TocCyclopédie ■ Époques
Pierre Lejoyeux

Attention, pas de malentendus! Il ne s'agit ici ni de pique-nique, de qualité de pain ou d'élections, mais d'une autre façon de concevoir l'aventure en jeu de rôle. Pas moins... Asseyez-vous confortablement, on commence juste après la pub.

Qu'est-ce qu'une campagne?


Les scénarios que l'on joue habituellement, ceux proposés dans Casus par exemple, ont un début et une fin. Une fois terminés, les personnages regagnent leur classeur ou leur pochette. Là, ils attendent sagement que leur joueur les invoque pour une autre aventure qui se passera peut-être à l'autre bout du monde ou avec des compagnons tout à fait différents.
Dans une campagne, les choses sont différentes. Sauf « accident », les PJ restent les mêmes d'un scénario à l'autre. Pas question de tirer au flanc ou d'aller voir « ailleurs » le temps d'une aventure. Quand on est dans une campagne, on y reste.
C'est déjà beaucoup, mais cela ne suffit pas pour faire une campagne.
Il faut également que les scénarios que jouent les personnages soient liés entre eux, qu'ils aillent crescendo et qu'il y ait aussi un début et une fin. Les aventures peuvent se suivre comme les épisodes d'un feuilleton. Le scénario actuel est alors toujours la suite du précédent (sauf pour le premier, normal puisque c'est le premier). Les aventures peuvent aussi se dérouler dans le même pays (par exemple Paorn, Laelith ou les Contrées oubliées). Dans ce cas, le lien est géographique. Si une aventure se termine sur la place d'un village, la suivante y commencera. C'est strict, mais c'est comme ça.
Voilà en quelques mots ce qu'est une campagne. Mais au fait, pourquoi est-ce que cela s'appelle ainsi? Mystère! Sans doute ce terme nous vient-il, tout comme celui de « points de vie », du wargame dont le jeu de rôle est issu. Quand une armée part en campagne (une campagne militaire), elle livre plusieurs batailles de suite. Quand des wargameurs « jouent en campagne », ils font plusieurs parties de suite en prenant en compte les positions et les pertes en hommes d'une bataille à l'autre. Adapté au jeu de rôle, ce principe de « parties qui se suivent » domine ce qui a été dit plus haut.

On en prend pour longtemps!


Une campagne dure forcément longtemps. Elle est composée au minimum de trois scénarios (un début, un milieu et une fin) et donc nécessite au minimum trois séances de jeu. D'autres campagnes - celles « faites maison » le plus souvent - sont bien plus longues et s'étalent sur plus de dix séances, certaines même durent des années. Il n'y a pas de règles en la matière. C'est selon les désirs du meneur de jeu et des joueurs.
Comment estimer la durée d'une campagne? Difficile. On ne peut pas se fier à sa taille. Le nombre de pages n'a en effet rien à voir avec la durée de jeu. Un scénario Casus standard peut souvent être plus long à jouer qu'un gros pavé d'une centaine de pages (par exemple, dans un Appel de Cthulhu, la phrase « ils vont à Venise » a nécessité trois séances de jeu). Sur ce point donc, il n'y a qu'une méthode: lire la campagne de A à Z. Ce n'est qu'après qu'un meneur de jeu peut estimer sa durée, en fonction de sa propre expérience du jeu et de ses joueurs.
C'est important, car durant ce temps les personnages sont « bloqués ». Ils ne peuvent ni aller faire un petit tour à une autre table de jeu, ni laisser leur place le temps d'un scénario. Si, par exemple, un joueur choisit d'incarner un guerrier, il le restera durant toute la campagne. Bref, il en prend pour longtemps...

Le pour...

