TocCyclopédie ■ Époques

Nouvelle-Zélande, 1957 : Une femme se fait mordre au zoo par un spécimen très rare de singe-rat. Cela la rend malade et son fils de 25 ans, Lionel, prend soin d'elle. Mais, peu après, elle se change en un monstre cannibale, dégénéré et très contagieux...



Braindead est un projet que le réalisateur néo-zélandais Peter Jackson a envisagé juste après son premier long métrage : Bad taste (1987). L'idée était de proposer un film de zombies très gore, dans la tradition de Zombie (1978) de George Romero et de L'enfer des zombies (1979) de Lucio Fulci. Pourtant, malgré les bons résultats de Bad taste, il ne parvient pas à rassembler un financement suffisant, et il se reporte sur un projet moins onéreux : Les Feebles (1989), remake trash du Muppet show de la télévision américaine. Ensuite, après avoir recherché des partenaires en Espagne, au Japon ou aux Etats-unis, il parvient à rassembler les trois millions de dollars nécessaires pour mettre Braindead sur pied. Le scénario est écrit en collaboration avec Frances Walsh, la compagne de Peter Jackson, et Stephen Sinclair, deux personnages qui participeront au script de la trilogie de Le seigneur des anneaux. Cette fois-ci, Jackson ne se charge plus des effets spéciaux lui-même : il délègue cette tâche à Richard Taylor, qui deviendra son collaborateur de prédilection en la matière (Fantômes contre fantômes (1996), Le seigneur des anneaux, la communauté de l'anneau (2001)...). Il recrute des comédiens néo-zélandais : Timothy Balme, dont c'est la première apparition au cinéma, tient le rôle de Lionel ; sa mère est incarnée par Elizabeth Moody (vue dans L'épouvantail de la mort (1982) de Sam Pillsbury, une oeuvre horrifique néo-zélandaise...) et l'infect oncle Les est joué par Ian Watkin (qui apparaît dans Death warmed up (1985), un film d'épouvante assez connue, venant du même pays). On trouve aussi Diana Penalver, une actrice espagnole, recrutée en premier lieu pour satisfaire des producteurs de la même nationalité : malgré le désistement de ces derniers, Jackson conservera ce personnage tel quel.

La santé du cinéma d'épouvante au début des années 90 étaient clairement préoccupante. Après une explosion de la production et de la popularité de ses oeuvres au cours des années 70-80, l'heure était au reflux. Les réalisateurs les plus populaires du genre connaissent des difficultés : John Carpenter (Halloween (1978)...) se fourvoie dans Les aventures d'un homme invisible (1992), un luxueuse comédie fantastique dont l'insuccès le condamnera à trois années de mise au placard ; George Romero (Zombie...) connaît un bide sévère avec La part des ténèbres (1993), et sera lui aussi réduit à l'inactivité durant... sept années ! ; Wes Craven (Les griffes de la nuit (1985)...) s'en sort un peu mieux, bien que certaines de ses oeuvres connaissent des accueils publics et critiques mitigés (Shoker (1989), Le sous-sol de la peur (1991)...) ; Sam Raimi (Evil dead (1982)...) se prend aussi une claque avec les recettes insuffisantes de L'armée des ténèbres (1993), troisième volet de sa série des Evil dead ; quand à Tobe Hooper (Massacre à la tronçonneuse (1974)...), il sombre dans l'enfer du téléfilm et de la série B (Night terrors (1993)...). En Europe, le cinéma anglais est démoli par une décennie d'ultra-libéralisme Thatcherien. La production italienne s'effondre, elle aussi, sous la pression de la concurrence de la vidéo et de la télévision, tandis que les pouvoirs publics négligent de protéger ce cinéma qui a tant fait pour le prestige de son pays au cours de l'après-guerre : Lamberto Bava (Démons (1985)...) et de nombreux autres réalisateurs se mettent au travail pour la télévision ; Lucio Fulci (L'enfer des zombies...) est rongé par de graves problèmes de santé, et sa production décline jusqu'à cesser avec Door to silence (1991) ; quand à Dario Argento, son coûteux Terreur à l'opéra (1987) se fait démolir par la critique et est boudé par le public, si bien qu'il choisit l'exil vers les USA, sans grand succès (Trauma (1993)...). Bref, la vie n'est pas rose pour les maîtres de l'horreur ! Le genre est progressivement sur le déclin, et seuls la série des Freddy (La fin de Freddy, l'ultime cauchemar (1991) de Rachel Talalay...) rapporte encore un peu d'argent. Pourtant, l'espoir d'un certain renouveau gothique se fait espérer, avec les succès de Dracula (1992) de Francis Ford Coppola ou de Entretien avec un vampire (1994) de Neil Jordan : le soufflé retombera vite avec les fiascos de Frankenstein (1994) de Kenneth Branagh et de L'île du docteur Moreau (1996). Non, à l'époque, ce qui plait, ce n'est plus l'horreur fantastique, mais le thriller glauque et roublard (Le silence des agneaux (1991) de Jonathan Demme est couvert d'Oscars, Seven (1995) de David Fincher fait un malheur...), ou bien les films d'action pétaradants (Piège de cristal (1988) de John McTiernan, Terminator 2 (1991) de James Cameron, Speed (1994) de Jan De Bont...).

