Dewey Wilson, un policier new yorkais, est chargé d'enquêter sur une série de meurtres horribles commis, apparemment, par des animaux...
Le réalisateur Michael Wadleigh commença d'abord sa carrière comme chef-opérateur dans les années 60, notamment sur Who's that knocking on my door ? (1968), le premier long métrage de Martin Scorsese (Taxi driver (1976)...). Puis, il réalise son premier film, Woodstock (1970), fameux documentaire relatant du méga-concert homonyme, point d'orgue du mouvement hippie américain des années 60. On le retrouve comme chef-opérateur de Janis (1974) de Howard Alk, un autre documentaire, consacré à la chanteuse de rock Janis Joplin, décédée quatre ans auparavant. Ce n'est qu'avec Wolfen, en 1981, que Michael Wadleigh réalise son second film. Le détective Dewey Wilson est interprété par le comédien britannique Albert Finney (Samedi soir, dimanche matin (1960) de Karel Reisz, Le crime de l'Orient-express (1974), Les duellistes (1977) de Ridley Scott...), bien entouré par Edward James Olmos (Blade runner (1982) de Ridley Scott, la série TV Deux flics à Miami...) et Gregory Hines (Cotton club (1984) de Francis Ford Coppola, Deux flics à Chicago (1985) de Peter Hyams...). Les maquillages et effets spéciaux mécanique y sont de Carl Fullerton (Au-delà du réel (1981) de Ken Russel, Les prédateurs (1983) de Tony Scott, Le silence des agneaux (1991)de Jonathan Demme...) et les effets optiques sont conçus par Robert Blalack (La guerre des étoiles (1977) de George Lucas, Au-delà du réel...).
Wolfen nous raconte donc l'enquête menée par Dewey Wilson afin de résoudre des meurtres apparemment commis par des animaux. Grâce à des poils découverts sur les lieux du crime, on comprend que les assassins sont des loups. Pourtant, le choix des premières victimes (un grand industriel et un drogué du Bronx) laissent le policier perplexe, et l'entraîne dans un réseau extrêmement complexe de fausses et vraies pistes. Wolfen frappe alors par le réalisme de son contexte social et politique ainsi que par la richesse de son script passionnant. En suivant divers indices, les enquêteurs se retrouvent à frayer avec des domaines aussi variés que les sectes vaudou, la zoologie, la mythologie des indiens d'Amérique, le terrorisme d'extrême-gauche, les grands groupes immobiliers et les ghettos les plus misérables de New York. Ce récit policier habile et intelligent captive le spectateur et parvient à rendre crédibles les diverses pistes proposées.
Mais, Wolfen suscite aussi l'admiration pour la beauté et l'originalité de son traitement plastique. Ce film mérite d'être cité parmi les plus belles évocations de New York : en sollicitant les décors naturels de cette métropole démesurée, Michael Wadleigh parvient à créer une atmosphère où réalisme et fantastique s'entrecroisent d'une manière équilibrée et convaincante, notamment grâce à des vues vertigineuses de Manhattan survolé en hélicoptère, ou observé des sommets des ponts bâtis sur la rivière Hudson (au cours d'une séquence très spectaculaire !). Les rues de la grosse pomme, souvent désertes, sont plongées dans un silence inquiétant et dans des lumières d'aube et de crépuscule. L'élégance glacée du quartier de Wall Street répond aux ruines gigantesques du ghetto en cours de démolition, tandis qu'émergent des sites insolites et étranges, tel le parc du début du film, le zoo ou l'église abandonnée. Les séquences époustouflantes ne manquent pas, notamment les visions poétiques et hallucinantes de la meute de loups courant dans un New York désert, ou surgissant dans un building de verre en brisant ses fenêtres.
La réalisation est sobre, discrète et élégante, et sait toujours bien se mettre au service de son récit et du ton exigée par chaque séquence particulière. Pourtant, Wolfen est très riche en innovations technologiques, et utilise des outils alors très nouveaux, comme la grue Louma (à bras télescopique et téléguidé, qui permet des mouvements de caméras très complexes, même en décor naturel), ou la vision infra-rouge (lors de la scène de chasse autour de l'église). Mais, les séquences les plus originales et les plus fameuses restent les visions en caméra subjective de la course des loups courant à travers les rues et les ruines de New York : certes, faire partager au spectateur le point de vue d'un animal avait déjà été fait avec le requin de Les dents de la mer. Mais, ici, la course des bêtes est captée à l'aide d'une steadicam, système employé pour la première fois dans le labyrinthe de Shining (1980) de Stanley Kubrick : la caméra est fixée au buste de l'opérateur, à l'aide d'un système d'amortisseurs, ce qui permet de la manipuler sans grue ni chariot, avec la souplesse d'une caméra portée à l'épaule, mais sans les tremblements et les heurts qu'impliquent habituellement cette technique. Ici, ce procédé est rehaussée par un traitement des images, qui leur donne un peu l'aspect d'images solarisées (le voyage sur Jupiter dans 2001, l'odyssée de l'espace (1968) de Stanley Kubrick...), mais avec plus de variété dans les effets. La combinaison de la steadicam et de ces traitements optiques nous proposent donc de superbes images de la course des loups à travers des paysages urbains grandioses. John McTiernan s'en inspirera largement pour son Predator (1987). Encore une fois, ces trouvailles techniques, d'autant plus sidérantes qu'elles sont employées pour un tournage dans la ville de New York, et non dans des décors de studio, s'insèrent parfaitement au récit et à l'atmosphère de Wolfen, sans jamais se montrer trop démonstratives ou envahissantes.
Il serait restrictif de considérer Wolfen comme un simple film de loup-garous : l'intrigue est fort complexe, et, plutôt qu'aux mythologies européennes habituellement employées dans ce genre d'oeuvres (avec balles d'argent et pleine lune), le scénario se réfère aux mythologies indiennes, évoquant les rapports entre l'homme et la nature. Pour ce faire, on insiste sur le fait que New York, aujourd'hui une cité de verre, d'acier et de bitume, a été bâtie sur un territoire acheté aux indiens d'Amérique. Et ces indiens sont toujours là, à travailler dans la construction des architectures artificielles les plus vertigineuses et les plus arrogantes. Avec eux survivent leurs légendes et leurs traditions, ainsi que les esprits de la nature, qui vont s'adapter sans problème à la nouvelle jungle urbaine riche en gibier de toute sorte. Wolfen se conclut comme une fable philosophique écologique se déroulant intégralement dans un décor de buildings, invitant à une réflexion sur la place de la nature dans une société humaine urbaine et technologique.
Certes, le récit se ralentit un peu trop au milieu du film, semblant se perdre dans ses ramifications complexes. Pourtant, Wolfen reste un film fantastique, intelligent, original et exigeant, bénéficiant d'un excellent récit et proposant de très belles images urbaines. Pourtant, ce ne fut pas un triomphe, et Michael Wadleigh ne réalisa plus de film ensuite, à part Woodstock : the lost performances (1990), qui est en fait une compilation de séquences non retenues dans le montage original de Woodstock. Wolfen finira tout de même par être considéré comme un classique, notamment en France, où il est souvent réédité en VHS et diffusé sur le câble.