TocCyclopédie ■ Époques

Alors que Van Helsing vient de tuer Dracula en lui plantant un pieu en plein cœur, des policiers arrêtent ce chasseur de vampires. Peu après, le cadavre de Dracula est volé par une femme étrange...



Dès 1931, la compagnie Universal commence à faire travailler ses scénaristes sur une suite de son gros succès Dracula (1931) de Tod Browning : la nouvelle histoire sera très vaguement inspirée par L'invité de Dracula, une nouvelle de Bram Stoker. Puis, cette firme, qui avait connu quelques difficultés financières dans la première moitié des années 30, obtient de bons résultats commerciaux grâce à La fiancée de Frankenstein (1935), suite du Frankenstein (1931) de James Whale. Produire des suites des grands succès du cinéma fantastique paraît alors une entreprise très rentable. Par conséquent, Universal décide enfin de tourner la suite de Dracula. Le réalisateur, Lambert Hillyer, est avant tout un grand réalisateur de western (il tourne des classiques comme La révélation (1917) ou La caravane (1919) avec William S. Hart, grande vedette de ce genre...) ; au milieu des années 30, il filme pour la Universal Le rayon invisible (1936), une oeuvre fantastique interprétée par les deux stars Boris Karloff (Frankenstein...) et Bela Lugosi (Dracula...) ; on lui confie aussitôt après la réalisation de La fille de Dracula. Le rôle-titre est tenu par Gloria Holden, une comédienne de théâtre d'origine britannique qui commençait sa carrière hollywoodienne cette année-là : comme elle était inconnue du grand public, il était facile à la Universal d'orchestrer la promotion du film en entourant son interprète principal d'un épais et inquiétant mystère (comme elle l'avait déjà fait pour Lugosi dans Dracula, Karloff dans Frankenstein, ou Claude Rains dans L'homme invisible (1933)) ; on la retrouvera l'année suivante dans l'immense succès La vie d'Emile Zola (1937) de William Dieterle, mais le reste de sa carrière sera cantonné essentiellement à des seconds rôles (Pilote d'essai (1938) de Victor Fleming, Face au soleil levant (1943) d'Edward Dmytryk...). A ses côtés, on trouve Otto Kruger (L'île au trésor (1934) de Victor Fleming, Cinquième colonne (1942) d'Alfred Hitchcock...), qui fut d'abord une vedette de théâtre. On retrouve, toujours dans le rôle de Van Helsing, Edward Van Sloane (Dracula, Frankenstein, La momie (1932) de Karl Freund...). L'inquiétant serviteur de la comtesse Zaleska est interprété par Irving Pichel (Cléopâtre (1934) de Cecil B. DeMille, L'insoumise (1938) de William Wyler...), par ailleurs important réalisateur de cinéma fantastique (La chasse du comte Zaroff (1932) co-réalisé par Ernest Schoedsack, Destination lune (1950)...).
Le fille de Dracula est une suite très directe de Dracula : en effet, le récit commence à l'instant précis auquel s'achève le premier film. Des policiers découvrent alors Van Helsing entre les corps de Renfield et du comte Dracula, et l'arrêtent pour meurtre. Les deux cadavres sont alors déposés en prison, où la comtesse Zaleska, la fille de Dracula, va dérober celui de son père et se livrer à une étrange cérémonie : elle va exorciser le comte afin de lever la malédiction pesant sur lui et, ainsi, libérer son âme d'une immortalité tourmentée. Elle pense qu'en soulageant ainsi le comte Dracula, elle annihilera la malédiction vampirique qui pèse aussi sur elle.

La comtesse Zaleska est un personnage à la nature double. Vampire par nature, elle n'aspire qu'à échapper à cette condition maléfique à redevenir humaine. Elle va tenter plusieurs moyens (magie noire, psychiatrie...) afin de mettre un terme à ce terrible mal. Attachante et émouvante par sa volonté de se défaire de sa nature monstrueuse, elle est aussi menaçante lorsqu'elle part en chasse de proies dans les rues nocturnes des villes anglaises. Fascinant aussi bien les hommes que les femmes, il émane de ce personnage une séduction érotique et ambiguë, toujours rendue avec délicatesse. Gloria Holden, belle femme brune aux yeux d'un noir profond, incarne à merveille toutes les nuances de ce rôle et parvient à donner une vraie épaisseur humaine à son personnage (les femmes-vampires qu'on avait vu dans Dracula ou La marque du vampire (1935) étaient réduites à de simples présences spectrales) : élégante de silhouette, vêtue de robes sombre, elle évoque un peu Maria Casarès incarnant la Mort du poète dans Orphée (1949) de Jean Cocteau. Gloria Holden crée de manière très crédible un nouveau monstre dans la galerie horrifique de la Universal et se montre tout à fait digne, par la qualité et la profondeur de son interprétation, du travail d'un Boris Karloff (Frankenstein...) ou d'un Bela Lugosi (Dracula...). La comtesse est secondée par Sandor, son inquiétant domestique, qui, de manière totalement opposée à elle, est un humaine qui brûle d'accéder à l'immortalité et de devenir un vampire. Là aussi, l'interprétation tragique et sombre d'Irving Pichel, par ailleurs discrètement maquillé par Jack Pierce (Frankenstein...), fait merveille.

