Hans, nain dans un cirque, s'éprend de la belle acrobate Cléopâtre et néglige sa fiancée Frieda. Mais Cléopâtre déteste Hans et ses amis, les phénomènes, les "monstres" du spectacle, et elle n'en veut en fait qu'à son argent...
Dans la foulée de son Dracula (1931), Tod Browning a réalisé Iron man (1931), drame se déroulant dans un milieu sportif, sans aucun lien avec le fantastique. Mais, le succès étonnant de Dracula va aiguiser les appétits des concurrents de la compagnie Universal : ainsi, la Paramount va se lancer Docteur Jeckyll et Mr. Hyde (1931) de Robert Mamoulian, la RKO proposera Les chasses du comte Zaroff (1932) de Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack, la Warner Bros produit Masques de cire (1932) de Michael Curtiz... La compagnie Universal va elle-même rapidement mettre Frankenstein (1931) de James Whale en chantier. La MGM, de son côté, va produire La monstrueuse parade de Tod Browning. Inspiré par Spurrs, une nouvelle de Clarence Aaron 'Tod' Robbins, et par des souvenirs de Browning et de l'acteur nain Harry Earle, il aura la particularité d'être interprété par de véritables personnes atteintes de difformités "monstrueuses" : sœurs siamoises, femme à barbes, cul-de-jatte... Les rôles de Hans et Frieda étaient joués par Harry et Daisy Earl, frère et sœur, qu'on reverra, par exemple, parmi les Munchkins qui accueillent Judy Garland dans le pays de Le magicien d'Oz (1939) de Victor Fleming. Les soeurs siamoises Daisy et Violet Hilton apparaîtront elles aussi dans un autre film : L'amour chez les monstres (1951) de Harry Fraser, drame dans lequel une des siamoises commet un meurtre passionnel. On remarque aussi Wallace Ford (le western La patrouille perdue (1934) de John Ford, le film sur la boxe Nous avons gagné ce soir (1949) de Robert Wise...), Olga Baclanova (L'homme qui rit (1928) de Paul Leni...) ou Leila Hyams (Le figurant (1929) avec Buster Keaton...).
La première moitié du métrage se préoccupe moins de raconter une histoire que de nous présenter, d'une manière documentaire et rigoureuse, la vie d'un cirque et de ses phénomènes. Leur quotidien est décrit avec beaucoup de naturel et d'humour (parfois noir et absurde), sans mépris, ni hypocrisie. Ce n'est pas étonnant, puisqu'on sait que Tod Browning s'est toujours passionné pour le milieu du cirque et du music-hall : il a lui-même été clown avant de faire du cinéma, et avait déjà réalisé des films se déroulant dans cet univers (le plus célèbre étant L'inconnu (1927) dans lequel Lon Chaney joue un lanceur de couteau manchot...).
Mais, un fantastique insidieux émane néanmoins de la description de ce cirque. En effet, Browning convoque toute une imagerie à la poésie vivace, composée de roulottes décorées, de clowns et d'acrobates. Encore une fois, l'épouvante des années 1930 joue la carte d'un certain exotisme, puisque l'action prend place en France, représentée d'une manière archaïque et étrange, tandis que les membres du cirque forment une communauté cosmopolite venue des quatre coins de l'Europe.
Enfin l'horreur se manifeste clairement dans le final, où, par une nuit d'orage, les ennemis des monstres vont apprendre le prix très élevé que paient ceux qui s'en prennent à l'un d'entre eux : cette fin d'une rare cruauté évoque alors irrésistiblement le cinéma fantastique allemand (Le cabinet du docteur Caligari (1920)...) par ses éclairages étranges et par ses angles de prises de vue biscornues et formellement très puissants.
Toutefois, l'épilogue du film a été légèrement modifié suite à des projection-tests négatives : comme on le voit dans la version définitive, Cleopatra subissait une fin terrible, d'une ironie particulièrement sombre (du temps de sa gloire, on l'appelait l'oiseau de paradis...) ; mais, en plus, son amant Hercule se retrouvait à chanter dans le spectacle des monstres avec une voix de castra ! De même, le très beau tout dernier plan où Hans et Frieda se réconcilient n'était pas présent à l'origine, et La monstrueuse parade se terminait de manière beaucoup plus âpre. Malgré tout, l'engouement du moment pour le cinéma fantastique ne bénéficiera pas à cette oeuvre très dure qui déroutera le public. Ce sera un échec commercial.
Par conséquent, ce chef-d'oeuvre cruel restera toujours un film isolé dans l'histoire du cinéma, une oeuvre inclassable, quelque part entre le mélodrame bouleversant, l'horreur vicérale et le film noir. De plus, La monstrueuse parade traite de la monstruosité et de la différence avec une lucidité et une intelligence exceptionnelles, qu'il ne paraît pas éxagéré de rapprocher de celles d'un Molière ou d'un Chaplin. A travers la communauté des monstres de cirque qui viennent en aide à Elephant man (1980), David Lynch lui rendra un hommage évident.