Dans une campagne, les PJ deviennent des personnages à part entière et non des pions que l'on sort de la naphtaline suivant les besoins: un jour « le guerrier qui fait mal », un autre le « magicien aux douze bagues ». En effet, du fait de la durée de jeu, les joueurs peuvent approfondir leur rôle et travailler la personnalité de leur personnage. De plus, le PJ acquiert une véritable histoire parce que les aventures sont liées les unes aux autres. Il n'est pas celui qui aura « fait » tel et tel scénario, mais celui qui, avec ses compagnons, aura finalement apporté à temps le message au roi, après avoir défait les pirates, survécu à un naufrage, traversé le désert de la mort, vaincu le dragon des montagnes noires et survolé à dos d'oiseau-roc les marais infernaux; ceux que le bourgmestre accueille par « Ah, c'est donc vous! ». Pas pareil...
Pour un meneur de jeu, les campagnes permettent de donner libre cours à son imagination et son goût de l'improvisation. A partir de la base qu'il possède (campagne ou scénario du commerce, notes personnelles), il peut développer, rajouter, remplir à sa guise, bref il peut créer son petit univers et surtout le faire vivre sur plusieurs séances. La durée lui donne la possibilité d'approfondir l'histoire, de développer une ambiance, de coller ça et là des aventures secondaires, de semer des indices qui ne serviront que dans un prochain épisode, de donner une véritable personnalité à un PNJ.

...et le contre


En tant que joueur, si vous aimez changer de jeu et de personnage, passez d'un univers à l'autre et d'une personnalité à l'autre, alors les campagnes ne seront pas votre tasse de thé. Vous vous sentirez vite brimé, voire étouffé par un personnage et une histoire dont vous ne pouvez pas vous défaire. Après tout, ce qui compte c'est de s'amuser. Il ne faut pas s'attacher outre mesure à son personnage, il n'est finalement qu'un prétexte au jeu, un passeport pour le rêve et l'aventure.
Même combat pour les meneurs de jeu qui aiment la variété et les coups ponctuels genre Cyberpunk une semaine, Toon la suivante « pour voir », puis AD&D histoire de voir comment c'était « dans le temps ». Donc si vous aimez la découverte, les essais, les « expériences ludiques », si vous êtes vite blasé, si l'imagination n'est pas votre fort, ou si tout simplement le temps vous manque, ne vous lancez pas dans une campagne, ce serait un fiasco.

Les deux types de campagne


Comme ce titre l'indique, il existe deux types de campagne, comme il existe deux types de scénario: les linéaires et les ouvertes. Le principe est exactement le même, sauf que dans le cas des campagnes, la différence se fait nettement plus sentir du fait de la durée de l'aventure.

- Campagne linéaire. Dans ce cas, le déroulement de l'aventure est rigide. Cela ressemble tout à fait à une voie ferrée sans aiguillage. Primo: pour avancer, il faut suivre les rails. Secundo: on ne peut pas sortir des rails. Tout ou presque est prévu, et les personnages n'ont finalement que très peu de liberté de manoeuvre. Conséquence directe dans une aventure linéaire. Le monde est au service de l'aventure. Il est alors plus un décor qu'autre chose, le détailler complètement ne sert à rien puisque les personnages n'ont aucune raison d'aller là où il n'est pas prévu qu'ils aillent, leur route étant toute tracée.
L'aventure linéaire est le cas le plus répandu dans les suppléments du commerce parce que c'est plus simple à écrire (il s'agit en fait d'un gros scénario) et plus facile à gérer pour le meneur de jeu. Tout étant théoriquement prévu, son art consiste alors à faire oublier aux joueurs cette rigidité (en mettant par exemple des choix aux effets limités à l'intérieur des épisodes).

- Campagne ouverte. Une campagne ouverte est exactement le contraire d'une linéaire: c'est l'aventure qui est au service du monde. Ici, le monde est décrit entièrement. Il n'y a pas de voies toutes tracées, mais plutôt des milliers de chemins qui s'entrecroisent. Plusieurs routes différentes mènent au bout de l'aventure, et souvent plusieurs aventures sont possibles. Les personnages vivent vraiment. Ils sont libres d'aller et venir à leur guise, de visiter tel lieu, de rencontrer telle personne, de s'arrêter un temps dans telle ville, de lier amitié avec tel ou tel PNJ. Et finalement de s'intégrer au monde. Dans un certain sens, les PJ sont même peut-être trop libres, et un joueur débutant peut se trouver perdu sans rail à suivre.
A l'heure actuelle, la campagne ouverte est ce qu'il y a de plus proche de la réalité virtuelle. Sa réussite tient toute entière entre les mains du meneur de jeu. Il doit parfaitement connaître le monde et être capable de faire partager sa vision aux joueurs. Il doit aussi être capable d'improviser et même d'inventer si les PJ s'aventurent au-delà du cadre décrit. Cc n'est pas facile, mais c'est dans ce genre de campagne qu'un MJ acquiert vraiment ses lettres de noblesse... Et que le jeu de rôle prend toute sa dimension.

