Une jeune femme prépare une thèse sur la violence dans le domaine audiovisuelle. Elle met alors la main sur une cassette vidéo de snuff movie. Apparemment, des enseignants et des élèves de son université sont impliqués dans cette affaire.
La fin des années 80 a vu par la percée internationale d'un nouveau cinéma espagnol avec, en chef de file, Pablo Almodovar (Femmes au bord de la crise de nerf (1988), Tout sur ma mère (1999)...). Marqué par un style coloré et exubérant, ennemi des hypocrisies de toute sorte, ce réalisateur va aussi être le parrain cinématographique bienveillant de Alex de la Iglesia qui livrera Action mutante (1993), un inégal film de SF parodico-trash. Le cinéma de genre espagnol va alors connaître une certaine renaissance, dont Tesis (1996), un thriller horrifique de Alejandro Amenábar, sera un des premiers symptôme. Ce réalisateur, né au Chili, réalisa quelques court-métrages à suspens avant Tesis, son premier long métrage. Après Tesis, il réalisera Ouvre les yeux (1998), une histoire de chirurgie esthétique évoquant vaguement Les yeux sans visage (1959) de Franju, et The others (2001) avec Nicole Kidman (Eyes wide shut (1999) de Stanley Kubrick...), dans une veine plus gothique. On note qu'il a rédigé le scénario de Tesis avec Mateo Gil, réalisateur du consternant Jeu de rôles (1999), de sinistre mémoire pour les rôlistes. Parmi les acteurs principaux, on reconnaît Ana Torrent (l'inoubliable petite fille de Cria cuervos (1976) de Carlos Saura...), Fele Martínez (qui apparaîtra dans Darkness (2001), le nouveau film de Jaume Balagueró (La secte sans nom (1999)...)) et Eduardo Noriega (Jeu de rôles...).
Tesis est un thriller qui traite du sujet des snuff movies. On entend par là des films mettant en scène de véritables tortures et meurtres, perpétrés délibérément pour les mettre sur pellicules à des fins de "divertissement". Le terme "snuff" à ce sujet a été lancé en 1976 dans un livre de Ed Sanders, traitant de la rumeur voulant que le serial-killer Charles Manson et ses complices filmaient des assassinats (ce qui n'est pas exact). Puis, le film américain Snuff (1976), bricolé apparemment à partir d'un film du début des années 70, connut un beau succès grâce à une rumeur (fantaisiste, évidemment) lancée par son distributeur : il contiendrait de véritables images de meurtres commis pour être inclus dans ce métrage. Cela déclencha un scandale aux Etats-Unis, et la police mena une enquête, tandis que la presse se régalait de rumeurs infondées, colportées notamment par les bigots ennemis du porno : désormais, le grand public était convaincu qu'en Amérique du Sud se tournaient des snuff movies destinés à des spectateurs sadiques qui les payaient une fortune... La légende urbaine des snuff movies était née !
Si des films snuff tournés délibérément relèvent de la fiction, il n'est pas nécessaire de chercher beaucoup plus loin que dans les journaux télévisés pour trouver de nombreuses images de violence d'autant plus traumatisantes qu'on les sait réelles. Des cassettes proposant des séquences d'accidents, d'éxécutions, d'animaux subissant des mauvais traitement dans des laboratoires et autres autopsies (tout cela étant parfois bidonné), ont été largement commercialisées en vidéo (on pense notamment à la série amorcée par Face à la mort (1978)...). Ces films s'inscrivent dans la tradition des travaux de Gualtiero Jacopetti, réalisateur italien de documentaires à scandale, reprenant des images réelles d'horreurs et de bizarreries, tel que son Mondo Cane (1962). On trouve encore le cas particulier de Camp 731 (1987), un film de fiction chinois de Tun Fei Mou retraçant les atrocités commises dans un camp de prisonniers tenu par les japonais pendant la guerre : parmi les séquences gore, on trouve la véritable autopsie d'un cadavre d'enfant pratiqué par des médecins qui ont accepté de porter les costumes du film et d'être filmés. Mais, encore une fois, les souffrances ou les meurtres d'hommes ne sont pas délibérément commis pour être filmés.
