TocCyclopédie ■ Époques

Francis raconte à un vieil homme une aventure qu'il a vécu : alors qu'il vivait dans la ville de Hostenwall, il s'est rendu, avec son ami Alan, à la fête foraine, où un certain "docteur" Caligari exhibait un somnambule nommé César, capable de dire l'avenir. Le jour suivant, Alan était assassiné...



Le cabinet du docteur Caligari, sorti en février 1920 à Berlin, est souvent considéré comme une date-clé du cinéma en général et du cinéma fantastique en particulier. Réalisé par l'autrichien Robert Wiene (Les mains d'Orlac (1924)...) pour la compagnie allemande Decla, sur un scénario de Hans Janowitz (Le crime du docteur Waren (1920) de Murnau...) et Carl Mayer (Le dernier des hommes (1924) et L'aurore (1927) de Murnau...), il n'est pas, comme on l'a parfois écrit, le premier film d'horreur de l'histoire du cinéma, et encore moins le premier film fantastique tourné en Allemagne. Néanmoins, il s'agit bien d'un des premiers films expressionnistes du cinéma de ce pays, et certainement le plus connu et le plus influent de ce style, à travers l'Europe et les USA. Par ses caractéristiques propres et ses innovations, qui vont être explicitées ici, il a très fortement conditionné l'essor du cinéma fantastique allemand au cours des années 20, et, donc, du cinéma d'épouvante américain des années 30. Pour bien saisir la portée de son influence et sa nouveauté, il semble nécessaire d'évoquer, en quelques lignes, le courant artistique de l'expressionnisme et la situation de l'Allemagne, ainsi que celle de son cinéma, juste après la première guerre mondiale.

L'expressionnisme


En France, le début du vingtième siècle se fait sous le signe des peintres rattachésau courant du fauvisme (appelé ainsi suite au salon d'Automne de 1905) qui, influencéspar les œuvres de leurs prédécesseurs Gauguin et Van Gogh, utilisent, pourreprésenter la réalité, une palette vive et exaltée, employée arbitrairement, sanssouci de rendre de manière réaliste ou scientifique les couleurs et les effets optiques naturelsde la lumière. Derain, Marquet, Matisse ou Vlaminick ne cherchent pas à rendre laréalité de manière mimétique, mais à créer des œuvres personnelles, intenses,dans lesquelles ils expriment directement et violemment leur perception des sujetstraités (des paysages, surtout). Des idées semblables vont alors se retrouver àl'étranger. En Allemagne, en 1905, se crée le mouvement die Brücke (lepont), qui va regrouper des peintres comme Nolde, Van Dongen... Contrairement aux français, ils ne se concentrent pas seulement sur deseffets de couleurs et des recherches visuelles, mais étudient aussi des sujetssociaux (portraits de personnages des rues, scènes urbaines, bars...) ou mêmefantastiques et macabres (les masques chez Nolde, ou encore les tableaux du scandinaveMunch, comme Le cri, une des toutes premières œuvres considérée commeexpressionniste...). Ce courant s'épanouira en Allemagne, tandis qu'en France, le cubismede Picasso et Braques s'oriente vers une représentation nettement plus scientifique etmathématique de la réalité, et, par conséquent, beaucoup moins subjective. Au débutdes années 1910, se développe en Allemagne une littérature expressionniste, avec sespoètes et ses dramaturges, et on se met à parler expressément de l'expressionnismecomme d'un courant artistique pluridisciplinaire. Le principe, quel que soit le domaineartistique, reste le même : il s'agit, pour l'artiste, de donner sa représentationpersonnelle de la réalité, non pas telle qu'elle est, mais telle qu'il la voit àtravers sa sensibilité et sa subjectivité la plus violente. En 1911, à Munich, autourdu peintre Kandisnky, se crée, dans le même style, le mouvement picturale du blaueReiter (cavalier bleu).


