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Boris Karloff en personne nous invite à suivre trois contes terrifiants...



C'est juste après avoir réalisé Le corps et le fouet (1963), délire gothique et sadomasochiste interprété par Christopher Lee (Le cauchemar de Dracula (1958)...), que Mario Bava se penche sur le projet de Les trois visages de la peur. Il s'agit d'un film d'épouvante à sketch, dans la tradition de l'oeuvre britannique Au cœur de la nuit (1945). Rappelons au passage que le film à sketch était assez en vogue en Italie dans les années 60 : citons, par exemple, Boccace 70 (1962) réalisé, entre autres, par Luchino Visconti (Le guépard (1963)...), Frederico Fellini (8 1/2 (1963)...) et Vittorio De Sica (Le voleur de bicyclettes (1948)...) ; ou bien Rogopag (1962) contenant des épisodes de Jean-Luc Godard (Le mépris (1963)...), Pier Paolo Pasolini (Mamma Roma (1962)...) et Roberto Rossellini (Rome ville ouverte (1946)...). Les trois visages de la peur est en partie financé par la compagnie américaine AIP, et on retrouve donc Boris Karloff (Frankenstein (1931) de James Whale...), une vedette de l'épouvante hollywoodienne, en monsieur Loyal nous présentant cette anthologie. D'ailleurs, à la même époque Karloff tenait la même fonction à la télévision US dans la série TV angoissante Thriller, un peu à la manière d'Hitchcock pour son show TV Alfred Hitchcock présente. Toutefois, Karloff, déjà âgé, tombera très malade au cours du tournage de Les trois visages de la peur, dont il ne gardera pas du tout un bon souvenir. Il apparaîtra ensuite assez régulièrement dans des films de l'AIP (Le corbeau (1963) de Roger Corman, Die monster, die (1965) de Daniel Haller...). Co-production française oblige, on trouve aussi des comédiennes telles que Michèle Mercier (Tirez sur le pianiste (1960) de François Truffaut, Angélique, marquise des anges (1964) de Bernard Borderie bien sûr...) et Jacqueline Piereux (Nous sommes tous des assassins (1952) d'André Cayatte, Cet homme est dangereux (1953) de la série des Lemmy Caution, OSS 117 n'est pas mort (1956)...).
Les copies françaises de Les trois visages de la peur ne respectent pas l'ordre de la version transalpine, dans laquelle les sketchs se succèdent tel quel : Les Wurdalak ; La goutte d'eau ; Le téléphone. Ils vont être chroniqué ici dans l'ordre du montage français.

On commence donc par Le téléphone, mettant en vedette les déshabillés de Michèle Mercier, et adaptation d'une oeuvre de F.G. Snyder (et non de Maupassant, comme l'indique faussement et chauvinement le générique français !). Un soir, une jeune femme rentre chez elle, et, alors qu'elle compte se mettre au lit, elle est harcelée par les coups de téléphone d'un sadique qui la menace de mort. Elle appelle alors une amie afin qu'elle lui tienne compagnie pendant la nuit... Comme on le voit, le début astucieux du récit évoque clairement une situation angoissante fort bien exploitée plus tard par Terreur sur la ligne (1979) de Fred Walton, puis, de manière moins efficace, par Scream (1996) de Wes Craven. Pourtant, ce sketch évoque avant tout un petit giallo (genre de thriller italien que Mario Bava venait d'inaugurer avec La fille qui en savait trop (1963)), avec un goût prononcé pour l'érotisme et les dérèglements sexuels (voyeurisme, sadisme, fétichisme, homosexualité... se bousculent en trente minutes), ainsi que pour les étrangleurs et les coups de couteau. Certes, le récit manque un peu de densité, mais il comprend des passages efficaces, notamment son rebondissement final à l'humour très noir.

Puis, on passe à Les Wurdalak, adaptation d'une histoire de Tolstoï avec, en vedette, rien de moins que Boris Karloff. Au XIXème siècle, en Russie, un jeune voyageur se réfugie dans une maison occupée par une famille inquiète. Il se rend compte que ceux-ci sont terrorisés par les wurdalak, des créatures nocturnes à forme humaine se nourrissant de sang humain et hantant la région... Il s'agit donc d'un récit de vampires gothique, dans la tradition du classique de Mario Bava Le masque du démon (1960). Comme dans ce dernier, Bava s'applique à éviter soigneusement les clichés cinématographiques de la représentation de ce mythe introduits par le cinéma anglo-saxon (Dracula (1931) de Tod Browning, Le cauchemar de Dracula (1958) de Terence Fisher...). Donc, vous ne trouverez pas, dans Les Wurdalak, de dentiers proéminents, de châteaux poussiéreux, de smoking noire, de cape, de chauve-souris, ou de coiffures impeccablement gominées. Karloff y est particulièrement savoureux, et les décors et éclairages sont d'une beauté à couper le souffle. Si on peut regretter que le récit soit prévisible et tire un peu trop en longueur, on se régale de séquences absolument inoubliables (l'enfant gémissant à la porte de la maison ; la poursuite à cheval ; les vampires, aux visages bleuis par un savant jeu de lumières, s'avançant vers Svendka...).

