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Jonathan Harker se rend au château de comte Dracula pour y prendre une place de bibliothécaire...



Après le surprenant et énorme succès de Frankenstein s'est échappé ! (1957) de Terence Fisher, la compagnie britannique Hammer en produisit une séquelle, avec La revanche de Frankenstein (1958). Puis, cette firme s'attaquera à un autre grand mythe adapté au cinéma par la Universal dans les années 1930 : Dracula (1931) de Tod Browning avec Bela Lugosi, oeuvre alors un peu oubliée qui était devenue assez difficile à voir. L'équipe technique des deux précédents Frankenstein de la Hammer se réunit à nouveau et tourne ce qui allait devenir une des adaptations les plus mythiques du roman Dracula de Bram Stoker, ainsi qu'un sommet de l'épouvante gothique (ou Gaslight, pour employer un terme plus rôliste). Peter Cushing (le professeur Frankenstein de Frankenstein s'est échappé ! et La revanche de Frankenstein) jouera le rôle de Van Helsing, le chasseur de vampires, tandis que Christopher Lee (le monstre de Frankenstein s'est échappé !) interprètera Dracula. A leurs côtés, on trouve, entre autres, Michael Gough (Le fantôme de l'Opéra (1962) de Terence Fisher, La maison ensorcelée...).
Christopher Lee, prince des ténèbres

Christopher Lee, né en 1922, est le fils d'un militaire britannique et d'une aristocrate italienne. Après avoir fait combattu dans la Royal Air Force pendant la seconde guerre mondiale, il s'oriente vers l'art dramatique, et notamment vers le cinéma. Mais le succès sera long à venir. Si son nom est alors parfois rattaché à des films prestigieux, il n'y tient que des rôles mineurs : ainsi, le spectateur aura intérêt à regarder attentivement le légendaire Hamlet (1948) de Laurence Olivier si il veut reconnaître Lee parmi les... porteurs de hallebarde muets et immobiles ! De même, ses apparitions dans Le pirate rouge (1952) de Robert Siodmak ou dans Moulin Rouge (1952) de John Huston sont discrètes. En 1957, il accepte d'interpréter, pour un petit salaire, le monstre de Frankenstein aux côtés de Peter Cushing (qui, lui, était déjà une vedette de la télévision britannique, notamment grâce à son rôle dans l'adaptation de 1984 (1954) produite par la BBC) : ce sera Frankenstein s'est échappé !. Mais le succès public viendra pour de bon avec Le cauchemar de Dracula, dans lequel il interprète pour la première fois Dracula, le plus célèbre des vampires : l'originalité et l'efficacité de sa composition vont marquer définitivement la mémoire des spectateurs et en faire une vedette du cinéma d'épouvante. Pendant toutes les années 1960, il va donc apparaître dans un très grand nombre de productions fantastiques, où il va interpréter des personnages variés : momie (La malédiction des pharaons (1959) de Terence Fisher), vampire antique (Hercule contre les vampires (1961) de Mario Bava), Sherlock Holmes (Sherlock Holmes et le collier maudit (1962) de Terence Fisher), aristocrate sadique (Le corps et le fouet (1963) de Mario Bava), Fu Manchu (Le masque de Fu Manchu (1965) de Don Sharp)... Il ne retrouve le rôle de Dracula qu'avec Dracula, prince des ténèbres (1966) de Terence Fisher, et il interprétera en tout ce rôle six fois pour la Hammer, jusqu'à Dracula vit toujours à Londres (1974), bien qu'il se plaigne de la modestie des cachets que lui verse cette compagnie. Dans les films de cette firme, Dracula sera toujours interprété par Christopher Lee (à une exception près : Les sept vampires d'or (1974)).

Au cours des années 1970, sa carrière commence à prendre une envergure internationale : il apparaît dans Les trois mousquetaires (1973) de Richard Lester, Les naufragés du 747 (1977) de James Jameson, 1941 (1979) de Steven Spielberg... Surtout, il affronte James Bond dans L'homme au pistolet d'or (1974). Il se fait plus rare jusqu'à la fin des années 1990, mais des grands réalisateurs n'oublient pas de rendre hommage à ce grand monsieur du fantastique, qui a toujours su prendre au sérieux les rôles de méchants : on le retrouve ainsi dans La malédiction de la momie (1998) de Russell Mulcahy, Sleepy Hollow (1999) de Tim Burton, Star Wars, episode II : attack of the clones (2002) de George Lucas. Peter Jackson l'a (très intelligemment) choisi pour interpréter le magicien Saruman dans son adaptation de Le seigneur des anneaux.