Puis vient la première guerre mondiale, qui va faucher une grande partie de cettegénération d'artistes. En 1918, l'Allemagne, démoralisée, a perdu plus d'un milliond'hommes sur 13 millions de mobilisés. La révolte spartakiste, d'inspiration socialiste,gronde. Finalement, le Kaiser Guillaume II abdique, à la demande de son gouvernement, audébut du mois de novembre. La République allemande est proclamée et l'armistice estsigné le 11 novembre. Puis, les spartakistes sont écrasés dans le sang par legouverneur de Berlin, tandis que, de l'autre côté de l'échiquier politique, un putschnationaliste échoue. Enfin, les accords de Versailles, en juin 1919, imposent àl'Allemagne le paiement d'énormes réparations de guerre aux vainqueurs.


C'est au cours de ce tumultueux et sombre immédiat après-guerre que le tournage de Lecabinet du docteur Caligari se déroule, en 1919, à Berlin. A ce moment, l'artexpressionniste, qui semblait, comme le cubisme, si choquant au cours de l'avant-guerre,s'est relativement banalisé. Si bien que les industriels du groupe de production Declapouvaient accepter de produire un film dont l'esthétique serait affiliée à ce courant,et, ainsi, créer un lien entre l'industrie du cinéma et les mouvements artistiquesd'avant-garde.


Le cinéma, le fantastique et l'Allemagne



Si on fait remonter les débuts du cinéma à la mise au point et la présentation dusystème de projection des frères Lumière, à Paris en décembre 1895, on admet engénéral que les premières œuvres cinématographiques fantastiques sont celle deGeorges Méliès, acteur, illusionniste, entrepreneur de spectacle et propriétaire duthéâtre de magie Robert-Houdin depuis 1888. Il s'équipe dès 1896, et tourne des filmspour lesquels il invente des trucages (montage, travelling...) ou réemploie des astucesvenant de la photographie (double-exposition...). Sa compagnie, la Star film, connaît unsuccès international avec son Le voyage dans la lune (1902) d'après JulesVerne. Il produit aussi bien des scènes fantastiques (Quatre cents farces du Diable(1906), 20.000 lieues sous les mers (1907), Les aventures du baron Munchausen(1911)...) que des reconstitutions d'actualité (Le couronnement du roi Edouard VII (1902)...).La conquête du pôle (1912) marque la fin de son travail : outre desdifficultés à l'étranger (ses films y sont parfois exploités sans qu'il ne touche lemoindre sou ; ses tentatives de produire des oeuvres tournées aux USA sont décevantes...),la guerre vient mettre un terme définitif à son travail. On retrouve Méliès, après laguerre, derrière le guichet d'un magasin de jouet à la gare Montparnasse et, au coursdes années 30, la France finit par lui rendre un hommage bien mérité. Puis, il meurt en1938. Si les films de Méliès baignent dans des atmosphères fantastiques, ce ne sont paspour autant des films d'horreur. Certes, il aime à surprendre son public par un trucageinattendu, et son goût de l'illusion font des laboratoires de savant fou, des enfers oudes palais des 1001 nuits, ses décors favoris. Mais, le Diable, qu'il interprètesouvent, est chez lui surtout un farceur, et non un tourmenteur des âmes. Méliès sefait plaisir en concevant des machineries extravagantes, et son cinéma respire, avanttout, le bonheur d'inventer et le plaisir de divertir.


En Allemagne, l'industrie du cinéma, au cours des années 1895-1914 se développe,certes, mais modestement. C'est avant tout le cinéma français, avec Méliès et leburlesque Max Linder, ainsi que les œuvres scandinaves, qui dominent largement cemarché. Pourtant, avec l'arrivée de la guerre, l'Allemagne décide de se bâtir uneindustrie cinématographiques autarcique, et on voit s'épanouir des talents variés, telsErnst Lubitsch qui, avant de devenir un fameux réalisateur de comédies à Hollywood,réalise des œuvres à grand spectacle à Berlin (La Du Barry (1919), Carmen(1919), La femme du pharaon (1921)...). Par ailleurs, Paul Wegener réalise lespremières grandes œuvres du cinéma fantastique allemand, avec : L'étudiant dePrague (1913) co-réalisé par Stellan Rye, dans lequel un étudiant perd son ombre ; et Le golem (1915), co-réalisé par Henrik Galeen, reprenant lalégende juive du rabbin Loew donnant la vie à un être d'argile. La voie est alorsouverte à la fusion du cinéma fantastique et de la création artistique expressionniste,qui va se concrétiser, en 1919, avec Le cabinet du docteur Caligari.


