TocCyclopédie ■ Époques

Cette rubrique recueille les choses poulpiques ou plutôt lovecraftienne inclassables dans les rubriques. Dont la façon de conter Lovecraft oralement.



Cette version est la propriété de Poulpy ne pouvant être utilisée que pour conter à vos amis.

Tout le monde peut le conter tel quel, bien qu'un travail de personnalisation soit recommandé.

Dagon conté par Poulpy (au Monde du Jeu 2004)

D ?après H.P. Lovecraft,


C ?est dans un état bien particulier que je vous raconte mon histoire car ce soir je serai mort.
C ?est la fin. Je suis ruiné, drogué. Je ne peux plus vivre sans ma dose de morphine. C ?est pour ça que tout à l ?heure je vais me jeter par la fenêtre.
Quand vous m ?aurez écouté, vous comprendrez peut-être que je n ?ai plus que deux choix : oublier ou mourir.

Mon histoire se passe au milieu de l ?Océan Pacifique. C ?est le début de la Grande Guerre. Je suis à bord d ?un paquebot, je représente les intérêts de l ?armateur. Un jour, un destroyer allemand, un navire très rapide, nous tombe dessus. Nous sommes faits prisonnier. Mais bien traités.
Tellement bien traités que je trouve le moyen de m ?évader cinq jours après. Je m ?enfuis tout seul sur un petit bateau avec de bonnes réserves d ?eau et de nourriture.
Seulement, je ne sais pas du tout où je me trouve alors. Je suis évadé mais perdu. Aucune côte visible, aucune île. J ?essaye de me repérer avec le soleil et les étoiles. J ?en déduis qu ?une chose : je suis quelque part au sud de l ?équateur.
Et pendant des jours et des jours, sous un soleil de plomb, j ?attends de voir un navire ou mieux la terre. Mais rien de tout cela et je commence à désespérer.

C ?est une nuit que le changement se produit. Comment ? Je ne le saurais jamais. Mon sommeil était de plomb. Lorsque je me réveille, je découvre mon corps à moitié englouti, par une sorte de boue dégoutante, noire comme de l ?encre. Il y en a partout tout autour, à perte de vue.
Près de moi, mon bateau est échoué, lui aussi.
Cela n ?est pas possible ! Je panique. L ?air, le sol jonché de pourriture, tout, donnent à cet endroit un je-ne-sais-quoi de sinistre qui me glace d ?effroi.
La région est entièrement putride. Il y a des carcasses de poissons morts, une foule d ?objets indescriptibles. Je ne sais comment vous décrire cette fange, cette hideur innommable et ce silence de mort.
La peur me prend au ventre et j ?en vomis mes boyaux.

Je lève la tête. Le soleil brille dans un ciel noir. Le ciel reflète le marais d ?encre, sous mes pieds. Je rampe jusqu ?à mon bateau pour me protéger du soleil, quand j ?ai une idée. J ?ai compris. Une éruption volcanique a dû faire émerger une partie des fonds océaniques qui sont engloutis depuis des millions d ?années.
Après quelques heures, le sol commence à sécher. Bientôt je vais pouvoir explorer cette terre. Et je vais surtout pouvoir rechercher cette mer qui a disparue car c ?est mon seul espoir de survie.
Le troisième matin, je pars enfin. Je vais, vers l ?ouest, en direction d ?un monticule que j ?aperçois. L ?odeur de poissons morts est pestilentielle, mais comme je pense à ma survie, je n ?y fais guère attention. J ?arrive au pied de la colline le quatrième soir. Trop fatigué pour continuer, je m ?y endors.

Pendant la nuit, je fais des rêves horribles et délirants. Je me réveille en sursaut couvert de sueur glacée. Il est tôt dans la nuit : la lune, blême et gibbeuse, n ?est pas encore à l ?est. Il ne faut surtout pas que je me rendorme car j ?ai peur de faire de nouveau des cauchemars. C ?est la nuit, il fait frais. Je tente l ?ascension.
Quand j ?atteins le sommet, le spectacle est horrible : en contre-bas, je vois des gorges insondables, ténébreuses, d ?une laideur satanique. Je me mets à trembler pris de terreur.