Campagne cherche joueurs et personnages pour plaisir partagé


- Les joueurs. Pour jouer une campagne, il faut des joueurs « sérieux », car si les personnages en prennent pour longtemps, eux aussi!
Un bon joueur de campagne est d'abord assidu. Si toutes les deux séances, il manque la moitié des participants pour cause de week-end ou de petite amie (terrible ça les petites amies...), autant mettre tout de suite la clef sous la porte. Un bon joueur de campagne doit aussi être constant. En entrant dans une campagne, il signe une sorte de contrat avec le meneur de jeu. Il s'engage à aller jusqu'au bout. Si au milieu de la campagne, le joueur « déserte » parce qu'un nouveau jeu est sorti ou pour je ne sais quelle autre raison rompt le pacte. Ce n'est pas sympa pour le meneur de jeu qui s'est investi dans un gros boulot. Ce n'est pas sympa pour les autres joueurs qui ont joué le jeu. D'autant plus qu'en partant, il peut priver le groupe d'un personnage indispensable à l'histoire. Toutefois, ce départ peut avoir été prévu, signalé à l'avance au MJ, qui peut alors l'avoir intégré dans son scénario (le personnage meurt, ou trahit le groupe et devient un PNJ géré par le MJ).
- Les personnages. Dans une campagne, les PJ doivent former un groupe uni et complémentaire. Ils doivent pouvoir compter les uns sur les autres et être capables de se sortir de toutes les situations. Pour cela, il vaut mieux que le groupe soit constitué en présence de tous et que le meneur de jeu puisse refuser tel ou tel PJ. Ceci afin de pouvoir gérer au mieux les conflits entre PJ (races, caractères, alignements...). S'ils sont tolérables durant une séance ou deux, ils peuvent, sur une plus longue durée, mener à l'éclatement du groupe et faire avorter la campagne. Je ne dis pas qu'il faut à tout prix éviter les conflits, car ils sont souvent matière à de très bons jeux de rôle. Je souligne simplement que les joueurs qui choisissent d'avoir des PJ en conflit avec d'autres doivent éviter de mettre l'aventure en péril. Un nain et un elfe peuvent très bien se détester mais tout de même s'entraider, avec répugnance, mais s'aider tout de même. Cela parce qu'ils poursuivent un même but ou qu'ils sont liés par tel ou tel serment...
- SOS Intérim. En cas de perte de personnage ou de joueur, il peut être indispensable d'intégrer au groupe un nouveau venu. C'est toujours délicat, car les autres personnages ont du vécu en commun et forment donc un groupe soudé. De plus, ils sont intégrés à l'histoire par des relations avec des PNJ, une quête à réaliser, une Mission à remplir. Le nouveau venu risque d'arriver comme un cheveu sur la soupe et d'être considéré comme un personnage de seconde zone, une sorte de suivant sacrifiable à volonté. Un tel personnage devra faire ses preuves pour être intégré comme membre à part entière, ou alors posséder un savoir-faire ou des compétences dont le groupe a besoin. Le meneur de jeu peut également donner au nouveau venu un background le liant à l'histoire ou des informations que les personnages recherchent.
Dans tous les cas, il ne faut pas abuser du SOS Intérim parce que les personnages restent le point central de la campagne. S'ils changent trop souvent, l'ensemble perd de sa profondeur et de son intérêt.

