TocCyclopédie ■ Époques
Pierre Lejoyeux

Chose promise, chose due! Après avoir expliqué ce qu'était une campagne dans le précédent numéro, voici maintenant tous les trucs pour en créer une de vos propres mains. Vous n'avez qu'à apporter l'imagination et le travail de Romain, le reste est fourni...

Petit retour en arrière


Pour ceux qui prennent le train en marche, voici un bref rappel de ce qu'est une campagne. C'est avant tout un ensemble de plusieurs scénarios qui se suivent, comme un feuilleton, et forment ainsi une grande histoire. Comme dans une série TV, les joueurs doivent garder les mêmes personnages du début jusqu'à la fin. Une campagne s'étend sur plusieurs séances de jeu, comptez au minimum une petite dizaine. Il faut donc que meneur et joueurs soient motivés et veuillent aller jusqu'au bout.

Check-list avant le décollage


Créer une campagne n'est pas une mince affaire. Aussi, avant de se lancer dans une telle aventure, la première chose est de savoir si on peut aller jusqu'au bout. Voyons si vous avez l'étoffe d'un grand créateur avec un petit test très rapide. Cochez les cases qui vous correspondent :
( ) Vous adorez le jeu choisi pour la campagne
( ) Vous aimez improviser
( ) Vous avez beaucoup d'imagination
( ) Vous avez une bonne expérience de meneur de jeu
( ) Ça vous branche un max...

Résultats
0 case: Laissez tomber, ce n'est pas pour vous...
1 ou 2 cases: Vous n'êtes pas tout à fait prêt à vous lancer. Il vous manque un petit quelque chose: de l'expérience, un brin d'imagination ou un peu plus de motivation. Courage, ça viendra un jour...
3 ou 4 cases: Vous êtes tout à fait capable de le faire même si vous manquez d'un peu d'assurance. Alors qu'attendez-vous? Lancez-vous!
5 cases: Assurément, vous n'aurez aucun mal à y arriver. Vous aurez peut-être même du mal à vous arrêter! Avec vous, c'est parti pour la saga!

Linéaire ou ouverte?


Bon! Vous êtes prêt? On y va. La première question à se poser est de définir quel type de campagne vous voulez écrire. II en existe deux types comme il existe deux types de scénario: les linéaires et les ouvertes.
Dans les campagnes linéaires, tout est prévu, les PJ sont sur des rails et ne peuvent pas en « sortir » sous peine de rater l'aventure. Une campagne linéaire est plus facile à créer et à mener puisque tout est prévu, cependant vos joueurs risquent de se sentir en « prison ».
Dans les campagnes ouvertes, les PJ sont beaucoup plus libres, ils font virtuellement ce qu'ils veulent, ce qui oblige le meneur de jeu à improviser souvent. Ce n'est pas tellement plus compliqué à créer, mais c'est en revanche beaucoup plus difficile à mener. Cela dit, les plus belles campagnes, celles qui laissent les meilleurs souvenirs à tous, sont la plupart du temps du style ouvert.

Bricolage, adaptation ou tout tout seul...


Pour créer une campagne, il y a grosso modo trois façons de procéder, qui sont plus ou moins longues et difficiles. De la plus simple à la plus compliquée, ce sont: le bricolage de scénarios existants, l'adaptation de films/romans/BD, l'invention pure.
Bien sûr, vous n'êtes pas obligé de faire toute votre campagne sur le même modèle. Il est possible d'utiliser deux de ces méthodes, voire les trois, pour une même campagne. Si je les distingue, c'est pour gagner en clarté.

Le bricolage de scénarios


C'est la plus simple et la plus rapide des méthodes. Choisissez un jeu et rassemblez un maximum de scénarios qui lui sont consacrés. Lisez-les et voyez ce que vous pouvez faire avec. Le but du jeu est d'arriver à en mettre plusieurs bout à bout pour former une grande histoire, donc une campagne. L'important est de trouver, voire d'inventer, des liens entre les scénarios, que ce soit au niveau de l'histoire, des PNJ principaux ou tout simplement de la géographie. Si par exemple, vous avez trois histoires dont le but est de retrouver un objet, vous pouvez considérer que ces objets sont en fait les trois parties d'un seul et même objet, ce qui fait le lien entre les scénarios. Si plusieurs histoires mettent en scène un grand méchant, rien ne vous empêche de fondre tous les grands méchants en un seul. Les PJ auront donc à combattre un même ennemi d'aventure en aventure jusqu'à l'affrontement final. Le lien peut également être géographique, dans ce cas, arrangez-vous pour que les aventures se déroulent dans la même région ou la même ville, ou reliez entre elles les cartes des scénarios.
Plus il y aura de liens entre les scénarios, plus la campagne sera réussie...

