En 1921, des égyptologues découvrent une étrange momie. Elle disparaît mystérieusement... Dix ans plus tard, un homme étrange appelé Ardeth Bey vient signaler à des archéologues l'emplacement de la sépulture d'une princesse ensevelie plus de 1600 ans avant notre ère...
La momie s'inscrit dans la lignée des grands films de monstres produits pendant l'âge d'or du cinéma fantastique hollywoodien. Après les succès phénoménaux de ses Dracula (1931) de Tod Browning et Frankenstein (1931) de James Whale, la compagnie Universal s'empresse de remettre le couvert de l'horreur avec, entre autres, cette nouvelle oeuvre. Cette firme était d'autant plus pressée que la concurrence faisait rage : la Paramount proposait Docteur Jekyll et Mr. Hyde (1931) de Robert Mamoulian et L'île du docteur Moreau (1932) de Erle C. Kenton ; la MGM employait le terrible personnage du professeur Fu Manchu avec Le masque d'or (1932) ; la RKO produisait Les chasses du comte Zaroff (1932) de Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel... La momie est la première oeuvre réalisée par Karl Freund (Les mains d'Orlac (1935)...) : d'origine austro-hongroise, il était célèbre en Allemagne en tant que chef-opérateur de films ambitieux et innovants comme Le golem (1920) de Paul Wegener et Carl Boese, Le dernier des hommes (1924) de Murnau, Berlin: symphonie d'une grande ville (1927) de Walter Ruttman et surtout Metropolis (1927) de Fritz Lang. Mais, à la fin des années 20, la situation économique et politique de l'Allemagne dégénère, et Freund accepte de partir travailler à Hollywood : directeur de la photographie sur Dracula et Double assassinat dans la rue Morgue (1932), il y apporte les acquis du cinéma fantastique allemand des années 20 en matière d'ambiance fantastique. Le rôle de la momie est tenu par Boris Karloff, devenu en une année une énorme vedette du cinéma d'épouvante avec Frankenstein. Il est accompagné par David Manners, jeune premier hollywoodien des années 30 (Dracula, La chat noir (1934)...) et Zita Johann,comédienne qui ne connaîtra qu'une très courte carrière.
La momie exploite donc astucieusement cette fascination pour la religion, les rites funéraires et la magie de l'Égypte antique, ainsi que l'engouement pour l'archéologie qui l'accompagne. Le prologue (situé en 1921, clin d'oeil à la découverte du tombeau de Toutankhamon) nous présente des archéologues sur un chantier de fouilles : ils viennent de découvrir la momie d'un personnage enterré vivant avec le papyrus de Toth, censé contenir la formule magique employée par la déesse Isis pour faire renaître Osiris. Un peu imprudent, un jeune archéologue la lit à haute voix devant la momie, qui revient à la vie. On retrouve encore ce goût pour l'exotisme oriental et l'antiquité au sein d'un véritable petit film dans le film : lorsque Imhotep raconte son histoire, il l'illustre à travers des images apparaissant dans un bassin fumant et étrange (E.P. Jacobs s'en rappellera pour sa BD Le mystère de la grande pyramide) : on voit alors un génial petit péplum, narré en voix off par la voix caverneuse de Boris Karloff, plein de pharaons, de statues animées, de papyrus maudits et de funérailles grandioses en pleine Vallée des Rois. On y assiste au terrible embaumement d'Imhotep, puni pour avoir défié les dieux. Encore une fois, l'atmosphère inimitable des films Universal et le savoir-faire des décorateurs hollywoodiens fait merveille.
La momie est aussi fidèle à l'aspect profondément pathétique des films de monstres de la Universal (Le fantôme de l'opéra (1925) avec Lon Chaney, Frankenstein...). Imhotep est un être tragique : la jeune princesse dont il est intensément épris est emportée dans le royaume des morts par une maladie terrible. Refusant d'accepter à la volonté des dieux, il subtilise le papyrus sacré de Toth dans un temple afin de ramener la jeune fille à la vie. Il sera pris, et condamné à être enterré vivant. Lorsqu'il revient d'entre les morts en 1921, il met tout en oeuvre pour retrouver la momie de la princesse et la ressusciter. Imhotep est expert dans le domaine des maléfices antiques qu'il emploie afin de réaliser ses plans : son regard est poteur d'un pouvoir hypnotique implacable qui, comme dans Dracula, rappelle les malfaisants hypnotiseurs du cinéma allemand (Le cabinet du docteur Caligari (1919) de Robert Wiene, Dr Mabuse, le joueur (1922) de Fritz Lang...). Imhotep est donc un personnage double : il est à la fois un amoureux touchantet passionné, et une créture violente et malfaisante entre les griffes de laquelle il ne fait pas bon tomber. Il retrouvera l'âme de sa maîtresse antique réincarnée dans le corps de Helen, la fille métisse d'un diplomate anglais. Elle aussi se caractérise par la dualité de son personnage : en elle cohabitent la femme occidentale, rationaliste et moderne d'une part, et l'aristocrate de l'Egypte antique, impatiente de rejoindre son amant momifié dans une passion immortelle d'autre part. C'est la confrontation de ces personnages complexes qui va apporter à La momie toute sa profondeur dramatique et humaine.
Imhotep, cet homme passioné, porteur d'un amour plusieurs fois millénaires, ce mortel qui refuse de se plier aux lois des dieux, est formidablement interprété par Boris Karloff, qui, dans un registre opposé au monstre frustre de Frankenstein, parvient à donner une silhouette aristocratique et voûtée, une voix d'outre-tombe, une diction traînante et un visage inerte inoubliable à ce monstre voué à devenir une légende du grand écran. Il est assisté par le génial maquilleur Jack Pierce (Frankenstein, L'homme invisible (1933), Le loup-garou (1942)...), visionnaire de génie qui impose LE look de la momie égyptienne au cinéma. Encore une fois, le talent des costumiers, décorateurs et autres techniciens de la Universal permet de créer une ambiance fantastique et exotique très hollywoodienne et réussie. On apprécie encore la réalisation rigoureuse, la photographie raffinée et l'interprétation homogène et talentueuse. On regrette seulement que l'histoire se traîne un peu au milieu du film.
Avec La momie, Karl Freund et son équipe parviennent encore à lancer une mythologie fantastique vouée à une grande longévité et à une enviable popularité. La Universal lui donnera quelques suites (La main de la momie (1940)...), et les anglais de la Hammer exploiteront aussi ce personnage (avec, entre autres, La malédiction des pharaons (1959) de Terence Fisher...). Enfin, à la fin des années 90, avec le film d'aventures La momie (1999) de Stephen Sommers, Imhotep s'offre encore une ballade au sommet du box-office mondial, pour le plus grand plaisir des amateurs de cinéma fantastique.