Un jeune écrivain américain est venu chercher l'inspiration à Rome. Il assiste à l'agression d'une jeune femme par un inconnu dans une galerie d'art...
L'oiseau au plumage de cristal est le premier film réalisé par Dario Argento. Auparavant, il avait travaillé comme critique, puis comme scénariste dans des genres variés (guerre, western...). En 1969, il avait ainsi oeuvré sur le scénario de Il était une fois dans l'ouest de Sergio Leone. Passionné de littérature policière, il écrit le script d'un "giallo" (thriller horrifique italien) en se basant sur un roman de Frederic Brown. Finalement, il parvient à en être le réalisateur. Malgré de nombreuses difficultés au cours du tournage (la compagnie Titanus, productrice du film, tente de renvoyerArgento en cours de route !), L'oiseau au plumage de cristal est un énorme succès en Italie, où il lance une véritable mode du giallo. C'est aussi un succès aux USA. La carrière de Dario Argento était lancée.
Mais avec L'oiseau au plumage de cristal, Argento a aussi cherché à éviter les clichés du thriller américain. Pour ce faire, il s'est inspiré des films policiers français d'une part, et des giallos de Mario Bava (Six femmes pour l'assassin (1964), La fille qui en savait trop (1963)...) d'autre part. Une des grandes forces de L'oiseau au plumage de cristal est l'excellente qualité de son script. L'enquête policière, très réussie, est sans temps mort. Les passages obligés du giallo sont présents : tueur tout en cuir noir et amateur d'armes blanches, victimes jeunes et jolies, sadisme, érotisme... Argento fait d'ailleurs déjà preuve preuve d'une certaine audace dans la violence. Une autre des grandes qualités du film est la splendide photographie de Vittorio Storaro, alors débutant, qui allait devenir ensuite un des plus célèbres opérateurs du cinéma mondial (Apocalypse now (1979), Le dernier tango à Paris (1972)...). La fameuse séquence de l'agression dans la galerie d'art est ainsi une des plus étonnantes du cinéma de Dario Argento. L'utilisation des décors de Rome est étonnante. On visite des rues anonymes, modernes, souvent désertes, ou des couloirs vides... Argento évite de montrer des monuments ou des détails "folkloriques", et crée ainsi une cité étrange et abstraite, proche des villes d'Antonioni (dans L'éclipse (1962) ou La nuit (1960)). Argento continuera cette utilisation insolite des décors romains avec Les frissons de l'angoisse (1975) ou Ténèbres (1982). On trouve déjà des thèmes qui reviendront fréquemment dans son oeuvre.
Évidemment, il y a cette réflexion sur l'ambiguïté de la vérité et de l'image. Un témoin assiste à une scène, puis, ensuite, ne parvient pas à se rappeler un détail. On retrouvera cela dans Suspiria (1977) ou Les frissons de l'angoisse (1975) par exemple. Ce témoin est alors obsédé par cette vision et cherche à reconstituer l'élément manquant, coûte que coûte. Il se livre alors à une enquête dangereuse, au cours de laquelle il met en péril sa fiancée et ses amis. Seule compte pour lui son obsession absurde pour la "vérité". Cela rappelle évidemment Blow up (1966) d'Antonioni dans lequel un photographe était convaincu qu'un détail d'une de ses photos était l'enregistrement accidentel d'un meurtre.
Argento met déjà en avant l'aspect malsain des œuvres d'art. Ainsi les sculptures modernes de la galerie sont morbides et oppressantes. La vision d'un tableau va traumatiser une personne psychologiquement fragile et en faire un assassin. Loin d'être un reflet brillant de la civilisation qui l'a vu naître, l'œuvre d'art est chez Argento le dépositaire de toutes les folies latentes et inconscientes des sociétés humaines. Leur impact émotionnel est si fort qu'elles peuvent détruire la personnalité d'une personne qui s'y intéresse trop... Ce regard morbide sur l'art sera le sujet principal de Le syndrome de Stendhal (1996).
Enfin, Argento présente déjà l'assassin comme une victime. Comme souvent, c'est une personnalité fragile qui a subi un traumatisme sexuel violent. La brutalité du meurtrier n'est que l'expression de sa folie et de sa souffrance. On retrouvera encore cela dans Ténèbres ou Le syndrome de Stendhal. A ce titre, la belle musique mélancolique d'Ennio Morricone souligne l'aspect tragique et profondément triste de cette histoire.
Enfin, la description de ce film serait incomplète si on ne mentionnait pas l'humour, qui apparaît souvent à travers les portraits de personnages pittoresques (le souteneur, le peintre, l'antiquaire), rendus très savoureux par un excellent doublage français. Le coup d'essai de Dario Argento était donc déjà un coup de maître. L'oiseau au plumage de cristal est un des meilleurs films de son réalisateur.