TocCyclopédie ■ Époques

Rosemary et son mari Guy, un jeune acteur dont la carrière a du mal à démarrer, s'installent dans leur nouvel appartement à New York. Ils décident d'avoir leur premier enfant. Mais, une fois enceinte, la grossesse de Rosemary ne se passe pas normalement...



En Grande-Bretagne, Polanski a réalisé successivement Repulsion (1965), Cul-de-sac (1966) et Le bal des vampires (1967), avec l'aide du producteur indépendant Gene Gutowski. Mais, les deux derniers, bien que remarqués par la presse, ne fonctionnent pas bien, et Polanski se retrouve dans une position économiquement difficile. Il accepte alors l'invitation de Robert Evans, un chargé de production travaillant pour la Paramount, qui lui propose, initialement, de tourner aux USA un film sur le ski, grande passion de ce réalisateur polonais. Mais, en fait, Evans lui demande rapidement d'adapter le roman Rosemary's baby d'Ira Levin : Polanski est séduit par le livre et accepte avec enthousiasme. Les droits d'adaptation appartenaient au réalisateur / producteur de films d'horreur William Castle (La nuit de tous les mystères (1958) avec Vincent Price...), qui se retrouvera donc producteur de Rosemary's baby (par ailleurs, il y apparaît un court moment, lorsque Rosemary téléphone d'une cabine dans la rue). Pour le rôle de Rosemary, Paramount impose, avec bonheur, Mia Farrow (Cérémonie secrète (1968) de Joseph Losey, Le cercle infernal (1976) de Richard Roncraine, Zelig (1983) de Woody Allen...) à Polanski : elle était alors la vedette de séries TV fameuses aux USA (Peyton Place...), mais elle restait assez méconnue dans le reste du monde. Par contre, le réalisateur choisit lui-même John Cassavetes (L'homme qui tua la peur (1957) de Martin Ritt, Opening night (1977) qu'il réalise lui-même, Furie (1978) de De Palma...) pour interpréter Guy. A leurs côtés, on trouve de nombreux acteurs âgés, vétérans du cinéma d'Hollywood : Ruth Gordon (La femme aux deux visages (1941) de George Cukor, Harold et Maude (1971)...), Sidney Blackmer (Le petit César (1930) avec Edward G. Robinson, L'invraisemblable vérité (1956) de Fritz Lang...), Ralph Bellamy (Le loup-garou (1940) de George Waggner, Pretty woman (1990) avec Julia Roberts...), Elisha Cook jr. (Le faucon maltais (1941) de John Huston, Les mains qui tuent (1944) de Robert Siodmak...)...
Si Repulsion se déroule à Londres et Le locataire à Paris, Rosemary's baby a pour cadre la ville de New York, et plus précisément le Dakota Building, un immeuble très proche de Central park, dont le décor hétéroclite mélange des ornements gothiques et des motifs Art Nouveau, ce qui lui donne un peu l'allure d'un croisement entre un immeuble urbain et un château gothique. C'est le directeur artistique Richard Sylbert (Chinatown (1974) de Polanski, L'impasse (1993) de Brian De Palma...) qui a indiqué ce bâtiment à Polanski. C'est aussi lui qui se charge des splendides décors intérieurs des appartements (celui de Rosemary, aux douces dominantes jaune et blanche ; et celui des Castevet, plus gothique, avec ses pourpres, ses rouges et ses bruns). En ajoutant à cela la présence de voisins insolites, au comportement à la fois amusants et inquiétants, Polanski obtient un New York étrange, très original, dans lequel l'urbanisme contemporain et réaliste est rehaussé d'éléments poétiques, semblant provenir d'un registre fantastique. Dario Argento s'en souviendra sans doute pour concevoir la maison new yorkaise de la sorcière Mater Tenebrarum dans son Inferno (1980).