Par conséquent, l'idée qu'a Peter Jackson de réaliser, dans sa Nouvelle-Zélande un brin isolée, un film d'horreur gore dans la pure tradition de l'épouvante des années 80 peut paraître curieuse, voire totalement anachronique. C'est oublier que le bougre tourne avant tout pour se faire plaisir, pour concrétiser les films qu'il a toujours voulu voir, et rendre hommage aux cinéastes qu'il admire. Pour Braindead, Peter Jackson cite deux titres-phares de l'horreur des années 80 : Evil dead de Sam Raimi et Re-animator (1985) de Stuart Gordon, deux films bricolés pour une bouchée de pain par des inventeurs bourrés d'humour, qui compensent les lacunes de leurs budgets par de sidérantes trouvailles techniques et narratives, ainsi que par une liberté de ton fracassante. Comme ces deux oeuvres, Braindead va donc se caractériser par son rythme soutenu et de nombreuses inventions gore, hilarantes et inédites. Ainsi, Re-animator et Braindead seront parmi les premiers à se soucier de la vie sexuelle des zombies : dans le film de Peter Jackson, on verra donc deux morts-vivants copuler et donner naissance à un bébé monstrueux !

En fait, Braindead n'est pas vraiment un film qui fait peur. Jackson en revendique le caractère de comédie, et se réclame notamment des séquences sanglantes, pleines d'humour noire, qu'on rencontre dans le travail de la troupe comique britannique des Monty Python : en effet, dès leurs débuts à la télévision anglaise, on repère des sketchs à l'humour provocant et macabre, tel celui sur les méthodes répugnantes d'un croque-mort dans le Royal episode 13 ; ou l'orgie gore, avec bras arrachés et jets de sang de Sam Peckinpah's Salad day, dans lequel sont confrontés, avec humour, le style ultra-sanglant des films de Peckinpah (La horde sauvage (1969)...) et la situation décontractée et distinguée d'un après-midi ensoleillé dans un parc britannique. Autre scène gore fameuse des Monty Python : le démembrement de l'insolent chevalier noir qui provoque le Roi Arthur dans le film Monty Python : Sacré Graal ! (1975), auquel Braindead fait référence, mais de manière détournée. Ici, c'est un prêtre adepte du Kung Fu qui arrache successivement bras et jambes à un rocker mort-vivant !