Surtout, on est frappé par la qualité du travail sur l'atmosphère. La richesse, l'élégance et le mystère de l'ambiance des films d'épouvante de la Universal sont ici à leur sommet. L'équipe technique est rôdée et habile : le compositeur Heinz Roemheld (L'homme invisible, Le monstre de Londres (1935)...) ; le chef-opérateur George Robinson (Le rayon invisible, Le fils de Frankenstein (1939)...) ; le décorateur Albert S. D'agostino (Le monstre de Londres, Le corbeau (1935)...)... La réalisation est autrement plus souple et élégante que dans le Dracula original : la caméra circule de manière féline à travers des décors somptueusement éclairés et baignés dans un noir et blanc magique. Certaines séquences sont d'une beauté poétique à couper le souffle : l'exorcisme de Dracula dans un cimetière gothique embrumée ; Sandor rabattant pour sa maîtresse une jeune désespérée qui allait se jeter dans les eaux glacées de la Tamise ; la comtesse essayant d'interpréter une musique joyeuse au piano...

Certes, la narration souffre d'être un peu trop bavarde par moment : pourtant, ces conversations ne sont jamais gratuites et font presque toujours progresser le récit. De plus le niveau très élevé des acteurs et la réalisation toujours dynamique permettent de ne jamais laisser au spectateur le temps de trop s'engourdir. On peut regretter qu'Otto Kruger, qui incarne un psychiatre vers lequel la comtesse va se tourner pour l'aider à guérir sa malédiction, manque de charisme et n'est guère sympathique ; cela ne retire cependant rien à son très bon jeu d'acteur.

La fille de Dracula est donc un très bon film d'épouvante, tout à fait digne de figurer parmi les plus grandes réussites du fantastique hollywoodien des années 1930. A travers le personnage déchiré et émouvant de la comtesse, il explore avec sensibilité la mythologie vampirique. A ce titre, on est déçu qu'il ne soit pas mieux connu et considéré (il n'a pas été distribué en vidéo en France, par exemple).

Pourtant, 1936 allait marquer un temps d'arrêt dans la production de films d'horreur par la firme Universal. D'abord, la censure se fait de plus en plus pressante : ainsi, le puritain code Hays est appliqué de plus en plus rigoureusement par les compagnies hollywoodiennes à partir de 1934. Surtout, en Grande-Bretagne, les films d'horreur Universal, qui marchaient très bien dans ce pays, ont du mal à passer la commission de censure, notamment depuis que Le corbeau, interprété par Karloff et Lugosi, a provoqué un scandale par sa violence ; en fait, sous couvert de protection des bonnes mœurs, il s'agissait avant tout de protéger l'industrie cinématographique anglaise contre la concurrence américaine. D'autre part, Carl Laemmle, fondateur et patron de la Universal, est mis à la porte par les actionnaires de sa compagnie en 1936. Son fils, Carl Laemmle jr, qui s'occupait du gros du travail depuis le début des années 30, est prié de le suivre. Cette combinaison d'évènements va pousser la Universal à abandonner la production d'œuvres fantastiques pendant deux ans, durant lesquels Lugosi travaillera peu, tandis que Karloff ira œuvrer pour d'autres firmes (Charlie Chan à l'opéra (1937) pour la Fox ; The invisible menace (1938) pour la Warner...). Universal reprendra néanmoins la production de films d'horreur en 1939 avec Le fils de Frankenstein de Rowland V. Lee, dans lequel Karloff joue, pour la dernière fois au cinéma, le monstre qui l'a rendu célèbre. La lignée du comte Dracula reviendra avec Le fils de Dracula (1943), réalisé par Robert Siodmak (Les mains qui tuent (1944)...) et interprété par Lon Chaney jr. (Le loup-garou (1942)...).
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