Une des grandes originalités de Rosemary's baby est de situer son récit horrifique dans un cadre avant tout réaliste. Le film commence, non pas à la manière d'un film d'horreur gothique dans la tradition de la Universal (Dracula (1931 de Tod Browning...) ou de la Hammer (Frankenstein s'est échappé ! (1957) de Terence Fisher...), mais à la façon d'une gentille comédie sentimentale, nous montrant deux jeunes mariés s'installant dans l'appartement de leurs rêves. Les personnages sont eux aussi réalistes : ils ont des problèmes quotidiens d'argent ou de travail, font leur lessive, collent du papier peint sur les murs... Ils sont rendus très crédibles par l'interprétation excellente de, notamment, Mia Farrow et John Cassavetes. La mise en place du récit se fait donc très habillement, le fantastique n'apparaissant, dans la première demi-heure, qu'à travers des détails insolites et minimes du décor, le comportement légèrement curieux de certains personnages, et quelques plans inattendus (la fumée venant du salon des Castevet qu'aperçoit Rosemary à travers l'embrasure de la porte de la cuisine...). Une première rupture va venir avec une éprouvante scène de cauchemar. Puis, après l'annonce de la grossesse, accueillie avec joie par le couple, Rosemary va sombrer lentement, progressivement, dans la folie, entraînant avec elle le spectateur pour une lente plongée au bout de la terreur, orchestrée avec une très grande habileté par Polanski, qui se montre ici aussi brillant scénariste que réalisateur.

On remarque de nombreux seconds rôles pittoresques, notamment le vieux couple Castevet et leurs inénarrables voisins. A travers le personnage de Minnie Castevet, toujours vêtue de couleurs bariolées, commère et sociable comme il n'est pas permis de l'être, et très intéressée par les questions d'argent ou les nouveaux meubles de l'appartement de Rosemary, Polanski se livre à une satire discrète, mais amusante, du mode de vie américain. D'autre part, le personnage de Guy, son idée du bonheur (villa hollywoodienne, piscine...) et le prix qu'il est prêt à payer pour obtenir sa réussite est là aussi une critique, assez dure cette fois, du rêve américain et des sacrifices que les gens sont prêts à faire pour sa concrétisation. Une des grandes forces de Rosemary's baby est de parvenir à faire basculer l'humour, apparemment anodin, du début du métrage, dans un absurde fantastique tout à fait inquiétant, qui culmine avec la réunion terrifiante des sectateurs, à la fois pittoresques et angoissants (le photographe japonais...), autour du singulier berceau où repose le bébé de Rosemary.

Rosemary's baby a de nombreux points communs avec Repulsion et Le locataire (1976), deux autres films de Polanski mettant en scène un personnage isolé au coeur d'une grande ville et sombrant dans la folie et la paranoïa. Comme Repulsion, cette chute dans le délire de persécution est mis en rapport avec l'identité féminine : mais dans Rosemary's baby, c'est la grossesse, et non la frustration sexuelle, qui est vécue à la manière d'un cauchemar. Rosemary, confinée dans un appartement clôt et laissée seule durant la journée par son mari, sombre dans une angoisse inextricable, et s'imagine, en interprétant des évènements qui pourraient n'être que des coïncidences, qu'une secte de satanistes trame un complot terrible contre elle et l'enfant qu'elle porte. On retrouve, comme dans Repulsion, l'habileté de Polanski pour rendre l'atmosphère étouffante d'un appartement urbain, apte à déclencher la claustrophobie. Comme dans Repulsion et Le locataire, il travaille sur la description de la folie à partir du point de vue de la malade, en laissant planer, tout au long du métrage, l'ambiguïté sur la nature réelle ou imaginaire des évènements qui traumatisent Rosemary. Grâce à la fameuse musique enfantine et mélancolique de Christopher Komeda, chantée par Mia Farrow, et grâce aussi à l'interprétation impeccable de cette dernière, le spectateur compatit aux souffrances de Rosemary, et ne la considère jamais comme un personnage laid ou répugnant lorsqu'elle a des crises d'hystérie, mais bien comme une victime à plaindre.