Dans Le cauchemar de Dracula, Christopher Lee propose une interprétation nouvelle du vampire. Lugosi, trapu, déclamait lentement des tirades en jouant de son accent roumain, et utilisait une gestuelle théâtrale. Lee propose un Dracula pratiquement muet, qui s'impose avant tout grâce à sa silhouette très impressionnante (Lee dépasse d'une tête les autres acteurs du casting). Son interprétation alterne, de façon contrastée, un hiératisme glaçant et une brutalité sauvage extrêmement spectaculaire. D'autre part, les vampires ont désormais des dents proéminentes et animales grâce auxquelles ils peuvent sucer le sang de leurs victimes : ce n'était pas le cas pour les vampires de la Universal. Toutefois, cette idée astucieuse a eu des précédents. Dès Nosferatu le vampire (1922) de Murnau, le vampire a des dents anormalements pointues (mais ce sont des incisives). Par contre, dans le film turque Dracula Istanbul'da, Dracula a bien de longues canines. De même, dansLes proies du vampire (1957), film mexicain de Fernando Méndez, dans lequel German Robles interprète le comte Karol de Lavud, un personnage proche du comte Dracula, muni de longues canines pointues : Christopher Lee avouera que le jeu de ce comédien espagnol l'a beaucoup influencé pour Le cauchemar de Dracula.



La série des Dracula de la Hammer

Le cauchemar de Dracula est le premier de la série des Dracula produit par la Hammer. Il y en aura huit autres. Voici un rapide petit récapitulatif de cette série. C'est à nouveau Terence Fisher qui réalise Les maîtresses de Dracula (1960) dans lequel n'apparaissent ni Dracula, ni Christopher Lee ! Cette fois-ci, Van Helsing affronte le comte Meinster, un autre vampire redoutable. Avec Dracula, prince des ténèbres (1966), toujours de Terence Fisher (des touristes imprudents arrivent au château de Dracula..), la Hammer, qui sortait d'une passe financièrement difficile, fait ressurgir Dracula de ses cendres. Puis vient Dracula et les femmes (1968) de Freddie Francis (L'empreinte de Frankenstein (1964)...), qui sera le plus gros succès commercial de la série : Dracula veut se venger d'un religieux qui a exorcisé son château. Ensuite, on a Une messe pour Dracula (1970) réalisé par le hongrois Peter Sasdy (des hommes férus de sorcellerie tentent de ressusciter Dracula) et Les cicatrices de Dracula (1970) de Roy Ward Baker (un jeune voyageur passe la nuit dans le château de Dracula), tournés tous deux la même année.

Puis, la situation financière de la Hammer se complique et des changements ont lieu chez les dirigeants. On tente de rajeunir Dracula en lui faisant vivre des aventures dans les années 1970, et non plus dans son univers gothique habituel : le canadien Alan Gibson réalise alors coup sur coup Dracula 73 (1972) (Dracula, ressuscité en 1972, affronte les descendants de Van Helsing) et Dracula vit toujours à Londres (1974) (Dracula, toujours dans les années 1970, prépare un complot pour exterminer toute l'humanité). La même année, la Hammer produit, avec une compagnie de Honk Kong, Les sept vampire d'or de Roy Ward Baker, dans lequel Dracula (interprété cette fois par John Forbes-Robertson) se fait aider par des vampires chinois adeptes des arts martiaux pour vaincre Van Helsing : rappelons que la courte carrière de Bruce Lee venait de s'achever avec Opération Dragon (1973), l'année du décès prématuré du petit dragon, au sommet de sa gloire. Ensuite, la Hammer ne produira plus de Dracula, et cessera ces activités pour le cinéma à la fin des années 1970.



Au cœur du Cauchemar

A travers le récit de Le cauchemar de Dracula, Terence Fisher nous propose une allégorie de la lutte entre le bien et le mal, deux principes antagonistes qui s'affrontent dans une lutte permanente. Van Helsing, bien plus que dans les versions antérieures de Dracula, est un chasseur de vampires obsédé par la destruction du mal, consacrant chaque instant de son existence et chaque parcelle de son énergie à traquer les créatures des ténèbres. Véritable croisé du dix-neuvième-siècle, il se fait aider aussi bien par la science (il est médecin, il enregistre ses notes à l'aide d'un rouleau de cire, technique alors fort moderne...) que par la religion chrétienne (le crucifix...). Il est donc un Saint-Georges (qu'une statue dans le salon des Holmwood représente sans doute) traquant la bête démoniaque et corruptrice, ce Dracula, dont le nom provient du Draco (diable) roumain et évoque aussi le mot Dragon. Van Helsing est encore l'incarnation de l'ordre bourgeois, dont il défend la morale à la fois pieuse et conservatrice. De son côté, Dracula est le représentant des forces des ténèbres, de la bestialité et de la jouissance sexuelle sans entrave morale. Ce combat entre le bien et le mal prend toute sa force allégorique au cours du dernier affrontement, dans le décor du bibliothèque de Dracula, représentation de l'univers avec son globe terrestre et son zodiaque inscrit sur le sol. C'est alors logiquement l'astre solaire qui va détruire le représentant des ténèbres, le héros de la nuit.