L'humour de Braindead trouve aussi sa source, tout comme Re-animator, dans l'ultra-violence des meilleurs cartoons américains de Tex Avery (le papa de Droopy... ) et de Chuck Jones (géniteur de Bugs Bunny...) : les personnages se découpent en morceaux, s'électrocutent, se frappent à coup de masse, explosent en manipulant des bâtons de dynamites, font des chutes vertigineuses... On ne s'étonne pas de voir, sur les photographies du tournage de Braindead, Peter Jackson porter des T-shirts aux effigies de Titi ou du Coyote. Cette cruauté parodique et défoulante, qui fonctionne avant tout grâce au sens du tempo du réalisateur et à l'inventivité des gags, se retrouve donc ici : un zombie coupé en deux porte ses jambes sur ses épaules ; un autre passe dans une essoreuse à linge ; l'oncle Les joue du hachoir en accéléré ; Léon, armé d'une tondeuse à gazon (extension jusqu'à l'absurde de l'usage horrifique des outils de jardinage, tel la tronçonneuse dans Massacre à la tronçonneuse ou dans Evil dead 2 (1987) de Sam Raimi...), réduit en pulpe rougeâtre une armée de zombies... On rencontre aussi un sens de l'humour très graphique qui provient plutôt du burlesque américain, tel les films de Charlie Chaplin (Les temps modernes (1937)...) ou de Buster Keaton (Le mécano de la Général (1927)...). Les acteurs rivalisent donc de grimaces et d'acrobaties, Timothy Balme se roulant par terre et grimpant des escaliers quatre à quatre : la scène la plus nettement proche des grands noms du cinéma burlesque muet est certainement celle du jardin d'enfants, au cours de laquelle Leon poursuit en tout sens l'horrible petit bébé zombie. On note au passage que les séquences romantiques, assez réussies, laissent aussi planer un léger parfum de cinéma muet, notamment par son illustration sonore au piano et les minauderies timides de Leon lors de la visite du zoo, qui rappellent celles d'un Charlot.

Braindead rend aussi hommage au cinéma d'aventures traditionnel. Ainsi, le début du métrage se déroule sur l'"île du Crâne", comme le mythique King Kong (1933) de Merian C. Cooper et Ernest Schoedsack, oeuvre dont Peter Jackson a envisagé de faire un remake un peu après Fantômes contre fantômes. Comme dans ce classique, un explorateur sans scrupule va ramener de l'île sauvage un singe qui va semer la terreur et le chaos dans un pays civilisé : sauf qu'ici, il ne s'agit pas d'un singe géant, mais d'un singe-rat, porteur d'un virus transformant humains et animaux en zombies. Cela permet d'ailleurs à Braindead de faire quelques clins d'oeils au folklore de la magie noire antillaise dont provient le concept de zombie. De même, l'animation image par image de certains monstres (le singe-rat, le bébé...) renvoient aux effets spéciaux poétiques de Willis O'Brien (King Kong...) et de son successeur Ray Harryhausen (La vallée de Gwangi (1969)...). Surtout, l'enchaînement frénétique de péripéties et de séquences mouvementées au cours de la seconde moitié du métrage évoque les plus belles réussites du cinéma d'action, telles King Kong, Les aventures de Robin des bois (1938) de Michael Curtiz, Les aventuriers de l'arche perdue (1981) de Steven Spielberg, La momie (1999) de Stephen Sommers... et, évidemment, Zombie de George Romero, parfait accomplissement du mariage entre le film d'action (le western pour être plus précis) et le gore. On remarque encore que la trame du récit n'est pas sans rappeler un certain Le seigneur des anneaux de Tolkien ! Lein, un jeune homme timide et effacé, que rien ne désigne pour devenir un héros, rencontre, par le biais de Paquita, une magicienne qui voit en lui un héros et lui remet un talisman magique avec lequel il luttera contre la corruption qui étend son ombre sur un pays paisible ! Ce n'est pas si étonnant si on veut bien se souvenir que Jackson avait aussi envisagé, après Bad taste, de mettre en place un film mêlant aventures et Heroïc fantasy, projet pour lequel il revendiquait déjà l'influence de Tolkien.