Pourtant, et là se situe la grande différence entre Rosemary's baby et Repulsion ou Le locataire, Polanski choisit de respecter fidèlement le roman de Ira Levin, et explique les évènements suivis par le spectateur, non pas par la folie de Rosemary, mais par l'existence réelle d'un complot satanique ourdi contre elle. Rosemary n'était pas folle : elle était bien la victime d'une secte de sorciers et de sorcières vivants en plein New York. Cette manière extrêmement originale dont Polanski mêle ainsi un réalisme contemporain, social et psychologique, à des éléments traditionnels d'un film d'horreur typiquement gothique (le Diable, les sorcières, mais aussi le vampirisme avec la maigreur maladive de Rosemary dont les forces vitales sont dévorées par l'enfant qu'elle porte...) va mettre un terme à l'idée du cinéma d'épouvante tel que le représentait la vague du cinéma d'épouvante britannique, dominante au cours des années 1960. Il est à noter que, la même année, George Romero, avec La nuit des morts-vivants (1968), va suivre une démarche très semblable à celle de Polanski, en filmant de manière très crue les méfaits répugnants de zombies dans l'Amérique des années 1960. Cette façon d'introduire l'horreur dans un cadre contemporain et réaliste fait de Rosemary's baby un point de rupture fondamental dans l'histoire du cinéma d'épouvante. Ce sera à la fois l'annonce du déclin de l'horreur gothique dans le style des films Hammer (Dracula et les femmes (1968) de Freddie Francis avec Christopher Lee est encore un succès cette année), et le début d'un cinéma d'épouvante totalement nouveau, ancré dans la réalité contemporaine, qui se déploiera tout au long des années 1970, et dont on ne citera ici que les plus célèbres : L'exorciste (1973) de William Friedkin, Ne vous retournez pas (1973) de Nicolas Roeg, Carrie (1976) de Brian De Palma, Halloween (1978) de John Carpenter, Shining (1980) de Stanley Kubrick...

Pour générer la peur, Polanski, très habilement, va reprendre les idées de mise en scène utilisées par Jacques Tourneur dans ses classiques La féline (1942) ou Vaudou (1943) : il va donc utiliser la bande-son de manière virtuose, en jouant sur la suggestion, les bruits inquiétants, et une réalisation déstabilisante (caméra portée à l'épaule, placée au ras du sol...), afin d'inquiéter progressivement le spectateur. Ce dernier se trouve de plus en plus dans la situation d'attente d'une révélation, ou de l'apparition d'un monstre, qui ferait enfin éclater la bulle d'angoisse croissant au cours des deux heures du métrage. Cette inquiétude culmine évidemment dans la séquence finale, mais Polanski ne montrera jamais le bébé au spectateur, tout en lui suggérant, à travers des remarques des personnages, son allure physique contre-nature. La réaction finale de Rosemary mettra alors d'autant plus mal à l'aise le spectateur, laissant le film se terminer sur une touche extrêmement ambiguë, comme, plus tard, La neuvième porte (1999).

Rosemary's baby sera un énorme succès international à sa sortie. Il prouvera notamment qu'une compagnie aussi prestigieuse que la Paramount peut faire des films d'épouvante crédibles, alors que ce genre, encore assez mal vu à l'époque, était plutôt réservé, notamment dans les années 1960, à des petites compagnies, telles que la Hammer. D'autre part, il lancera une véritable mode du film d'horreur sataniste, qui se perpétue encore aujourd'hui. Voici en vrac quelques uns des titres les plus célèbres qui n'auraient jamais vu le jour sans le succès de Rosemary's baby : L'exorciste de William Friedkin, La malédiction (1976) de Richard Donner, Possession (1981) d'Andrzej Zulawski, The sect (1990) de Michele Soavi, L'élue (2000) de Chuck Russell... Polanski devient alors un réalisateur réputé et admiré, qu'on considère comme l'égal d'un Kubrick (qui venait de réaliser 2001, l'odyssée de l'espace (1968)...). Toutefois, en 1969, Sharon Tate, son épouse, est assassinée par la violente communauté hippie de Charles Manson, et Polanski subit des attaques ignobles de la part de la presse à scandale américaine. Une fois innocenté, Polanski quitte les USA et tourne Macbeth (1971) en Grande-Bretagne.

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