La génèse de Le cabinet du docteur Caligari



Le cabinet du docteur Caligari
est avant toute chose un scénario écrit par HansJanowitz et Carl Mayer. Hans Janowitz, né dans un petit village d'Autriche-Hongrie en1890, s'installe à Prague en 1900 pour ses études. Il y passe son adolescence et yrencontre l'écrivain Franz Kafka. Il avouera que l'architecture médiévale du centrehistorique de cette cité, notamment son quartier juif, l'ont beaucoup inspiré pourl'atmosphère de la ville où l'action se déroule. Janowitz se rend ensuite à Münich,puis à Hambourg. Il y est très impressionné par le meurtre d'une très jeune fille,commis en plein dans une fête foraine appelée "Hostenwall" : il donnera ce nomà la ville imaginaire où se déroulera Le cabinet du docteur Caligari. Il sertdans l'armée autrichienne durant la guerre, et son frère y est tué en 1917. Aprèsl'armistice, il se rend à Berlin, où il rencontre Carl Mayer, qui avait à charge sonpère, un homme d'affaire ruiné ayant perdu la raison. Ils assistent à une attractionforaine qui les impressionne fortement : un homme y accomplit des prouesses physiques ense mouvant de manière mécanique, et prétend pouvoir dire l'avenir ; la présentation decette attraction laisse planer l'ambiguïté sur ce personnage : s'agit-il d'un homme oud'un automate ? Tous les éléments sont désormais présents dans l'imaginaires des deuxjeunes gens qui rédigent alors, en 1918, le script de Le cabinet du docteurCaligari, dans lequel se mêleent leurs obsessions. Tous deux, comme beaucoup de personnes à leurépoque, sont profondément déçus par les élites allemandes qui ont entraîné leurspeuples dans un désastre sanglant. Ils décident donc d'écrire un récit mettant encause une figure autoritaire : le docteur Caligari (le nom leur est inspiré par unpersonnage apparaissant dans un texte de Stendhal).


En avril 1919, ils parviennent à vendre ce script à Erich Pommer, producteur à laDecla, contre une confortable somme d'argent. Fritz Lang (Metropolis (1927)...)est pressenti pour la réalisation du film, mais il est trop occupé par le tournage dufeuilleton Les araignées (1919). Finalement, c'est l'autrichien Robert Wiene,fils d'un acteur devenu fou, qui se charge de cette tâche. Janowitz avait suggéré,comme décorateur, le peintre fantastique Alfred Kubin, né en Bohème. Mais c'estfinalement trois peintres expressionnistes allemands proches de la revue Sturm,qui vont créer les décors mythiques de Le cabinet du docteur Caligari : WalterReimann, Walter Röhrig et Hermann Warm (qui conçoit aussi les costumes). Le rôle dudocteur Caligari est tenu par Werner Krauss (Le cabinet des figures de cire(1923) de Paul Leni, La rue sans joie (1925) de Pabst... ainsi que le tristementcélèbre film de propagande antisémite Le juif Suss (1940)...), et sa créatureCesare est jouée par Conrad Veidt (Le crime du docteur Waren de Murnau, Lesmains d'Orlac de Wiene, Casablanca (1942) de Michael Curtiz...). Onreconnaît aussi, dans le rôle du bandit, Rudolf Klein-Rogge (Mabuse, le joueur(1922) et Metropolis de Fritz Lang, Le montreur d'ombres (1923 d'ArthurRobison...). Toutefois, le récit est jugé trop subversif, et Robert Wiene inclut unprologue et un épilogue censés atténuer sa charge anti-autoritaire (on en reparleraplus bas), contre la volonté des deux scénaristes.


