie avec One night in the tropics (1940), ce tandem allait donc rencontrer Dracula (Bela Lugosi), le monstre de Frankenstein (Glenn Strange), le loup-garou (Lon Chaney jr.) et l'homme invisible (Vincent Price) dans Deux nigauds contre Frankenstein (1948) de Charles Barton ; on les retrouvera avec des monstres célèbres dans : Deux nigauds et l'homme invisible (1951) de Charles Lamont ; Deux nigauds contre docteur Jeckyll et M. Hyde (1953) avec Boris Karloff ; et le final Deux nigauds et la momie (1955) encore de Charles Lamont. Mais, dans le domaine de l'horreur pure, ces fameux monstres vont se voir cantonner à des petites productions de firmes secondaires, généralement peu fidèles aux caractères originaux de ces mythes (la compagnie AIP proposera I was a teenage werewolf (1956) de Gene Fowley jr, I was a teenage Frankenstein (1957) et Blood of Dracula (1957) de Herbert L. Strock)... En effet, les grandes compagnies hollywoodiennes se concentrent alors, en ce qui concerne le fantastique, avant tout sur la science-fiction (la Universal proposera, entre autres, Le météore de la nuit (1953) et L'homme qui rétrécit (1957) ; la MGM produira La planète interdite (1956)...). Toutefois, à l'étranger, les grands mythes de l'horreur sont encore exploités, avec parfois un certain succès : par exemple la Turquie propose Drakula Istanbulda (1953) de Mehmet Mutar, tandis que le Mexique produit Les proies du vampire (1957) de Fernando Mendez avec son redoutable vampire incarné par German Robles. Surtout, en Grande-Bretagne, berceau du roman gothique, la petite compagnie Hammer va faire réaliser par Terence Fisher Frankenstein s'est échappé ! (1957) et Le cauchemar de Dracula (1958), interprétés par Peter Cushing et un inconnu dénommé Christopher Lee. Ces deux films connaîtront un succès retentissant et relanceront la production de films d'horreur classiques pour une bonne dizaine d'années...
Bibliographie consultée
- Midi-Minuit fantastique, numéro 4-5, janvier 1963.
- Premier plan 51 : Frankenstein de Jean-Claude Michel (non crédité) et Jean-Paul Bouyxou, SERDOC, septembre 1969.
- L'écran fantastique, seconde série, numéro 2 (second trimestre 1971).
- The Dracula book de Donald F. Glut, The Scarecrow Press Inc., 1975.
- Les visages de l'horreur de Philippe Ross, Edilig, 1985.
- L'écran fantastique, troisième série, numéros 3 (premier trimestre 1978), 7 (quatrième trimestre 1978), 8 (premier trimestre 1979) et 130 (janvier 1993).
- Mad Movies numéro 88 (mars 1994)
- Fantastyka numéro 6 (quatrième trimestre 1994)
- Ze craignos monsters, le retour de Jean-Pierre Putters, Editions Vents d'ouest, 1995.