Braindead se révèle donc être un monument du cinéma gore, un mélange hyper-efficace d'aventures et d'horreur, où on admire la perfection du découpage des séquences d'action, le rythme extrêmement soutenu des péripéties et les saisissantes inventions techniques et humoristiques. On admire encore les très nombreux plans d'effets spéciaux gore, pratiquement tous impeccables. Par son invention, sa liberté formelle, son humour délirant, son efficacité et la fluidité impeccable de sa narration, Braindead dépasse ses modèles Re-animator et Evil dead, et peut sans rougir, être comparé à Zombie.

Mais si Braindead marque l'apogée du cinéma d'horreur gore des années 80, il en signe aussi la fin. Comme on l'a vu, cette tentative est isolée. Certes, Michele Soavi réaliser Dellamorte Dellamore (1994), mais son ton mélancolique lui donne la dimension d'un requiem, d'un chant du cygne tragique. Une nuit en enfer (1996) de Robert Rodriguez sera un petit succès, mais l'époque est déjà aux néo-slashers doucereux (Scream (1996) de Wes Craven...) et il n'aura pas vraiment de descendance. Seuls résistent quelques auteurs isolés, tel Brian Yuzna (Le retour des morts-vivants 3 (1998), Le dentiste (1996)...) dont, hélas, les oeuvres se voient confinés aux rayons des vidéo-club, sans connaître de sorties en salle dignes de ce nom. On note aussi que l'horreur extrême va connaître un certain développement avec des labels vidéos indépendants, qui vont distribuer, surtout par correspondance, des oeuvres filmées avec 3 francs et 6 sous, parfois tournées en super 8 ou en vidéo, tel Violent shit (1987) de Andreas Schnaas, Le roi des morts (1989) de Jörg Buttgereit, les productions Troma (Terror firmer (1999)...), les oeuvres du français Richard J. Thomson (Time demon (1996)...)... Toutefois, ces films, à la distribution souvent confidentielle, restent réservés à une certaine "élite", puisqu'ils sont chers et pas toujours évidents à se procurer. Après Braindead, Peter Jackson va surprendre son monde : sans doute conscient d'avoir atteint un certain point de non-retour avec ce film, il bifurque, avec Créatures célestes (1994), vers un drame criminel fort réussi, qui lui vaudra un Lion d'argent au Festival de Venise et une certaine reconnaissance de la critique généraliste.

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Bad taste II
■ Docteur Clarendon 31/07/2003
C'est du bad taste avec beaucoup plus d'argent. Le film est agréable, le passage avec la maman à moitié zombie excellent mais je trouve la note excessive. Un 7 ou un 8 sur 10 me parait déjà pas mal. Je l'ai vu au cinéma et je pense d'ailleurs qu'en vidéo mon impression serait moindre encore.
Gooooore !!
■ Fab 20/07/2003
Ca n'arrête pas !! Chaque scène apporte son nouvel arrivage de tripes qui volent, de sang qui giclent par hectolitres... Un pur régal ! Et le meilleur c'est que chaque nouvel effet gore déclenche une poilade hystérique, le tout culminant avec la mythique tondeuse à gazon. Si l'on a ajoute à cela des acteurs sympatiques, des effets spéciaux réussis (les instestins devenant vivant , le bébé, les zombies tous très originaux et très ... "amochés" :) ...), un scénario terrible (un mélange de King-Kong, de comédie burlesque, de film de zombie, d'Héroïc-Fantasy (comme l'a souligné Manu...), de film d'époque (les années 50) et de thriller aussi), le tout avec une réalisation exceptionnel : on obtient Brain Dead ! L'un des films les plus gores de l'histoire du cinéma et pourtant l'un des plus drôles aussi... (humour que l'on retrouvé déjà dans Bad Taste et dans Meet the Feebles, mais ceci est une autre hisoire... :) )

Petit défaut toutefois : le monstre de la fin est bof... je veux dire que ça sent très fort le trucage à 2 balles... mais tu est pardonné Peter Jackson ! :)
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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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