Le film est terminé en janvier 1920. Sa projection à Berlin est un grand succès, aveccris, évanouissements, et autres évènements qui sont toujours de bons présages à lapremière d'un film d'horreur. Le film est aussi très remarqué en France. Surtout, lacompagnie américaine Goldwyn en achète les droits, avant tout pour étudier cettecuriosité. Puis, elle organise une projection-test avec un public, et c'est encore untriomphe. Le cabinet du docteur Caligari est le premier film allemand às'exporter aussi bien à Hollywood. Cela va encourager, en Allemagne, la production denombreuses œuvres fantastiques et horrifiques, et Le cabinet du docteur Caligari vafortement marquer l'imaginaire fantastique de l'industrie cinématographique américaine.Ainsi, son influence se fera sentir dans les films d'épouvante de l'âge d'ordu cinéma d'épouvante hollywoodien, au cours de la première moitié des années 30 (Frankenstein(1931) de James Whale, Double meurtre dans la rue Morgue (1933) deRobertFlorey...).


Le cabinet du docteur Caligari



Ainsi, Le cabinet du docteur Caligari nous emporte dans la petite ville deHostenwall, où deux amis, Alan et Francis, se rendent à une fête foraine. Ils yassistent à l'exhibition du funambule Cesare : celui-ci, plongé dans un sommeilpermanent, ne se réveille que pour éxécuter les ordres de son maître, l'homme qui sefait appeler le docteur Caligari. La nuit-même, Alan est tué. Francis soupçonne queCaligari soit derrière ce crime, et il finit par découvrir que ce personnage inquiétantest un schizophrène : directeur d'un asile d'aliénés, il se prend pour un savantitalien du XVIIème siècle qui avait trouvé moyen, grâce à l'hypnose, de soumettre unsomnambule à sa volonté, afin de lui faire exécuter toutes ses volontés. Ce directeurd'asile a donc hypnotisé le somnambule Cesare et lui fait commettre des meurtres.Selon Janowitz, il faut voir dans ce docteur Caligari, le symbole de l'élite et del'autorité allemande qui a profité de son emprise sur les esprits pour faire commettredes crimes à ses enfants et pour entraîner le peuple vers sa perte : Le cabinet dudocteur Caligari reflète alors clairement le désenchantement et l'amertume d'unegénération qui a été envoyée se battre dans une inutile boucherie de quatre longuesannées. On trouve dans ce récit des éléments voués à une grande longévité dans lecinéma fantastique en général et américain en particulier : Caligari est un dangereuxpsychopathe, employant l'hypnose (comme Dracula (1931) ou La momie) pourimposer sa volonté ; c'est aussi un savant fou, utilisant sa science à des finsmalveillantes (son tandem avec Cesare annonce ainsi, entre autres, Frankensteinet sa créature) ; Cesare, entre ses méfaits, repose dans une boîte en forme de cercueil(ce qu'on retrouvera dans Nosferatu, le vampire (1922) et Dracula...).Le monstre (Cesare le somnanbule), chargé par Caligari de tuer Jane, rentre par lafenêtre de sa chambre et, devant la beauté de la jeune fille, s'éprend d'elle etl'enlève, désobéissant aux instructions meurtrières de son maître : tous les films demonstres à venir sont en germe dans cette séquence : Notre-Dame de Paris (1923)et Le fantôme de l'opéra (1925) avec Lon Chaney, Frankenstein, KingKong (1933)... pour ne citer que les plus célèbres. Pourtant, ce récit se situetout de même, par ses caractères policier et fantastique, dans le prolongement desfeuilletons français comme Fantomas (1913) ou Les vampires (1915) deLouis Feuillade. Bien que ses idées politiques et révolutionnaires soientindéniables, Le cabinet du docteur Caligari repose sur une narration fantastiqueangoissante traditionnelle, héritée des contes d'Hoffman ou d'Edgar Poe ; on est donctout de même très éloigné de ce qu'on appelle, en général, le cinémad'"avant-garde" (Le ballet mécanique (1924) du peintre Fernand Léger,Anémic cinéma (1926) du peintre Marcel Duchamp, L'étoile de mer(1928) du photographe Man Ray... ne s'abaisseraient pas à raconter une histoire !).