Par rapport au Dracula de la Universal, un des apports les plus décisifs de Le cauchemar de Dracula est l'arrivée nouvelle de la couleur, et tout particulièrement du rouge vif dont Fisher n'est pas avare : ainsi, dès le générique, le cercueil du comte est éclaboussé par une jet de sang. Ce liquide coulera tout au long du métrage, et la violence est toujours très présente, notamment lorsque les chasseurs plantent brutalement des pieux dans les cœurs des vampires. On est aussi frappé par la sauvagerie des combats, notamment lorsque Dracula et sa compagne se disputent comme des animaux sauvages autour de Harker. Mais l'érotisme est aussi mis en évidence, notamment dans les séquences où Lucy Harker, sous l'emprise de Dracula, attend avec une impatience sensuelle et non dissimulée qu'il vienne la rejoindre la nuit, dans son lit. Les associations à connotation sexuelle sont nombreuses, notamment lorsque Dracula mord profondément dans le cou, à l'aide de ses dents rétractables, ses victimes en extase. On remarque au passage l'interprétation remarquable des proies du comte par d'excellentes actrices : Carol Marsh (Alice aux pays des merveilles (1950) de Dallas Bower...), Valerie Gaunt (Frankenstein s'est échappé (1957) de Terence Fisher) et Mellissa Strebling (Hold-up à Londres (1960) de Basil Dearden...) composent des personnages variés et ambiguës avec beaucoup de talent.

Une des grandes forces de Le cauchemar de Dracula se trouve dans la très grande qualité de son script rédigé par Jimmy Sangster. Ce dernier prend intelligemment certaines libertés avec le roman de Bram Stoker. Ainsi, certains personnages sont détournés de leurs rôles habituels (Harker...) ce qui permet de surprendre très efficacement le spectateur. D'autre part, le fait que la chasse aux vampires commence avant même le début du générique (et non en plein milieu du récit comme c'est l'usage dans les adaptations de ce roman) imprime un très grand dynamisme au récit, et lui évite notamment de stagner lors de l'arrivée de Dracula en ville (Dracula de Tod Browning n'avait pas su éviter cet écueil). Les apparitions de Dracula sont plutôt rares (il n'apparaît vraiment qu'au début et à la fin) : mais elles sont si marquantes et efficaces que sa présence hante le reste du métrage, notamment lorsque Helsing doit affronter ses compagnes. Enfin, l'ultime combat est extrêmement impressionnant, grâce à une réalisation très vive et mobile, et aussi grâce aux interprétations époustouflantes de Christopher Lee et Peter Cushing. Ce serait d'ailleurs Cushing, admirateur des films interprétés par Douglas Fairbanks (Le signe de Zorro (1920), Le voleur de Bagdad (1924)...), qui aurait encouragé Terence Fisher à faire de ce final une séquence d'action étourdissante.

La réalisation de Terence Fisher est ici à son sommet. Sans abandonner son habituelle rigueur, il déplace sa caméra avec une grâce féline en parfaite harmonie avec son redoutable personnage principale. Les séquences d'action frappent par leur nervosité spectaculaire, rendue par des travellings rapides et un montage aussi précis qu'efficace (on se rappelle alors de la séquence stupéfiante de Frankenstein s'est échappé ! dans laquelle le monstre retire ses bandages et révèle son visage horrible). Le plus beau reste l'usage absolument génial et poétique de la couleur, rendu par le travail hallucinant du chef-opérateur Jack Asher (Frankenstein s'est échappé !...) et par les trouvailles gothiques sidérantes de Bernard Robinson, le décorateur de la Hammer (le château de Dracula, sa bibliothèque, le cimetière de Karlstad...) : Le cauchemar de Dracula est une somptueuse symphonie de couleurs fantastiques dans laquelle le vert pâle des cadavres et le bleu éteint de la nuit sont dominés par la force d'un rouge vif sanglant. Enfin, l'excellente musique de James Bernard (fidèle à la Hammer depuis Le monstre (1955) de Val Guest) sait se faire sinueuse et menaçante, ou bien solennelle et terrible, selon les séquences qu'elle illustre.

Le cauchemar de Dracula est donc une des plus belles réussites (la plus belle ?) de la Hammer et de Terence Fisher. Bénéficiant d'un script d'une qualité hors du commun, il s'agit d'une oeuvre originale qui réussit à éviter les redites par rapport à Nosferatu le vampire (1922) de Murnau et à Dracula de Tod Browning. Il contourne avec intelligence les défauts du roman. C'est sans conteste une des plus grandes réussites du film de vampires.

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