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Le docteur John Holden, éminent psychologue américain, se rend à Londres pour un congrès consacré aux phénomènes paranormaux. Il compte dénoncer les mystifications de Julian Karswell, le chef d'une secte qui prétend détenir des pouvoirs magiques...



Jacques Tourneur est célèbre pour avoir réalisé une série de trois classiques de l'horreur pour la compagnie RKO et le producteur Val Lewton : La féline (1942), Vaudou (1943) et L'homme-léopard (1943). Toutefois, malgré le grand succès de La féline, le cinéma d'épouvante déclina à Hollywood dans les années 1940. Tourneur s'orienta alors, toujours avec talent, vers d'autres genres : le film noir (La griffe du passé (1947) avec Robert Mitchum...), le cinéma de cape et d'épée (La flèche et le flambeau (1950) avec Burt Lancaster...), l'espionnage (Berlin Express (1949)...), le western (Le passage du canyon (1946)...)... En 1957, il réalise en Grande-Bretagne un nouveau film d'horreur, Rendez-vous avec la peur, qui va devenir un des classiques du genre : il s'agit de l'adaptation d'une histoire du britannique Montague Rhodes James (1832-1936), un des écrivains de littérature fantastique préférés de Lovecraft. Le rôle principal est interprété par l'acteur hollywoodien Dana Andrews (Le passage du canyon et The Fearmakers (1958) de Jacques Tourneur, Laura (1944) d'Otto Preminger...), accompagné par Peggy Cummins (Le démon des armes (1950)...) et Niall MacGinnis (Jason et les argonautes (1953) de Don Chaffey, L'île de la terreur (1966) de Terence Fisher...).
Rendez-vous avec la peur est sorti au cours d'une année-clé pour le cinéma d'épouvante britannique. Les années 1950 ont vu le triomphe de la science-fiction américaine, avec ses soucoupes volantes, ses robots et ses martiens. Le cinéma d'horreur pure était, à de rares exceptions près, passablement moribond. Dans ce contexte, la petite compagnie anglaise Hammer bénéficiait d'accords de co-production avec diverses compagnies hollywoodiennes, qui lui avançaient de l'argent pour qu'elle leur fournisse des film peu onéreux, tournés en langue anglaise et donc directement exploitables aux USA. Le film de SF horrifique Le monstre (1955) de Val Guest connut un grand succès, et La Hammer décida donc d'acheter les droits des grands mythes terrifiants de la Universal (Dracula (1931), Frankenstein (1931), La momie (1932)...), tombés en désuétude au cours des années 1950, pour en faire des remake. Terence Fisher réalise donc Frankenstein s'est échappé! (1957) avec Peter Cushing et Christopher Lee pour la cette compagnie : repéré par Jack Warner, et distribué par la Warner Bros, ce fût un énorme succès international qui lança une vague de films d'horreur britannique qui se prolongera tout au long des années 1960 et 1970 (Le cauchemar de Dracula (1958), La nuit du loup-garou (1960), La malédiction des pharaons (1959), tous les trois de Terence Fisher, en sont de célèbres exemples). C'est donc en 1957, l'année de Frankenstein s'est échappé!, que Rendez-vous avec la peur est réalisé lui aussi en Grande-Bretagne, avec la participation d'une filliale anglaise de la grande compagnie Hollywoodienne Columbia.

Rendez-vous avec la peur est très apprécié par les amateurs de Lovecraft en général et les fans de L'appel de Cthulhu en particulier. En effet, son scénario et son atmosphère ressemblent tout à fait à un scénario classique pour ce jeu de rôles : des investigateurs (savants, enseignants...) affrontent un puissant sorcier, chef d'une secte d'adorateurs du démon. Pour tuer ses adversaires, il invoque un gigantesque démon aux ailes membraneuses. Le secret de cette invocation est contenu dans un très ancien grimoire de sorcellerie, rédigé en runes et codé. Pour combattre ce dangereux personnage, le docteur John Holden mène son enquête dans des villages isolés peuplés de paysans superstitieux, étudie des runes gravés sur les cercles de pierres levées de Stonehenge, interroge un dément dans un asile de fous, recherche des ouvrages maudits à la bibliothèque du London Museum... Grâce à son sens aiguë de l'atmosphère et de la photographie en noir et blanc, Tourneur parvient donc à créer une atmosphère british et fantastique incroyablement réussie, quelque part entre la nouvelle L'appel de Cthulhu et les aventures de Blake et Mortimer.