La réalisation de Robert Wiene est, de son côté, assez sobre, voire théâtrale. Toutle travail semble se faire au niveau du cadrage et de la mise en scène des personnages etde leurs déplacements. On est loin des trouvailles techniques d'un Griffith (Intolérance(1916)...) ou du rythme d'un Charlie Chaplin (L'immigrant (1917), Une vie dechien (1918)...). Pourtant, Le cabinet du docteur Caligari plonge son récitfantastique dans une atmosphère purement expressionniste en stylisant à l'extrême sesdécors, ses maquillages et le jeu de ses comédiens. Chacun de ses éléments, enparfaite harmonie avec les autres, va créer un système de représentation qui refuserala reproduction mimétique de la réalité : celle-ci sera perçue à travers le filtredistordant d'une perception subjective. Ainsi, les personnages sont lourdement grimés auxcrayons gras, ce qui renforce le caractère inquiétant de leurs jeux grimaçants etappuyés. Les décors, stupéfiants, proposent une atmosphère complètement urbaine,recomposée à travers le jeu des parois, animées d'une vie propre et aléatoire,refusant de se plier aux lois de la géométrie et de la perspective optique. Dans Lecabinet du docteur Caligari, l'artifice est maître : il n'est pas question d'allerfilmé dans la rue ou dans la nature : seul compte la composition d'un monde caricaturéet fantasmatique, rendu grâce aux moyens dont on dispose dans un studio. Mais ces moyensne sont pas masqués ou escamotés : les décors sont des parois de papier et de cartonspeintes, les acteurs surjouent, les accessoires sont invraisemblablement déformés(livres, chaise... et même les figurants parmi lesquels on trouve un nain !). Ainsi, enreproduisant la réalité avant tout telle qu'elle est perçue par la subjectivité d'unindividu, et non telle que devrait la percevoir l'oeil mécanique et objectif de lacaméra, Le cabinet du docteur Caligari narre son récit fantastique sur un modeexpressionniste.


Comme on l'a déjà dit, Wiene a ajouté, malgré les réticences des scénaristes, unprologue et un épilogue au récit, censés adoucir la violence de la charge politique dufilm. Ainsi, dans le prologue, un jeune homme, Francis, discute avec un vieil homme et annoncequ'il va lui raconter son histoire : la narration se fait donc sous la forme d'un flashback (qui n'a donc certainement pas été inventé dans Citizen Kane (1941)d'Orson Welles, contrairement à ce qu'on lit parfois) ; puis à la fin, on découvre quece Francis est en fait un fou interné dans un asile, dirigé par un homme qui a le visagede Caligari. L'histoire de Le cabinet du docteur Caligari serait donc le récitimaginé par un dément paranoïaque, et les distorsions de la réalité (interprétation,décors...) vues par le spectateur seraient la vision d'un esprit malade. De même, lacharge politique perd de son efficacité, puisque le directeur d'asile, le bourgeoisincarnant les élites allemandes, nous est présenté comme un homme raisonnable,désireux de prendre soin de ses patients : "Je sais comment le soigner"déclare-t-il à la toute fin de cet épilogue... Et pourtant, le spectateur ne peut queremarquer que cette fin reste terriblement ambiguë et angoissante ! D'abord, bien qu'onsoit supposé être sorti du délire du fou, les décors et les costumes sont TOUJOURSdéformés, angoissants et irréalistes (voir la cellule où Francis est enfermé).Ensuite, le comportement de ce directeur d'asile reste suffisamment étrange pour laisserdouter le spectateur : et si Francis avait raison ? Et si le directeur d'asile, sous sesairs rassurants, était bien un personnage dangereux qui avait réussi à faire passer sonaccusateur pour un fou afin de le neutraliser ? Entre cet épilogue et le récit se créealors un réseau de liens inquiétants et ambiguës qui laisse Le cabinet du docteurCaligari s'achever d'une manière bien peu rassurante, et très éloignée du happyend originellement prévu par les scénaristes (Caligari aurait du être capturé etinterné dans son propre asile).