En réalité au fur et à mesure que la lune monte, les gorges sont mieux éclairées et je me rends compte que ses abords sont moins abrupts que je le pensais. Descendre est possible. Je dévale la pente jusqu ?à ce que je ne voie plus rien. Je suis à la limite de profondeurs stygiennes où la lumière n ?a jamais pénétré.
Soudain je remarque un gigantesque bloc de pierre blanche. Il est sur la pente opposée à une centaine de mètres. Je l ?observe. Cet objet n ?est pas d ?origine naturelle. Il date sûrement de la nuit des temps. Il doit avoir été travaillé par l ?homme ou par d ?autres créatures intelligentes. Que cette découverte est exaltante, mais aussi effrayante ! J ?examine les alentours. L ?eau monte. Un flot puissant dévale les pentes du gouffre.
Alors que de petites vagues attaquent la base du monolithe cyclopéen, je distingue à sa surface des hiéroglyphes et des bas-reliefs. L ?écriture m ?est inconnue. Elle se compose de nombreux symboles aquatiques : poissons, mollusques, pieuvres, ? Certains idéogrammes représentent même des animaux inconnus de notre monde mais que j ?ai aperçu sur le grand bourbier de fange.

Les bas-reliefs sont effrayants. J ?en suis terrorisé. Ils représentent des hommes ou plutôt des sous-hommes en train de jouer comme des poissons dans des grottes sous-marines. Sur d ?autres sculptures, on voit ces créatures réunies dans un temple monolithique au fond des eaux. La vision de ces être me fait presque m ?évanouir. Ils ont une allure odieusement humaine, avec des pieds palmés, des mains molles, des lèvres énormes, des yeux gonflés et d ?autres traits encore plus déplaisants. Ces sculptures ne semblent pas tenir compte des proportions. En effet une baleine terrassée par un de ces êtres paraît à peine plus grande que son agresseur. J ?imagine bien ces personnages grotesques doivent comme les dieux imaginaires de tribus ancestrales de pêcheurs.

Pendant quelques instants, je contemple cette scène. L ?eau fait quelques remous quand soudain la chose émerge des flots.
Une créature répugnante sort des eaux troubles. Elle s ?élance d ?un bond sur le monolithe en hurlant. Elle l ?étreint de ses grands bras couverts d ?écailles et incline sa tête hideuse en proférant une sorte d ?incantation.
Je perds alors la raison. Je me souviens de peu de choses. J ?escalade frénétiquement la falaise quand un violent orage éclate. Je délire ensuite tout le jour mais je réussis par miracle à rejoindre mon bateau.

C ?est enfin que je reprends conscience. Je suis à l ?hôpital de San Francisco. Un bateau américain m ?a recueilli en plein océan. Pendant le trajet, il semble que j ?ai longtemps déliré, longtemps raconté mon histoire, mais personne ne m ?a pas cru. La fièvre dit-on. Personne n ?était non plus au courant d ?une éruption volcanique ou d ?un tremblement de terre dans le Pacifique.
Un jour, je rencontre un célèbre ethnologue. Il répond à mes questions sur Dagon, le Dieu-poisson. Cela l ?amuse. Mais ce savant possède un esprit étroit et conventionnel et j ?arrête là toutes mes recherches.

Toutes les nuits, où la lune est gibbeuse, je la vois. Je vois la chose. Je prends de la morphine mais cela ne m ?a pas aidé longtemps car je suis maintenant son esclave.
Comme j ?ai fini de vous raconter mon histoire, je vais pouvoir en finir. Parfois, je me demande si tout cela n ?était pas un rêve éveillé, une sorte de fantasme. Mais je vois ces créatures sans cesse. Je les imagine qui nagent et pataugent dans leur lit de vase. J ?imagine aussi le jour où elles émergeront des abysses pour engloutir l ?humanité. Ce jour-là, les terres s ?enfonceront et le fond des océans se dressera au-dessus des flots.
La fin est proche. Un bruit derrière ma porte ? Un corps gigantesque, rampant est arrivé jusqu ?ici. Oh cette main ! ! ! La fenêtre ! Vite la fenêtre !
«
Mise en bouche!
■ kroc le bo 15/04/2004
Avec quelques amis on s'est organisé une soirée de films Lovecraftiens où on s'est regardé The Fog de Carpenter et surtout Dagon de Gordon. Histoire de parler un peu de HPL et de poser l'ambiance, j'ai conté la nouvelle de Dagon avec le texte de Poulpy avant que le film du même nom ne commence.
La présentation de la nouvelle sous forme de conte a eu beaucoup de succès, car en quelques minutes on arrive à saisir l'essence d'une hitoire Lovecraftienne et à installer une ambiance. Un exercice que je recommande particulièrement avec un public non averti.
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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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