Le dernier sketch, La goutte d'eau, adapté d'une texte de Tchekhov, est le passage le plus fameux de Les trois visages de la peur. Une jeune infirmière, chargée d'habiller le corps d'une comtesse qui vient de décéder d'une crise cardiaque, lui subtilise une belle bague. Mais, en rentrant chez elle, quelque chose d'étrange se produit... Ce segment propose une impressionnante tranche d'horreur pure. S'appuyant sur un argument d'une très grande simplicité, tout le savoir-faire de Mario Bava va pouvoir se concentrer sur sa mise en valeur par des trouvailles inouïes en matière d'éclairage, de décor et de montage. Rappelons au passage que le monteur du film, Mario Serandrei (Le masque du démon de Mario Bava, Le guépard de Visconti, Les travaux d'Hercule (1957) de Francisci...), est une très grande personnalité du cinéma italien d'après-guerre. Stigmatisant, comme dans ses Six femmes pour l'assassin (1964) et La baie sanglante (1971), le sordide appât du gain, Bava propose une inoubliable et grimaçante apparition fantomatique, incarnation du sentiment de culpabilité de la voleuse, qui peut paraître annoncer les apocalyptiques films de zombies de Fulci (L'enfer des zombies (1979)...), dans lesquels les morts-vivants incarnent la mauvaise conscience et les péchés de l'humanité. Nerveux et impressionnant, baignant dans une incroyable atmosphère cauchemardesque, La goutte d'eau mérite de figurer, aux côtés de Le masque du démon et Lisa et le Diable (1972), parmi les plus belles réussites de son réalisateur.

Les sketchs de Les trois visages de la peur ont en commun un splendide et singulier travail sur les éclairages et les décors, qui semble un trait récurent de l'oeuvre de Mario Bava. Ainsi, les décors, même dans Le téléphone qui est censé se dérouler dans un cadre réaliste, sont composés d'éléments de provenance diverses, de meubles, de bibelots et d'ornements de toutes époques, assemblés en dépit de la logique. C'est particulièrement évident dans l'appartement de la comtesse de La goutte d'eau, où toutes les époques de l'histoire de l'Art semble se mêler d'une manière artificielle. Comme dans le magasin d'antiquités de Six femmes pour l'assassin, le château néo-gothique de Baron Vampire (1972) et le palais de Lisa et le Diable, on a l'impression de se retrouver dans un lieu étrange, entre un musée délirant et les coulisses d'un invraisemblable théâtre encombrées d'accessoires baroques. L'aspect fantastique de cet environnement est encore mis en valeur par le travail chromatique irréaliste de Bava, que ce soit dans le choix des couleurs des objets eux-mêmes (le fameux téléphone rouge de Le téléphone) ou les hallucinants éclairages verts, bleus, rouges et pourpres qui affirment encore l'aspect factice de l'univers dans lequel se déroule ces récits. Le final, qui n'apparaît hélas pas sur toutes les copies, nous révèle, par un travelling arrière, Karloff , ricanant, en train de chevaucher un faux-cheval de cinéma, agité par des techniciens, tandis que des accessoiristes font passer des branches devant l'objectif de la caméra dans une ronde étonnante. Cette mise en abyme, aussi humoristique que troublante, va dans le sens de ce goût du factice, de l'invention exubérante et invraisemblable qui caractérise le style de Bava dans ses meilleurs oeuvres. Il n'est alors pas étonnant que ses films grouillent de "faux" personnages : mannequins, armures et poupées créent l'illusion de présences abstraites, artificielles et inquiétantes.

Les trois visages de la peur est donc un très bon film de Bava, proposant trois sketchs de qualité (dont un chef-d'oeuvre) qui permettent à la fois d'appréhender l'aspect très polymorphe de son oeuvre et l'unité stylistique qui la sous-tend. Il s'agit donc d'une très bonne introduction au travail de ce réalisateur. Les trois visages de la peur sera d'ailleurs un de ses plus gros succès publics.

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