Le cabinet du docteur Caligari
reçoit un accueil triomphal à sa sortie à Berlin. AParis, certains y voient une piste pour réconcilier le cinéma et l'art. Surtout, son bonaccueil à New York ouvre le chemin du marché américain au cinéma germanique. Parconséquent, les années 20 vont être, en Allemagne, une période d'intense production defilms fantastiques ambitieux et fondateurs, avec des œuvres de styles variées, bienque toutes influencées par Le cabinet du docteur Caligari, abordant le domainede l'épouvante (Nosferatu, le vampire de Murnau...), la science-fiction (Metropolis...),le film de gangster (Mabuse le joueur (1922) de Fritz Lang...) ou même l'heroicfantasy (Les nibelungen (1924)...). Le style de Le cabinet du docteurCaligari va essaimer, en influençant des films de science-fiction comme l'excellent,et trop méconnu, L'inhumaine (1924) du français Marcel L'Herbier, ou lesoviétique Aelita (1924) de Protazanov. Pourtant, les évènements politiques etl'attrait des studios hollywoodiens vont entraîner l'exil des meilleurs réalisateurs dece pays (Murnau, Lang, Paul Leni...) et de certaines vedettes (Peter Lorre (M lemaudit (1931) de Fritz Lang...), Marlene Dietrich (L'ange bleue (1930) de JosefVon Sternberg...)...). Des techniciens quittent aussi l'Allemagne, comme lechef-opérateur Karl Freund (Metropolis...), qui éclaire Dracula de TodBrowning, et qui réalise La momie pour la Universal ainsi qu'une version de Lesmains d'Orlac (1935) pour la MGM. Le savoir-faire du cinéma allemand en matièred'atmosphère suggestive et angoissante se retrouve donc, assimilée, dans les classiquesde l'âge d'or du cinéma fantastique américain au début des années 30. Plus tard,c'est au tour du film noir hollywoodien (Le faucon maltais (1941) de John Huston,Les mains qui tuent (1944) de Robert Siodmak...) de s'inspirer del'expressionnisme, avec des atmosphères urbaines nocturnes et des personnages dérangésqui doivent beaucoup à Le cabinet du docteur Caligari. Enfin, le style d'OrsonWelles (Citizen Kane...) est clairement imbibé des trouvailles del'expressionnisme allemand, auquel son génial Le procès (1963), d'après Kafka,semble être un hommage. Le cabinet du docteur Caligari, par sa manière deproposer une vision de la réalité artificielle, subjective et déformée, va aussiinfluencer les réalisateurs les plus singuliers et les plus audacieux du cinémafantastique : James Whale (La fiancée de Frankenstein (1935)...), Mario Bava (Sixfemmes pour l'assassin (1964)...), Alain Resnais (L'année dernière à Marienbad(1961)...), Dario Argento (Suspiria (1977)...). Aujourd'hui, c'est Tim Burton (Edwardaux mains d'argent (1990), Batman, le défi (1992)...) et David Lynch (Eraserhead(1977), Mullholand drive (2001)...) qui gardent vivace l'esprit de Caligari, dansdes films au style visuel très personnel et très imaginatif. Hollywood a, un temps,envisagé de faire un remake ou une suite de Le cabinet du docteur Caligari,notamment dans les années 40, sans que cela n'aboutisse. On note la sortie, plus tardd'un Le cabinet du docteur Caligari (1962) de Roger Kay, sur un scénario originalde Robert Bloch, qui était en fait plus un hommage qu'un remake du classique de RobertWiene.


PS : La musique proposée sur le DVD Films sans Frontières est bienla partition composée originellement pour les projections de Le cabinet du docteurCaligari. Hélas, elle a très mal vieilli, et je déconseille vivement de découvrirce film avec cette accompagnement musical désuet et banal. Tournez vous plutôt vers desdisques de Michael Nyman (ZOO...), Phil Glass (The photographer...), Theresidents (Whatever happen to the vileness fat...), ou Ennio Morricone (Thething...) par exemple. On note aussi que la chaîne Arte l'avait diffusé avec unaccompagnement de jazz très réussi il y a quelques années.
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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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