Dans un autre genre, certains films de fiction ont été promus comme étant des snuff movies, ou tout du moins, comme contenant des enregistrements authentiques d'atrocités. On a déjà vu plus haut le fameux Snuff. Mais, une des branches les plus fameuses du genre reste le pseudo-documentaire sur les exactions "authenthiques" de tribus cannibales. Les américains Osa et Martin Johnson tournent "au péril de leur vie" Chasseurs des têtes des mers du sud présenté un documentaire bidonné, présenté comme une authentique enquête sur un clan de cannibales. Dans le même genre les français Paul-Antoine et Roger Lugeon filment Chez les mangeurs d'hommes (1928), avec une scène de sacrifice humain pseudo-snuff, filmée soit-disant en caméra caché, très en avance sur son époque : en fait, tout cela a été tourné en studio ; ce document truqué a été présenté à l'exposition coloniale de Paris comme authentique et représentatif des moeurs de certaines peuplades des mers du sud. Mais le plus célèbre, dans ce genre, est bien entendu Cannibal holocaust (1979) de l'italien Ruggero Deodato, dans lequel des journalistes filment les massacres commis par une tribu de cannibales avant de passer à la casserole. Le film de cannibales italien (genre amorcée par Au pays de l'exorcisme (1973) d'Umberto Lenzi) a aussi la particularité de mettre souvent en scène de peu ragoûtantes mises à mort réelles d'animaux. Ce n'est pas vraiment plus condamnable qu'une corrida, mais pour le bon goût, on repassera... Dans cette tradition de films pseudo-snuff, on ne peut pas oublier de mentionner Le projet Blair Witch (1999) de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, petit film d'horreur tourné avec très peu de moyens et promu comme un véritable documentaire. Si les réalisateurs de films d'exploitation gore italiens étaient déjà bien roublards, ceux de Le projet Blair Witch étaient encore plus rusés, puisqu'ils jouaient sur deux tableaux : le sensationnalisme pour appâter le grand public d'une part, et la réflexion (artificielle et assez courte) sur les limites entre la réalité et la fiction pour faire s'extasier les critiques et les étudiants en cinéma d'autre part (ce fût un grand succès au festival du cinéma indépendant de Sundance ! )
Enfin, de nombreux thrillers et films d'horreur font référence aux snuff movies. Le premier d'entre eux est le classique passionnant Le voyeur (1960) de l'anglais Michael Powell : à Londres, un sadique assassine des jeunes femmes et filme leur agonie à l'aide d'une caméra portable. Parmi les oeuvres racoleuses produites en Europe, citons Black Emanuelle en Amérique (1976) du multi-récidiviste Joe d'Amato : la belle journaliste interprétée par Laura Gemser enquête sur les snuff movies et, comme toujours, paie de sa personne pour recueillir des informations ; les séquences pseudo-snuff de ce film, très éprouvantes, sont restées célèbres ! Avec Hardcore (1979) de Paul Schrader (La féline (1982)...), c'est désormais les thrillers de Hollywood qui s'intéressent à ce sujet : un homme d'affaire (George C. Scott (Patton (1970)..) tente de retrouver sa fille disparue en enquêtant sur le milieu du cinéma pornographique... Dans le génial Vidéodrome (1985) de David Cronenberg, le directeur d'une chaîne télévisé parvenait à capter une chaîne étrange diffusant des snuff movies étranges. Enfin le thriller à gros budget 8MM (1999) de Joel Schumacher (Batman et Robin (1997)...), avec Nicolas Cage raconte l'enquête que mène un homme à propos d'un petit film horrible tourné en 8 millimètres. Si la rumeur des années 70 voulait que ces films soient tournés en Amérique du sud, depuis la chute du mur de Berlin et le développement de la mafia russe, ce sont les pays de l'est qui inspirent maintenant les scénaristes de films noirs : ainsi, dans Témoin muet de Anthony Waller, une jeune fille muette assiste par accident au tournage d'un snuff movie à Moscou, et se retrouve traquée par les coupables de ce crime. Plus récemment, Gunblast vodka (2000), du français Jean-Louis Daniel, raconte comment une jeune top-model se retrouve entraînée dans un réseau de tournage de snuff movies dans les pays de l'est.