1, je m'inspire... 2, j'adapte...


Vous avez adoré tel roman ou telle BD ou encore le dernier film que vous avez vu. Vous avez des images plein la tête et vous voulez l'adapter en jeu de rôle. La première chose à faire est de s'assurer qu'aucun de vos joueurs ne connaît l'histoire! Si l'un d'eux a vu ou lu la même chose que vous, inutile de poursuivre... La seconde chose à faire est de trouver le jeu qui convient le mieux à la fois à l'ambiance de la campagne, à vos joueurs et à vous-même. Prenez des valeurs sûres (AD&D pour le médiéval, Cthulhu pour la période 1920, Star Wars pour la SF) ou un jeu aux règles universelles (Simulacres, Gurps).
Cela fait, il ne vous reste plus qu'à transformer les héros de l'histoire en PNJ, avec leurs caractéristiques, faire des cartes ou des plans et pondre les scénarios. Il suffit de lire ou de regarder votre source d'inspiration et de prendre des notes...

La totale


Là c'est tout tout seul! Vous n'avez pas besoin d'aller puiser l'inspiration ailleurs, votre tête fourmille d'histoires, de personnages et de mondes. Votre seul problème est de choisir entre toutes les idées qui se bousculent. Dans ce cas, ne cherchez surtout pas à caser toutes vos idées dans une même campagne. Ce serait du gâchis et cela a toutes les chances de faire « fouillis ». Choisissez une idée, un monde, un grand méchant, et approfondissez-les. N'hésitez pas à aller jusqu'au bout de ces idées, construisez autour d'elles: des suivants pour le grand méchant, une cosmogonie pour le monde, etc.
Vos joueurs ne seront que plus heureux d'envoyer leurs personnages dans une aventure qu'ils sentent aussi construite et bien ficelée qu'un scénario du commerce.

Les éléments d'une campagne


Une campagne bien construite se divise en plusieurs éléments qui ont tous leur importance: le thème général, le synopsis, l'ouverture, la chronologie, le monde et les scénarios. En vous obligeant à tous les créer, vous mettez toutes les chances de votre côté pour réaliser une bonne campagne.

Le thème principal


C'est le but premier de la campagne, comme par exemple sauver le monde d'une terrible catastrophe, trouver tel objet ou voyager d'un point A à un point B. Cela tient en deux lignes ou à peine plus. C'est le plus simple à faire...
Il existe de grands thèmes de campagne sur lesquels on peut faire une infinité de variations. En voici les principaux, que l'on peut bien sûr mélanger:
- La grande quête. Ce peut être reconstituer/retrouver un objet ultrapuissant, sauver le monde, déjouer un complot, accomplir une mission importante, ou reconquérir un royaume d'où l'on a été chassé.
- Le PNJ central. Dans certaines campagnes, l'histoire tourne autour d'un PNJ. Ce peut être un grand méchant qui s'oppose aux PJ, l'héritier d'un trône que les PJ doivent retrouver et protéger, ou une personnalité (ambassadeur, riche marchand) que les PJ escortent.
- Voyage et exploration. Le thème d'une campagne peut être avant tout la découverte d'un monde. Les PJ partent d'un bout de la carte et doivent aller à l'autre bout, en vivant au passage diverses aventures et en rencontrant de nombreux PNJ.
- Vie quotidienne. Ce dernier thème est un peu plus « intellectuel ». Ici, l'aventure devient secondaire. L'important est de faire vivre aux PJ les moindres coutumes du monde. Ce n'est possible qu'avec des mondes très élaborés comme Glorantha (RuneQuest) ou historiques comme le Japon médiéval ou le Western. Dans tous les cas, il faut une solide documentation.

Le synopsis


C'est le résumé de la campagne. En quelques lignes, voire une page ou deux, vous racontez l'histoire du début jusqu'à la fin. L'intérêt du synopsis est qu'il donne une vision d'ensemble de l'histoire et qu'il clarifie les idées. Ce n'est pas si facile à faire qu'il n'y parait. Efforcez-vous tout de même de le faire, soit avant, soit après avoir écrit les scénarios. Cela permet de prendre du recul par rapport à votre œuvre, de déboguer l'ensemble, et souvent de trouver de nouvelles idées qui enrichissent la campagne. On peut s'en passer, mais c'est prendre le risque de tomber, en cours de jeu, sur un hiatus ou une incohérence...