Le test de la ville


Gérer une campagne n'est pas une mince affaire. Il faut assurer le coup pendant plusieurs séances d'affilée et savoir improviser quand les personnages sortent des sentiers que vous avez tracés pour eux. Inutile de vous bercer d'illusions, quoi que vous prévoyiez, vos joueurs trouveront toujours quelque chose à faire que vous n'aviez même pas imaginé!
Mener une campagne requiert une expérience du jeu de rôle, même petite. Pour savoir si vous en êtes capable, faites le « test de la ville ». Prenez les joueurs de votre future campagne et lâchez leurs personnages dans une ville (de votre cru, ou une toute faite façon Laelith ou une cité de Paorn). Si vous arrivez à gérer leurs différentes actions, à mener de front plusieurs PNJ, à improviser au besoin sans que cela se voit trop, bref si vous arrivez à vous en tirer, alors vous pouvez vous lancer dans une campagne.
En revanche, si la ville vous file le trac, si vous ne vous sentez pas encore assez assuré pour sortir des couloirs des donjons et des sentiers de forêt, alors n'essayez pas. Vous risquez d'aller droit au massacre. L'homme sage est celui qui connaît ses limites, ont dit Confucius et l'inspecteur Harry...

Quelques conseils au meneur de jeu


Une campagne ne se gère pas tout à fait de la même façon qu'un scénario classique, du fait de sa taille et de sa durée. Les différences tiennent pour la plupart dans la gestion entre les séances. Voici les principales:
- Chronologie de l'aventure. Dans une campagne, il est impératif de tenir à jour une chronologie car des actions entreprises ou déclenchées lors d'une séance (un voyage, l'envoi d'un message au royaume voisin, la réalisation d'un objet magique, la constitution d'une armée...) peuvent très bien n'aboutir que plusieurs séances plus tard, quand tout le monde (même parfois le MJ lui-même!) aura oublié. Le mieux est de se faire une sorte de petit calendrier sur lequel on note les événements importants.
- Résumé des épisodes. Dans le même esprit, pensez à faire un résumé, même bref, de chaque séance. Cela permet de ne rien oublier d'important et de se rafraîchir la mémoire de séance en séance. C'est très utile, car les joueurs ont une fâcheuse tendance à se reposer sur le meneur de jeu pour ce qui est des souvenirs de leurs personnages!
- Feuilles de perso. Troisième et dernière recommandation. Gardez toujours un double
des feuilles de personnage des PJ, cela pour deux raisons. Tout d'abord, pour qu'un PJ puisse être joué même si son joueur est absent. Ensuite et surtout, pour que vous connaissiez à fond vos personnages et que vous puissiez leur concocter de temps en temps des situations ou des rencontres « sur mesure ». Cela ne peut que plaire aux joueurs dont les PJ sont ainsi valorisés et permettre d'intégrer plus profondément les personnages à l'aventure et au monde.

Un dernier mot


Si cela vous a donné envie de vous lancer dans une campagne, alors testez votre détermination sur un Grand Écran Casus. Dans le prochain numéro, on vous dira tout sur la façon de créer vos propres campagnes à vous personnellement.

Exemples de campagnes officielles
Pour Warhammer:
La Campagne impériale (Descartes), Les Pierres du Destin (Descartes), Oiseau de Proie, oiseau de haine (Grand Écran Casus n°71);
Pour L'appel de Cthulhu :
Les masques de Nyarlathothep (Descartes), Terreur sur l'Orient-Express (Descartes), Le Quatrième Cavalier (Grand Écran Casus n° 80) ;
Pour AD&D Dragonlance (TSR) ;
et Bloodlust: tous les suppléments parus composent une grande campagne (Siroz)...
L'Appel de Cthulhu 7e Édition est copyright © 1981, 1983, 1992, 1993, 1995, 1998, 1999, 2001, 2004, 2005, 2015 de Chaosium Inc.; tous droits réservés. L'Appel de Cthulhu est publié par Chaosium Inc. « Chaosium Inc. » et « L'Appel de Cthulhu » sont des marques déposées de Chaosium Inc. Édition française par Edge Entertainment.
Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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