Le docteur Holden rappelle beaucoup d'autres héros des œuvres de Tourneur. Cet américain archi-rationaliste est confronté aux légendes païennes du nord de l'Europe et refuse obstinément d'y croire. Ce septique évoque le mari d'Irena dans La féline (1942) ou les planteurs dans Vaudou (1943). Pourtant, au fur et à mesure que le film avance, les évènements troublants se multiplient et deviennent de plus en plus inexplicables. Finalement, les héros de ces films de Tourneur n'ont pas d'autre choix que d'accepter cette réalité surnaturelle pour pouvoir l'affronter.

Cet homme de science doit combattre le redoutable sorcier Julian Karswell qui lui a lancé une étrange malédiction. Formidablement interprété par Niall MacGinnis, ce maître de l'occulte, intelligent et ironique, est hanté par une peur terrible : il sait parfaitement les risques qu'il prend en frayant avec les démons assoiffés de sang humain. Ce personnage dirigeant une secte étrange et recourant à la magie noire s'inscrit dans la tradition des films de secte comme La septième victime (1943) de Mark Robson (produit pour la RKO par Val Lewton) et annonce des oeuvres comme Les vierges de Satan (1968) de Terence Fisher (Frankenstein s'est échappé!...), The wicker man (1973) de Robin Hardy (on enquête sur une communauté païenne habitant une île isolée de Grande-Bretagne) ou le formidable The sect (1990) de Michele Soavi (Dellamorte Dellamore (1994)...) (une jeune fille est persécutée par des adorateurs de Shub-Niggurath !).

Cet affrontement entre le scientifique et le magicien brille d'abord par la très grande qualité de son passionnant récit : très bien rythmé, sans temps mort, il organise avec une rigueur implacable une irrésistible montée de la tension, qui culmine dans les époustouflantes dernières séquences (l'asile et le train). La réalisation de Tourneur est formidable de finesse et de rigueur : discrète et élégante lorsqu'elle accompagne la progression de l'enquête, elle devient prodigieuse et virtuose lors des manifestations surnaturelles. Les premières scènes fantastiques (le couloir de l'hôtel...) sont typiques d'un film comme La féline : grâce à l'utilisation extrêmement soignée de la bande-son (musique, bruit insolite, silences...) et à un découpage très travaillé, Jacques Tourneur parvient à créer une atmosphère très angoissante sans montrer aucune image de monstre ou de violence. Plus le film avance, plus les apparitions démoniaques deviennent explicites : on n'oubliera pas de sitôt l'incroyable séquence durant laquelle Holden est poursuivi par un gigantesque monstre invisible dans une forêt nocturne. Mais, si le monstre apparaît bien dans le film (dans le saisissant prologue et à la toute fin), il semble que ce soit un choix de la production allant contre la volonté de Tourneur qui ne souhaitait pas recourir à des effets spéciaux. Pourtant, les apparitions de démon monumental sont assez réussies, à part quelques gros plans sur le visage.

Bénéficiant d'un excellent récit, et d'une réalisation impeccable, Rendez-vous avec la peur est devenu un très grand classique du cinéma d'épouvante: il s'agit sans doute du meilleur film de Jacques Tourneur. Comme The thing (1982) de John Carpenter; il a aussi réussi, grâce à son atmosphère unique, à devenir une des œuvres préférées des cinéphiles lovecraftiens alors même qu'il ne contient aucune référence directe à cet écrivain.

«
Excellent
■ xavmand 18/05/2005
Je viens de voir ce film et de lire cette "critique" qui est bien supérieure à ce que j'aurais pu écrire mais représente fort bien ce que je pense.

Les apparitions du monstre sont vraiment formidables .
Dommage que l'on voit vraiment le monstre au lieu simplement de l'entre-apercevoir de loin

A voir par tout Gardien en manque d'inspiration (intrigue vraiment intéressante et dénouement palpitant.) pour l'introduction à la peur...
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