L'ouverture


L'ouverture est un scénario court qui démarre la campagne. Dans cette mini aventure, vous présentez le thème et le monde. Elle doit être un condensé de l'ambiance de la campagne, une sorte de bande annonce. Dans l'esprit, c'est le pilote d'une série, comme le premier épisode des Envahisseurs où David Vincent découvre que les envahisseurs sont là et qu'ils ont pris forme humaine...
Ce petit scénario a une autre fonction: tester la motivation des joueurs. C'est avec l'ouverture que vous leur « vendez » la campagne. S'ils sont enthousiastes, c'est tout bon, vous pouvez envoyer la suite! S'ils sont dubitatifs, réfléchissez avant de continuer, ils risquent de vous lâcher avant la fin...
Un scénario isolé peut se révéler après coup l'ouverture d'une campagne. Ce peut être l'ambiance et le monde qui ont plu, un grand méchant qui s'est échappé, ou encore une histoire ratée par les PJ. Dans tous les cas, les joueurs veulent aller plus loin. Au meneur de savoir s'il est prêt à retrousser ses manches.

La chronologie


La chronologie (voir Destination Aventure du n°86) regroupe tous les événements importants de la campagne avec leur date, et l'heure si c'est important. Je sais, ce genre de truc n'est pas drôle à faire. Mais si on peut s'en passer dans un scénario isolé, c'est très vivement conseillé ici si on ne veut pas se planter.
Pour la réaliser, aidez-vous du modèle de fiche ci-dessous. Notez dans la colonne « Jour/heure » la date de chaque événement. N'oubliez pas de laisser au moins une ligne vierge par jour (ou heure si l'action est rapide). Puis, dans l'ordre chronologique, indiquez dans la colonne « Événements prévus » tout ce qui est prévu dans la campagne ainsi que l'endroit où cela se déroule: une fête, une tentative d'assassinat, un couronnement, l'arrivée en ville de tel PNJ, etc. Dans les colonnes suivantes (« Actions des PJ » et « Actions des PNJ »), notez ce que font les personnages en cours de jeu. Par exemple, si les PJ voyagent d'une ville à l'autre, indiquez le début et la fin du voyage sur la ligne correspondante (exemple: jour 2 début du voyage, jour 4 fin du voyage), Ainsi, d'un seul coup d'œil, vous pouvez savoir quels événements les PJ vont « rater ». Idem pour les PNJ si eux aussi voyagent ou décident de modifier leurs plans initiaux.
Une telle fiche sert à la fois de pense-bête et de résumé. Rien ne vous empêche d'ailleurs de prendre plusieurs lignes par événement ou action pour donner quelques détails.

Le monde


Plus la campagne est ouverte, plus le monde prend de l'importance et doit être décrit en dehors des scénarios prévus. Surtout, ne vous lancez pas dans une encyclopédie en douze volumes! Le plus important est de détailler les endroits où les PJ vont sûrement se rendre (la capitale, le donjon) et de savoir dans quel esprit ou dans quelle ambiance jouer les autres parties du monde (par exemple, telle forêt est hostile, ce qui implique des rencontres régulières avec divers monstres). Voici les principaux points auxquels vous devez vous attacher:
- Les PNJ. Les PNJ principaux (comme un grand méchant) doivent être détaillés aussi bien, voire mieux, qu'un PJ. En effet, ils vont être utilisés tout au long de la campagne. Soyez particulièrement attentif à leur donner une psychologie, et à noter des indications de roleplaying comme « grande gueule mais assez lâche », il se met souvent en colère, il est sans pitié, etc. Ceci pour que vous conserviez la même interprétation du personnage du début jusqu'à la fin. En revanche, les PNJ secondaires, ceux auxquels on fait appel de temps à autre (les aubergistes, les gardes, etc.) n'ont pas besoin d'être aussi détaillés. Pour eux, il suffit de donner un profil général ne contenant que les caractéristiques qui « servent ». Il est important de donner un nom aux PNJ, sinon le fait de rencontrer un PNJ nommé parmi d'autres anonymes indique trop aux joueurs que c'est celui-là qui est important. D'autre part, montrer qu'un PNJ n'a pas de nom déprécie toujours la scène que l'on joue. Astuce: déformer des noms réels (BD, roman, vedettes télé ou ciné...).
- Les villes. Quand on débute, la tentation est grande de créer des villes entières, rue par rue, maison par maison, commerçant par commerçant. C'est un boulot immense qui est souvent mal récompensé dans les faits. Il est préférable de ne détailler que les endroits importants comme le château ou l'auberge (prévoir un estaminet type, un artisan type, à replacer avec des variantes). Pour le reste, indiquez simplement une ambiance générale comme « tel quartier est un coupe-gorge, tel autre est plutôt riche, tel autre est à l'abandon », et laissez votre imagination faire le reste lorsque vous devrez improviser.
- Les événements aléatoires. C'est la cerise sur le gâteau. Si vous avez le temps ou l'envie, vous pouvez concocter une ou plusieurs tables d'événements aléatoires pour meubler les temps morts: une pour les villes, une autre par région principale. Chaque événement est en soit un petit scénario qui peut vous aider à improviser. Inutile de faire des tables monstrueuses! Une dizaine d'événements aléatoires par table est bien suffisant.

