Un serial killer, surnommé par le presse Buffalo Bill, tue et écorche des jeunes femmes. Le F.B.I. mène l'enquête et tente de se faire aider par Hannibal Lecter, un autre tueur en série, actuellement enfermé dans une institution spécialisée. On envoie, pour l'interroger, Clarice, une jeune femme en cours de formation...
Le silence des agneaux est l'adaptation cinématographique du roman du même nom écrit par Thomas Harris ; il s'agit de la suite du livre Dragon rouge du même écrivain, qui avait été porté à l'écran par le réalisateur Michael Mann sous le titre Le sixième sens (1986). La compagnie Orion avait acheté les droits du livre Le silence des agneaux pour en faire un film réalisé et interprété par Gene Hackman (interprète de French connection (1971) de William Friedkin, Conversation secrète (1974) de Francis Ford Coppola...). Mais ce dernier, jugeant le récit trop violent, a finalement renoncé. Le projet a donc été confié à Jonathan Demme, qui venait de tourner pour la compagnie Orion Veuve mais pas trop (1988), une comédie d'humour noir qui avait connu un certain succès. Dans un premier temps, Michelle Pfeiffer (Les liaisons dangereuses (1988) de Stephen Frears, Veuve, mais pas trop...) est envisagée pour jouer Clarice, mais elle aussi trouve le film trop violent. Finalement, ce rôle est confié à Jodie Foster (Taxi driver (1976) de Martin Scorsese, Les accusés (1988) de Jonathan Kaplan...), tandis qu'Anthony Hopkins (Audrey Rose (1977) de Robert Wise, Elephant man (1980) de David Lynch...) interprète Hannibal Lecter. A leurs côtés, on reconnaît aussi Scott Glenn (La forteresse noire (1983) de Michael Mann, Vertical limit (2000) de Martin Campbell...), Charles Napier (Supervixens (1975) de Russ Meyer, Rambo II (1985) de George P. Cosmatos...), Roger Corman (producteur des premiers films de Jonathan Demme et réalisateur de La chute de la maison Usher (1960) et ...)
Hannibal Lecter est un serial killer cannibale, capturé et enfermé dans une prison de très haute sécurité. Parmi la faune habituelle des psychokillers rencontrés au cinéma (Deux mains la nuit (1946) de Robert Siodmak, Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock, Halloween (1978) de John Carpenter, L'éventreur de New York (1982) de Lucio Fulci...), il se caractérise par son bagage culturel peu commun (il est psychiatre de formation) et sa façon de commettre des meurtres non pas à cause de pulsions impossibles à réfréner, mais pour le plaisir et l'excitation, un peu comme le chasseur d'hommes de Les chasses du comte Zaroff (1932) de Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack. Le silences des agneaux va pourtant nous le présenter comme un personnage ambiguë : méprisant la valeur de la vie humaine et commettant des crimes de sang uniquement pour sa jouissance, c'est aussi le seul personnage qui va se montrer courtois et respectueux envers Clarice. De plus, il va vraiment l'aider à faire progresser son enquête, alors que les supérieurs de la jeune femme passeront une grande partie de leurs temps à lui mettre des bâtons dans les roues ou à lui dissimuler des informations. Son goût pour la sincérité et, partant, son refus de l'hypocrisie, achève de rendre Hannibal Lecter plutôt sympathique au spectateur, alors même qu'il est un monstre assoiffé de chair humaine. Anthony Hopkins, dans ce rôle qui lui va à merveille, est absolument parfait dans cette interprétation, où il équilibre, en virtuose, cabotinage et maîtrise.
L'ambiance de Le silence des agneaux se singularise par son hyper-réalisme délibéré. Refusant toute forme de stylisation ostentatoire, la réalisation de Demme est toujours d'une grande netteté et d'une grande solidité. La photographie superbe est signée par Tak Fujimoto (La balade sauvage (1973) de Terence Malick, Sixième sens (1999) de M. Night Shyamalan...), collaborateur de longue date de Jonathan Demme (dès Cinq femmes à abattre (1974)...). Il propose une symphonie automnale de teintes sourdes (rouges des briques, murs gris de la cellule de Lecter, ciel gris ou blancs, fleuves boueux et opaques...), qui unifie l'atmosphère du film tout en restant visuellement discrète. Toujours dans le sens d'un plus grand réalisme, Demme décrit sans chichi les décors ternes des villes américaines, avec leurs bâtiments administratifs maussades, leurs vieilles voix ferrées, leurs pavillons décrépis, et les noires forêts aux arbres maigres et dénudés. De même, les procédures d'enquête et les descriptions des cadavres (l'autopsie notamment) privilégient avant tout un vérisme cru.
Pourtant, et c'est là le point le plus faible de Le silence des agneaux, cet hyperréalisme s'emboîte fort mal avec des aspects totalement invraisemblables présents dans le récit. Le personnage de Lecter lui-même est très difficilement crédible : il n'est pas nécessaire d'être un expert en criminologie pour douter de l'existence d'un tel serial killer calme, raffiné et porté sur une introspection honnête des caractères. L'évasion de Hannibal est aussi totalement farfelue : ses gardiens n'avaient donc pas d'armes à feu ? Sinon, pourquoi le policier menotté ne se sert pas de son revolver ? De même, le coup du masque paraît un peu dur à avaler. On regrette aussi que le personnage de Buffalo Bill soit largement sous-développé : réduit à un travesti grimaçant et idiot, il ne parvient pas à prendre, dans la narration, le relais de Hannibal une fois que celui-ci a disparu. Les origines du comportement de cet écorcheur (il a été victime d'abus sexuels dans sa jeunesse) sont pratiquement escamotées, ce qui ne l'aide pas à atteindre une épaisseur humaine ou dramatique. Le récit va donc, dans la seconde heure, se disperser de manière peu convaincante, jusqu'à provoquer chez le spectateur un certain ennui. D'autre part, certaines séquences, supposées être les apogées dramatiques du métrage, sont imparfaites : le massacre du policier par Lecter savourant un morceau de musique classique, ou les séances de psychanalyse particulièrement balourdes et simplettes auxquelles il se livre, sont un peu ridicules. Pourtant, Demme les traite avec le plus grand sérieux, ce qui ne fonctionne pas vraiment bien.
Bien qu'il soit un film intéressant, Le silence des agneaux souffre donc, dans sa seconde moitié, d'un développement dramatique lent et chaotique. D'autre part, la manière sérieuse et réaliste dont Demme traite certains passages assez grotesques engendre parfois des scènes assez faibles, voire un peu risibles. A sa sortie, Le silence des agneaux a été un énorme succès commercial et critique (il récolte cinq Oscars, ce qui est rarissime pour un film si proche de l'épouvante), et il va lancer une mode des films de serial killer qui va sévir tout au long des années 90 (Seven (1995) de David Fincher, The watcher (2000) de Joe Charbanic...). Hannibal, le roman suivant de Thomas Harris mettant en scène Hannibal Lecter, allait lui-aussi être porté au cinéma par Ridley Scott (Alien (1979)...), dans le film du même nom, sorti en 2001 : on peut trouver que cette suite assume mieux l'aspect baroque délirant et l'humour noir qui se dégage du personnage du docteur Lecter que Le silence des agneaux.
Bibliographie consultée
- What goes around comes around, the films of Jonathan Demme de Michael Bliss et Christina Blanks, 1996, chez Southern Illinois University Press, USA.
- Mad Movies numéros 70 (mars 1991) et 122 (novembre 1999)