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En 1972, Lisa, une jeune touriste allemande, visite la ville médiévale de Tolède. Mais, elle s'y perd et, à la nuit tombée, elle demande à un couple en voiture de la raccompagner. Une panne les force à se réfugier dans une grande maison habitée par une femme aveugle et son fils.



Alors que Baron vampire (1972) connaît un beau succès aux USA (bien qu'il y ait été remonté), Bava réalise avec beaucoup de libertés ce Lisa et le diable en collaboration étroite avec le producteur américain Alfredo Leone. Le rôle de Lisa y est tenu par l'allemande Elke Sommers (Les vainqueurs (1963) de Carl Foreman, Baron vampire...), tandis que le Diable est joué par Telly Savallas (Les douze salopards (1967) de Robert Aldrich, le James Bond Au service secret de sa majesté (1969), la série TV Kojak à partir de 1973...). On note aussi la présence de la comédienne d'origine yougoslave Sylva Koscina (Les travaux d'Hercule (1957) et Hercule et la reine de Lydie (1959) de Pietro Francisci...) et d'Alida Valli (Le troisième homme (1949) de Carol Reed, Senso (1954) de Luchino Visconti, Suspiria (1977) de Dario Argento...).
Lisa et le diable : une histoire compliquée

En 1972, Baron vampire (1972) a été un succès aux USA, et Mario Bava et son producteur, l'américain Alfredo Leone, se sont bien entendus. Leone décide alors de donner à Bava une liberté complète pour réaliser le film qu'il souhaite, sans contrainte commerciale ou scénaristique. Ravi, Bava écrit un scénario avec Leone et tourne en Espagne ce Lisa et le diable. Hélas, lors de sa présentation au marché du film de Cannes, cette oeuvre hors des modes laisse les distributeurs perplexe. Le film se vend très mal à l'étranger et ne sort, fugitivement, que dans très peu de pays. Le projet ayant perdu trop d'argent, Leone demande à Bava de tourner des scènes supplémentaires et de modifier le montage du film. Celui-ci accepte et, avec le producteur, réalise des séquences d'exorcisme très inspirées par le gros succès de L'exorciste (1973) de William Friedkin. Cette nouvelle version sort sous le titre La maison de l'exorcisme (1974) et connaît un succès international.

La maison de l'exorcisme (sorti plusieurs fois en vidéo en France) nous raconte l'exorcisme de la jeune Lisa qui, entre plusieurs jurons blasphématoires et crachats de bile verdâtre, narre l'aventure qui lui est arrivée à Tolède (ce sont des extraits de Lisa et le diable). Le tout est incohérent, monté en dépit du bon sens et pratiquement incompréhensible : la version Lisa et le diable est beaucoup plus satisfaisante.



Un film en forme de labyrinthe

Le motif qui revient le plus souvent dans la construction de Lisa et le diable est sans conteste celui du labyrinthe. Les décors eux-mêmes sont de redoutables dédales dans lesquelles se perdent sans cesse les personnages. Les rues médiévales compliquées et désertes de Tolède forment un piège terrible dans lequel le Diable va prendre Lisa. Et, évidemment, la demeure de la comtesse, palais superbe dont les éclairages merveilleux rappellent les meilleurs moments de Six femmes pour l'assassin (1964) de Bava, est aussi un labyrinthe d'une rare complexité, rempli de fausses portes, de recoins, d'interminables enfilades de pièces, de trompe-l'oeils de toutes sortes et de zones ruinées qui évoquent des décors de théâtre à l'abandon. Le jardin lui-même, avec ses buissons, ses statues et ses bassins, semble aussi un réseau compliqué et trompeur pour les visiteurs. Compliquant encore cela, ces lieux sont truffés de passages secrets : ainsi, le Diable va ouvrir dans les rues de Tolède une ruelle mystérieuse à travers le temps et l'espace pour y piéger Lisa. D'autre part, la demeure de la comtesse recèle aussi des pièces secrètes, dont celle où Max cache sa fiancée.

Mais le labyrinthe n'est pas seulement ici une notion géographique : c'est aussi dans sa construction temporelle que Lisa et le diable se montre particulièrement complexe et audacieux. D'ailleurs, les seules montres et pendules qu'on verra seront dénués d'aiguilles : c'est une manière d'indiquer au spectateur que dans cette oeuvre, la dimension du temps est abolie. Ainsi, le Diable entraîne, malgré elle, Lisa dans un temps passé (apparemment les années 1920), où la présence de la touriste égarée va déclencher un drame sanglant : Lisa ressemble en effet trait pour trait à une jeune fille morte des années auparavant, dans une affaire familiale obscure.

