Robert Marlowe se rend dans la maison des Morley d'où son frère lui a envoyé sa dernière lettre avant de disparaître mystérieusement. La nuit de son arrivée, les paysans fêtent l'anniversaire de la mort de la sorcière Lavinia, brûlée après un procès en sorcellerie trois cents ans auparavant...
La maison ensorcelée de Vernon Sewell se prétend une adaptation de la nouvelle de Lovecraft La maison de la sorcière. Vernon Sewell est un réalisateur britannique qui toucha un peu à tous les genres du cinéma populaire, variant les plaisirs selon les engouements de l'époque : le film de guerre (The silver fleet (1943), La bataille des V1 (1958)...), le thriller (Latin quarter (1946), Urge to kill (1960) d'après un roman d'Edgar Wallace...) et le fantastique (Ghosts of Berkeley square (1947), The ghost ship (1952)...). Il était alors normal que dans les années 60, il participe au raz-de-marée de l'épouvante britannique amorcée par le succès international des productions Hammer (Frankenstein s'est échappé ! (1957) de Terence Fisher...). Il réalisera donc Le vampire a soif (1967), La maison ensorcelée et Burke and Hare (1971) (une adaptation du célèbre fait divers des "résurrectionnistes", déjà adapté dans, par exemple, L'impasse aux violences (1958) de John Gilling). Pour La maison ensorcelée, il bénéficie d'un casting de rêve : Boris Karloff (Frankenstein (1931)...), la plus grande star de l'épouvante du vingtième siècle, dont ce sera un des derniers rôles avant sa mort survenue le 2 février 1969 ; Christopher Lee (Le cauchemar de Dracula (1958) de Terence Fisher...), le prince de l'horreur britannique ; et, dans le rôle de la sorcière, Barbara Steele (Le masque du démon (1960)...), vedette de l'épouvante italienne, qui incarnait souvent ce genre d'enchanteresse malfaisante.
Les adaptations de Lovecraft au cours des années 60 : un petit bilan
Il semble intéressant de revenir sur les adaptations de Lovecraft au cours des années 60. La firme américaine A.I.P., spécialisée dans les produits à petit budget destinés à un public adolescent, avait connu de beaux succès avec les adaptations gothiques des oeuvres d'Edgar Poe par son réalisateur-vedette Roger Corman (La chute de la maison Usher (1960) avec Vincent Price...). Puis Corman a l'idée d'adapter Lovecraft au cinéma, ce qui n'avait jamais été fait auparavant : ce sera La malédiction d'Arkham (1963) avec Vincent Price, d'après le roman L'affaire Charles Dexter Ward. Hélas, le résultat est encore trop imprégné des influences de Poe et du cinéma gothique pour convaincre.
Néanmoins, la compagnie A.I.P. fait réaliser ensuite Die, monster ! Die !(1965) par Roger Haller, le décorateur des films de Corman : inspiré par La couleur tombé du ciel et L'affaire Charles Dexter Ward, ce film a le mérite de proposer un récit se déroulant dans les années 20 et nettoyé de toute trace de gothisme. Interprété par Boris Karloff, bénéficiant de beaux décors et souffrant d'effets spéciaux lamentables, l'ensemble est trop confus et inégal pour être vraiment réussi.
C'est alors à la Grande-Bretagne de prendre le relais avec La malédiction des Whateley (1967) de David Greene, interprété entre autres par Oliver Reed (Les diables (1971) de Ken Russel...). Cette adaptation de la nouvelle La chambre condamnée par August Derleth prend, hélas, bien soin de gommer toute trace d'éléments lovecraftiens, ou même fantastiques, de son récit assez lent.
Puis vient La maison ensorcelée réalisé en Angleterre, puis distribué aux USA par L'A.I.P.. On note toutefois que cette compagnie produira encore une oeuvre inspirée par Lovecraft : The Dunwich horror (1970) de Daniel Haller (Die, monster ! Die...) : tirée de la nouvelle L'abomination de Dunwich, ce sera la première fois qu'une adaptation sera vraiment fidèle au récit et aux idées de Lovecraft. Toutefois, la narration étant un peu trop fastidieuse et la réalisation abusant de procédés psychédéliques démodés, ce ne sera qu'une semi-réussite. Ensuite il faudra attendre Re-animator (1985) de Stuart Gordon pour que Lovecraft revienne sur les écrans de cinéma, avec notamment From beyond (1987) du même réalisateur qui explorera avec beaucoup d'audaces des thèmes purement lovecraftiens comme : la hantise de la folie, l'existence d'une réalité imperceptible aux sens humains, les communications entre des dimensions parallèles...
La maison ensorcelée : encore une déception !
