Dans une base scientifique isolée en plein coeur de l'Antartique, douze hommes doivent affronter une terrible entité extra-terrestre.
Avec Halloween (1978), Fog (1980) et New York 1997 (1981), John Carpenter avait obtenu, en partant de petits budgets, trois confortables succès au box-office américain. Il est devenu un des réalisateurs les plus admirés du genre, et la compagnie Universal décida de lui confier un gros projet : le remake de La chose d'un autre monde (1951), un classique de la science-fiction américaine réalisé par Christian Nyby et Howard Hawks (Rio Bravo (1959)...). L'idée de retourner ce film était dans l'air depuis le début des années 1970, et commença à vraiment prendre forme avec le succès d'Alien (1979), huis-clos terrifiant enfermant une petite troupe d'humains dans un vaisseau à bord duquel les pourchasse un terrible prédateur extra-terrestre. Carpenter est un fan de La chose d'un autre monde et du réalisateur Howard Hawks (son Assaut (1976) était un remake de Rio Bravo), et il ne se fait pas prier pour se mettre rapidement au travail avec le scénariste Bill Lancaster (fils de l'acteur Burt Lancaster) sur le script de The thing C'est la première fois que Carpenter travaillait pour un grand studio, avec un gros budget (10 millions de dollars, alors que New York 1997 n'en avait coûté que 6). Carpenter ne signe pas lui-même la musique de son film : il confie cette tâche au génial Ennio Morricone (Il était une fois dans l'ouest (1968) de Sergio Leone, Le syndrome de Stendhal (1996) de Dario Argento...) qui, en proposant une partition extrêmement proche du travail de Carpenter sur Fog, prouve encore sa sidérante capacité à adapter son talent à toutes les situations. Néanmoins Carpenter n'utilisera dans le film qu'une toute petite partie de la composition complète de Morricone (qui est en entier sur le disque de la musique du film). Dans le rôle principal, on retrouve Kurt Russell que Carpenter venait de diriger dans le téléfilm Le roman d'Elvis (1979) et dans New York 1997. On trouve aussi T.K. Carter (Sans retour (1981) de Walter Hill, Runaway train (1985) d'Andrei Konchalovsky...), Keith David (Bird (1988) de Clint Eastwood, Invasion Los Angeles (1988) de John Carpenter...)...
L'influence de Lovecraft est surtout saisissante dans la description de la chose elle-même. Contrairement aux monstres de cinéma l'ayant précédée, sa grande spécificité est de ne pas avoir de forme propre, d'être un corps instable à l'apparence indéfinie. Si cet extra-terrestre est capable d'imiter la forme d'un homme ou d'un animal, il passe aussi par des phases transitoires au cours desquelles il révèle sa vraie nature polymorphe et extra-terrestre. Rob Bottin, alors âgé de 23 ans, avait été remarqué notamment pour son travail sur les loup-garou de Hurlements (1980) de Joe Dante. Aidé par le dessinateur de Comics Mike Ploog, il a créé les diverses apparences du monstre, en s'inspirant, des couvertures des magazines des années 1930-40 dans lesquels étaient publiés les écrivains de science-fiction de cette époque (dont, bien entendu, Lovecraft). Puis, Bottin s'est chargé de réaliser tous les effets liés à cette créature informe et horrible, qu'on ne verra jamais deux fois dans le film sous la même apparence (néanmoins, à cause d'un planning trop chargé, la séquence du chenil a été confié à Stan Winston (Aliens (1986)...)). Il utilise essentiellement des modèles de marionnettes animées par des moteurs, technique assez peu utilisée alors, mais qui allait beaucoup se développer au cours des années 1980 (Aliens (1986), Jurassic Park (1993)...). Ces trucages, exécutés à la perfection, sont remarquablement mis en valeur par la photographie irréprochable de Dean Cundey (Halloween...). Ces visions purement lovecraftiennes d'organismes gigantesques et désordonnés, où pattes d'insectes, gueules de chien et tentacules s'agitent dans un tourbillon suintant et hurlant, prennent à revers le fameux cliché qui veut qu'au cinéma, moins on en montre, plus cela fait peur : comme chez Lovecraft (qui décrit souvent ses monstres avec beaucoup de précisions), Carpenter expose clairement le moindre détail de ses créatures indicibles au cours de séquences spectaculaires et très violentes.
The thing, comme Alien et La chose d'un autre monde, fonctionne à la manière d'un huis-clos terrifiant. Mais, comme dans L'invasion des profanateurs de sépultures (1959) de Don Siegel, l'extra-terrestre est capable d'imiter la forme humaine, si bien que chaque personnage enfermé dans la station est susceptible d'être un alien caché. Les survivants doivent d'une part se serrer les coudes pour survivre, et d'autre part se méfier de ses compagnons. La paranoïa pesante s'installant au cours de The thing culmine de façon tout à fait intense lorsque Kurt Russell teste le sang de ses compagnons. Carpenter a souvent répété qu'il voulait, avec ce film, décrire un monde sans solidarité ou confiance, dans lequel les personnages sont solitaires, isolés, obligés de se méfier de tous leur entourage. Il y voyait une métaphore de la société occidentale du début des années 1980. En proposant de longues séquences de calme lourd et méfiant, Carpenter rend encore plus efficaces les interventions, toujours très brutales, de la chose : la fameuse séquence du défibrillateur est un morceau d'anthologie.
The thing fonctionne effectivement sur un sentiment d'isolement. La petite communauté humaine est confinée dans une base perdue au milieu d'un vaste désert de neige, incapable de communiquer avec l'extérieur. Le style de Carpenter est ici d'une parfaite neutralité, à la manière de la "réalisation invisible" qu'il admire tant chez Howard Hawks. La réalisation est complètement froide et clinique, et on ne trouve plus, dans The thing, les élégants travellings d'un Halloween. Ce regard fonctionnel et impersonnel porté sur l'action renforce encore l'aspect sombre et paranoïaque de la situation inextricable dans laquelle se trouve ces personnages, piégés au coeur d'un univers hostile et implacable. Par le style glaciale de sa réalisation et la noirceur de son propos (jusqu'à sa conclusion terrible), The thing est une oeuvre d'épouvante sobre, tragique et pessimiste, refusant toute forme de concession.
Toutefois, The thing fût mal accueilli par la critique : la presse généraliste reprocha à Carpenter de s'être laissé noyer sous les effets spéciaux (ces séquences ne sont pourtant pas si nombreuses), d'avoir négligé ses personnages, et n'apprécia pas les séquences gore, tandis que certaines revues consacrées au fantastique reprochèrent à Carpenter de s'être "vendu" à un grand studio, ou bien d'avoir "perdu" son talent (genre d'argumentaire hélas fréquent chez cette presse souvent très sensible aux effets de mode et au syndrome du "C'était mieux avant..."). Sorti la même années qu'E.T. (1982) de Spielberg,avec son gentil extra-terrestre, The thing allait produire des recettes décevantes en salle, remboursant à peine son budget.
Pourtant, au fil des ans, The thing a fini par être reconnu comme un classique du cinéma fantastique, et est devenue l'oeuvre la plus célèbre de Carpenter avec Halloween. Il s'agit effectivement d'un des meilleurs films d'horreur des années 1980. A travers la peinture de sa chose, il proposait aussi une des toutes premières restitutions convaincantes des monstres Lovecraftiens, ce qui allait ouvrir la porte aux mutations horribles de La mouche (1986) de David Cronenberg et surtout aux trouvailles démentes de From beyond (1987) de Stuart Gordon.