Les scénarios


Bon, là évidemment, on ne peut pas y couper. C'est même pour ça qu'on est là! Quelle que soit la méthode utilisée (voir Bricolage...), il y a deux règles simples à respecter pour réaliser un bon scénario de campagne: le crescendo et la continuité...
Entre deux scénarios qui se suivent il doit y avoir un crescendo, une progression dramatique, soit dans l'histoire, soit dans la difficulté. Il faut absolument y veiller sous peine de casser l'ambiance. Si vous faites combattre des hordes de monstres à vos PJ dans un scénario, puis que dans le suivant, vous ne leur donnez que trois rats et deux vers de terre, ils vont s'ennuyer! L'ambiance d'une campagne est comme un soufflé, si elle retombe c'est fichu...
La seconde règle à respecter est la continuité d'un scénario à l'autre. Même s'il s'agit d'aventures différentes, les PJ doivent avoir l'impression d'être dans la même histoire. Pour y arriver, c'est relativement simple. Il suffit de glisser dans les scénarios d'avant ou d'après des éléments du scénario en cours. Par exemple: faire rencontrer aux PJ, un ou deux scénarios avant, le marchand qui va les embaucher; faire attaquer les PJ par des monstres rescapés d'un combat d'un scénario précédent; glisser régulièrement des rencontres de scénario en scénario (un marchand ambulant, un voyageur, etc.) genre « tiens, que devenez-vous depuis la dernière fois! » qui n'ont d'autre but que de lier l'ensemble de l'histoire.

Question d'organisation


Pour être sûr de ne rien oublier, rassemblez toutes vos notes et plans dans un classeur avec des intercalaires entre chaque scénario. Conservez-y aussi les doubles des feuilles de PJ de vos joueurs au cas où l'un d'eux serait absent ou aurait oublié la sienne.
Ayez toujours quelques feuilles blanches à portée de main pour noter vos improvisations: tel personnage rencontré, telle échoppe où les PJ ont commandé quelque chose, telle inimitié qu'ils se sont attirés et qui risque de se transformer en guet-apens le soir suivant, etc. Car si vous pouvez oublier, il y aura toujours un joueur qui s'en souviendra...

Un dernier conseil


Pour vos premières armes en tant que concepteur de campagne, ne cherchez pas l'exploit. Faites simple, très simple: « trois scénarios linéaires bricolés», par exemple. Il s'agit tout d'abord de vous mettre en jambes. Puis, quand vous vous en sentirez capable, laissez plus d'autonomie à vos joueurs, osez l'improvisation; rajoutez en cours de partie des aventures secondaires, jouez en roleplaying ce qui d'habitude était seulement géré, comme les achats en ville, les nuits à l'auberge, les soins dans les temples, le recrutement de suivants, etc.
Et, fort de toute cette expérience, mettez sur pied votre propre campagne à vous perso avec tout plein de scénarios, un monde titanesque, des villes immenses, sans oublier le casting digne d'Hollywood.
L'Appel de Cthulhu 7e Édition est copyright © 1981, 1983, 1992, 1993, 1995, 1998, 1999, 2001, 2004, 2005, 2015 de Chaosium Inc.; tous droits réservés. L'Appel de Cthulhu est publié par Chaosium Inc. « Chaosium Inc. » et « L'Appel de Cthulhu » sont des marques déposées de Chaosium Inc. Édition française par Edge Entertainment.
Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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