Une thèse sur les images de la violence
Tesis s'inscrit donc dans ce genre de films traitant du snuff movies. Pourtant, il se veut avant tout une réflexion sur le rapport de l'homme et de la société aux images et à la violence. Ainsi, dans sa thèse, Angela défend l'idée très à la mode que la violence si fréquente dans les images qu'on nous propose tend à rendre la société plus dure et déréglée. Elle se pose en ennemi de la violence. Pourtant, dès l'ouverture du film où Angela tente, fascinée, d'observer le cadavre d'un suicidé sur une voie de métro, Amenábar dénonce l'hypocrisie de ce personnage : la fascination pour le morbide est une composante de la face sombre des êtres humains. Les images proposées par notre société sont violentes car ce spectacle nous fascine. Mais cette théorie du spectacle de la violence, poussée jusqu'au bout, mène à la réalisation des snuff movies. Almenabar met donc en question la responsabilité des médias (journaux télévisés...) et des systèmes de production de films. Entre l'hypocrisie angélique et la folie meurtrière, il faut donc trouver un chemin dans le complexe monde des images qui nous entoure.
Tesis illustre ces théories à travers une solide réalisation évoquant les meilleurs thrillers américains, et en opposition avec d'autres oeuvres de genre espagnole moins rythmées et réussies (La secte sans nom, le thriller Entre les jambes (1999) de Manuel Gómez Pereira...). De nombreuses scènes proposent un suspens d'une grande efficacité, en jouant notamment sur l'ambiguïté des apparences, à la manière de Soupçons (1941) ou L'ombre d'un doute (1943) de Alfred Hitchcock : ainsi, Angela et les spectateurs ne sauront jamais trop à quoi s'en tenir à propos de personnages au comportements ambivalents, tels que Chema et Bosco. L'interprétation est globalement correcte, tandis que de vrais et efficaces morceaux de tensions nous sont offerts (l'exploration des passages secrets de l'université...).
On peut pourtant regretter que le film soit un brin trop long, ce qui fait parfois perdre patience au spectateur. L'aspect caricatural du script est aussi assez embarrassant (le personnage du collectionneur de films gore et de pornos, le professeur qui pense la production cinématographique de manière purement économique...). Le plus gênant reste tout de même la manière dont Amenábar s'appuie sur le sujet du snuff movie (un fantasme collectif, qu'une part du public croit réelle) pour imposer d'une manière assez malhonnête ses théorie sur la consommation des images et le voyeurisme (les dernières images de Tesis, stigmatisant cette attitude, rappellent d'ailleurs le tout dernier plan de Fenêtre sur cour (1954) de Hitchcock). On peut trouver que cette façon d'utiliser ce sujet sensationnaliste et sensible, dans le cadre d'une fiction se déroulant dans un cadre réaliste, pour proposer une "vision" de la société relève d'un certain terrorisme intellectuel peu sympathique, qui n'est pas sans rappeler, justement, Jeu de rôles ou Entre les jambes.
Néanmoins, Tesis, malgré quelques passages inégaux et quelques invraisemblances (Chema et Angela discutent à très haute voix dans le hall de leur université de leurs soupçons concernant un de leur professeur !...), reste un thriller efficace et de bonne facture. On peut être plus réservé sur la manière un peu assommante et malhonnête dont la réflexion du film est imposée.