Encore une fois, les scénaristes de ce film vont s'empresser d'expurger La maison de la sorcière de la plupart de ses thèmes lovecraftiens les plus intéressants. Ainsi, tout ce qui tourne autour des mathématiques non euclidiennes, des voyages entre les dimensions (c'était pourtant le sujet central de la nouvelle), de la mythologie d'Azatoth, des anciens ou de Nyarlatothep, passe complètement à la trappe. De même l'excellente trouvaille de Brown Jenkin, le famillier mi-homme mi-rat de la sorcière, a disparu. Évidemment, l'histoire ne se déroule plus dans la cité d'Arkham (qui a rarement été aussi bien décrite que dans cette nouvelle). Pourtant, il faut reconnaître que certaines séquences font écho à des passages de La maison de la sorcière : ainsi, le personnage principal (qui n'est plus un étudiant en mathématiques, mais un antiquaire) est harcelé par des cauchemars nocturnes dans lesquels il rencontre la sorcière. Celle-ci tente, au cours d'une espèce de sabbat, de lui faire signer un grimoire, ce qu'il refuse : cette scène rappelle tout à fait l'un des rêves de la nouvelle. Mais, en fin de compte, La maison ensorcelée se révèlera n'être qu'une affaire de sorcellerie et de possession assez typique des films dans lesquelles tournaient Barbara Steele dans les années 60, et notamment très proche de Le masque du démon de Mario Bava. Cela nous entraîne bien loin des intentions de Lovecraft.
Le style de La maison ensorcelée est assez typique du cinéma gothique britannique des années 60. Ainsi, on y trouve dans une campagne (peuplée évidemment de paysans superstitieux) des manoirs mystérieux où se croisent vieillards inquiétants et châtelains étranges. Toutefois, ce genre de cinéma avait tendance à se démoder vers 1968. En effet, Roman Polanski, après un début de carrière en Europe, avait réalisé Le bal des vampires (1967) en Grande-Bretagne : il s'agissait d'une parodie réussie et très virulente des films de vampires de la Hammer (Le cauchemar de Dracula...) qui, du coup se retrouvaient synonymes de ringardise achevée. Par conséquent, Vernon Sewell va tenter, tant bien que mal, d'échapper aux clichés du gothique. Pour ce faire, il modernise le récit en l'inscrivant dans le cadre des swinging sixties décadentes. Cela nous vaut une fête très "wild", où on se saoule au champagne en fumant moult joints, tandis que les jeunes filles les plus éméchées tombent la mini-jupe dans des strip-tease assez kitsch : cette séquence ridicule aurait été plus à sa place dans Blow-up (1967) de Michelangelo Antonioni (tourné un an avant : quelle coïncidence !)... ou dans Austin Powers (1997) avec Mike Myers ! On remarque aussi des tentatives de donner une légère dimension parodique à cette oeuvre : ainsi un personnage constatant l'aspect sinistre du manoir s'exclame : "On s'attend à voir surgir Boris Karloff !"... qui apparaîtra dans la scène suivante !
On remarque aussi un goût très prononcé pour le psychédélisme, forme d'expression artistique très inspiré par la consommation de drogues, notamment le LSD, qui s'épanouissait notamment dans la musique rock (Sergent Pepper's lonely hearts club band des Beatles, The piper at the gates of dawn de Pink Floyd...). On a donc droit ici à une musique assez tarte, ainsi qu'à à des vision kaléidoscopiques et à des effets d'éclairage colorés particulièrement hideux, dans lesquels le vert pomme s'entrechoque avec un violet-betterave du plus mauvais goût. Tout cela n'est pas sans rappeler le pénible La motocyclette (1968) réalisé par Jack Cardiff (mieux connu comme chef-opérateur des films de Michael Powell (Les chaussons rouges (1948)...)), avec Alain Delon et Marianne Faithfull, qui abusait aussi de solarisations et de filtres colorés en tout genre pour faire "dans le coup". Le plus épouvantable reste tout de même les retranscriptions risibles des scènes oniriques de sabbat, avec notamment la présence d'un bourreau beudonant, portant en tout et pour tout un slip et un tout petit tablier de cuir noir, ainsi qu'un casque de moto clouté dans lequel sont plantés deux ramures de cerfs : il s'agirait peut-être de la représentation de "l'homme noir"/Nyarlatothep auquel Lovecraft fait référence dans La maison de la sorcière !
D'ailleurs, on note aussi une tendance, commune aux productions britanniques fantastiques de l'époque, à multiplier les séquences plus ou moins érotiques. Cela nous vaut la vision charmante de petits derrières au tain laiteux exhibées par quelques jeunes filles typiquement britanniques, ainsi que des séquences de séductions assez ridicules. Normalement, les films d'horreur de la fin des années 60 sont aussi réputés pour une certains surenchère dans la violence : hélas, je n'ai pu consulter que la VHS française dont les scènes les plus dures ont été retirées...
Mais, ce qui fait la valeur de ce film, c'est évidemment son casting hors du commun. Karloff, alors âgé et très malade (dans ce film, il est presque toujours assis) semble néanmoins s'amuser de bon cœur sur ce tournage. Christopher Lee fait stoïquement du Christopher Lee (élégant, mouvements lents, airs sinistre...) et Michael Gough fait du Michael Gough (dans le rôle d'un valet bègue et simplet...). Barbara Steele fait ce qu'elle peut dans le rôle de la sorcière : hélas, le costume ridicule qu'elle doit porter (voir la photo) et le traitement électronique grotesque infligé à sa voix ne lui permettent pas d'être convaincante. Le jeune premier de service, interprété par Mark Eden, manque sérieusement de charisme, et son personnage n'attire guère la sympathie du spectateur.
Mais de toute façon, le plus consternant dans La maison de la sorcière reste la la mollesse du scénario qui manque autant d'originalité que de rigueur. Mais il faut reconnaître que les touches d'humour involontaire et le casting étonnant de cette oeuvre sauve néanmoins le spectateur de l'ennui complet. Il s'agit pourtant d'une sévère trahison de la nouvelle de Lovecraft et d'un film bien médiocre.