Il faut aussi remarquer que l'agencement des décors joue sur l'ambiguïté temporelle : à Tolède, il suffit de faire quelques enjambées pour passer d'une porte à arc "en fer à cheval" évoquant le temps de l'occupation arabe, à une cathédrale gothique chrétienne. De même les décors de la maison de la comtesse mélangent les styles les plus variés : on y passe du baroque à l'Art Nouveau du début du vingtième siècle. On y croise des motifs évoquant aussi bien les peintures romaines que la Renaissance. Le raccourci le plus saisissant est la manière dont Bava transforme, à la fin du film, une tour de la cathédrale de Tolède en un avion prêt à décoller.

Par cette structure en labyrinthe, Lisa et le diable fait beaucoup penser à L'année dernière à Marienbad (1961), chef d'oeuvre du cinéma fantastique français par Alain Resnais (Providence (1977)...), dans lequel des personnages se perdaient dans les dédales d'un palais baroque et de leurs souvenirs.



Le dédale des identités

Mais ce goût de la construction complexe et troublante ne se trouve pas seulement dans la construction des espaces géographiques et temporels dans lesquels circulent les personnages. Eux-mêmes sont les éléments d'un vaste réseau de silhouettes trompeuses et ambigus, propre à désorienter le spectateur. Ainsi, les protagonistes du drame se déroulant dans la maison de la comtesse apparaissent en double, en de nombreuses circonstances. On les voit dès le début du film sur la fresque représentant le Diable. On les retrouve en train de tourner sur le petit carrousel que promène Leone. Évidemment, l'omniprésence de statues aux allures figées, de cadavres cireux et de mannequins à l'effigie des personnages sont autant de signes dupant aussi bien Lisa que le spectateur : leur figures inquiétantes évoquent bien des oeuvres surréalistes angoissantes, et notamment les photographies de vitrines prises à Paris par Eugène Atget au début du siècle. Tout cela est encore compliqué par les allers et venus incessants entre les personnages, leurs reflets (dans des miroirs ou dans des bassins) et leurs ombres, ainsi que par certains déguisements trompeurs : certains mannequins ressemblent à des hommes (le mari de la comtesse), alors que certains humains se déguisent en mannequin (Max...).

Le cas le plus complexe est celui de Lisa elle-même. Le Diable la projette dans une époque où Elena, son parfait sosie, a été assassinée quelques temps avant, à cause d'un drame familiale et sentimental. La présence involontaire de Lisa dans ce temps et ce lieu va entraîner une confusion terrible sur son identité : la comtesse, son mari et son fils vont la considérer comme une projection d'Elena revenue d'entre les morts, ce qui va pousser cette famille encore plus loin dans la folie et la mort, notamment au cours d'une séquence de nécrophilie particulièrement malsaine. On pourrait croire qu'il ne s'agit que d'une confusion purement visuelle. Pourtant, l'épilogue du film va nous révéler que le lien entre Lisa, la jeune fille des années 1970, et Elena, la morte du début du siècle, est bien plus fort qu'il ne semble : lorsque le Diable décrète la mort de Lisa, c'est Elena qui tombe, brisée, sur le sol.



Un récit tragique

Malgré sa complexité étrange, la nature profondément tragique de Lisa et le diable est particulièrement évidente, notamment à travers l'histoire de Max. C'est en souhaitant conquérir sa liberté (échapper à sa famille oppressante) et son bonheur (réaliser son amour avec Elena) que celui-ci va déclencher un massacre sanglant et irréversible. En croyant être le maître de sa destiné, il n'a en fait été que l'instrument du Diable qui, sous les airs de larbin buté du domestique Leone, tire en fait toutes les ficelles (n'est-ce pas lui qui provoque l'arrivée de Lisa sans la demeure ?) et qui est le grand vainqueur de cette affaire, à travers la récolte de tous ces cadavres sanglants. On peut voir dans le portrait de Max une vision particulièrement pessimiste de la condition humaine : à travers toutes leurs ambitions vaines et leurs efforts dérisoires, les hommes ne font qu'accélérer leur chute vers la mort inévitable.

La destinée de Lisa, ballottée à travers le temps et l'espace selon les volontés du Diable, et la personnalité lentement dévorée par celle de la morte Elena, n'est pas sans rappeler les funestes aventures de Katia, dans Le masque du démon (1960) de Bava, jeune fille hantée par le spectre d'une de ses ancêtres malfaisantes.

Avec Lisa et le diable, Mario Bava renoue donc à nouveau et avec succès avec des thèmes classiques du fantastique, que ce soit celui du double ou l'emploi des silhouettes inquiétantes des mannequins (qu'on peut rapprocher des automates qui peuplaient déjà les écrits d'Hoffman et de Poe). Malgré quelques défauts mineurs (musique excessivement sirupeuse...), il s'agit d'une de ses plus belles réussites. Sa narration originale et sa beauté plastique influenceront sans aucun doute d'autres grandes dates du fantastique italien, comme Inferno (1980) de Dario Argento ou L'au-delà (1981) de Lucio Fulci.

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