Rex et Saskia, un jeune couple hollandais, se rendent dans le sud de la France pour y passer les vacances. Mais Saskia disparaît pendant un arrêt dans une station-service au bord de l'autoroute. Convaincu qu'elle a été enlevée, Rex cherche à la retrouver pendant trois années...
L'homme qui voulait savoir a été réalisé par le néerlandais George Sluizer, sur un scénario qu'il a co-écrit avec Tim Krabbé, d'après un roman de ce dernier appelé L'oeuf d'or. George Sluizer est né en France, où il a étudié le cinéma à l'IDHEC (aujourd'hui appelée FEMIS). Il devient ensuite assistant-réalisateur, puis travaille en Hollande pour la télévision et enseigne dans une école de cinéma. Dans les années 70, il commence à tourner des films comme réalisateur (avec, par exemple, Twee vroumen (1979) avec Anthony Perkins et Bibi Andersson...). On le retrouve sur le tournage-aventure, en pleine jungle brésilienne, de Fitzcarraldo (1982), pour aider le réalisateur Werner Herzog (Nosferatu, fantôme de la nuit (1979)...). Puis, il réalise de loin en loin des longs métrages au cours des années 80, parmi lesquels le thriller L'homme qui voulait savoir, filmé en Hollande et en France, et tourné en anglais, en français et en néerlandais. C'est le français Bernard-Pierre Donnadieu (Le retour de Martin Guerre (1982) de Daniel Vigne, Rue barbare (1984) de Gilles Béhat...) qui interprète l'énigmatique psychopathe Raymond Lemorne. A ses côtés, on trouve Gene Bervoets (De wachtkamer (1995) et The gas station (2000) de Jos Stelling...) et Johanna ter Steege (Chère Emma (1991) du hongrois Istvan Szabo, La naissance de l'amour (1993) du français Philippe Garrel, Rembrandt (1999) de Charles Matton...) dans le rôle du jeune couple hollandais.
Le portrait de Raymond Lemorne est certainement la partie la plus réussie et la plus originale de L'homme qui voulait savoir. Professeur de chimie, père de famille rassurant, parfaitement inséré socialement, posé et serein dans ses actions, il s'agit d'un homme banal et tranquille, dont on ne doute pas un instant de la stabilité psychologique. Méthodique et intelligent, il met consciencieusement en place tous les détails de l'enlèvement, expérimentant le somnifère qu'il compte faire inhaler à sa victime, chronométrant soigneusement les trajets... Ces préparatifs sont parfois cocasses : ainsi, Lemorne se prend de méchants râteaux quand il tente de faire monter des jeunes inconnues dans sa voiture... Tout cela permet à ce très habile scénario de nous proposer le portrait étonnant d'un psychopathe hors-norme, jamais grimaçant, jamais exalté, et jamais menaçant. Parfois empoté et maladroit, il est aussi diaboliquement intelligent et calculateur. Bernard-Pierre Donnadieu, génial dans ce rôle, est à la fois rassurant et inquiétant, banal et fascinant.
Fasciné par la persévérance de Rex, Lemorne va organiser leur rencontre et accepter, petit à petit, de satisfaire la curiosité du jeune hollandais. Rex éprouve alors pour Lemorne, l'homme qu'il cherche depuis des années, un mélange de haine et de complicité. A partir de cette rencontre, le film prend une dimension encore plus ambiguë, en mettanta en scène un redoutable jeu de poker-menteur entre les deux personnages, chacun jouant, parfois au bluff, avec les atouts dont il dispose pour tenter de manipuler l'autre. Dans cet échange malsain, Lemorne, malgré son apparence rassurante, est évidemment un adversaire particulièrement intelligent et dangereux, et il jouera notamment sur la curiosité obsessionnelle de Rex, qui ne vit, depuis la disparition de sa compagne, que pour enfin comprendre ce qui s'est passé.
A travers ce jeu de chassé-croisé, L'homme qui voulait savoir traite avant tout du destin. Lemorne, esprit rationnel et scientifique, est fasciné par le jeu des probabilités et les places respectives que le hasard et le libre-arbitre tiennent dans le déroulement des vies. Ce personnage, apparemment quelconque et tranquille, considère les actes irrationnels et gratuits qu'il commet comme des preuves mettant à bas l'idée que son destin est écrit à l'avance. La prescience de la redoutable fatalité est aussi présente à travers le rêve de l'"oeuf d'or" que partagent, à plusieurs années d'intervalle, Rex et Saskia, ainsi qu'à travers la rémanence troublante de certains signes dans la mise en scène (le freesbee par exemple). Les obsessions de Lemorne vont, comme par fatalité, rejoindre celles de ce couple dans un final effroyable, digne du plus épouvantable cauchemar d'Edgar Poe.
L'homme qui voulait savoir est donc un classique, hélas trop méconnu, qui ne souffre, en tout et pour tout que de quelques petites lenteurs au milieu de son récit. Il est passé plutôt inaperçu en France, alors même qu'il a été récompensé dans divers festivals européens. Il acquiert, notamment dans les pays anglo-saxons, une excellente réputation, tant et si bien que George Sluizer est invité aux USA pour en tourner un remake appelé La disparue (1993), avec Jeff Bridges (The big Lebowsky (1998) de Joel Cohen...), qui n'a pas eu un très grand succès. Cela rappelle ce qui s'est passé quand le réalisateur danois Ole Bornedal a fait Le veilleur de nuit (1998), un remake américain de son thriller Nightwatch (1994) ; ou quand le hollandais Dick Maas a refait son classique L'ascenseur (1983) pour les États-Unis sous le titre L'ascenseur, niveau 2 (2001). L'homme qui voulait savoir, dans sa version européenne originale, est néanmoins resté un film très admiré, et il a même eu droit à un luxueux DVD chez le prestigieux éditeur américain Criterion.