La Maison de Mon Père
A l'arrivée, je me suis dit que quelque chose n'allait pas. Etait-ce l'absence des bruits caractéristiques de la Provence ? Le fait que mon chien se soit terré sous la banquette du pick-up lorsque j'ai ouvert la porte ?
Quelque chose n'allait pas.
La vieille demeure familiale se dressait, blanche, presque intangible, à moins de dix mètres de la falaise. Une demeure que j'ai fréquenté pendant toute mon enfance, adolescence, et qui maintenant me revient de droit après le décès de mon père.
Il n'avait jamais voulu la quitter, elle représentait tout pour lui. C'est ici qu'il est né, ici qu'il a vécu, non loin du village de Fréjus, et c'est ici qu'il est mort.
Le médecin l'a découvert, étendu dans le salon, sur le ventre, dans la position grotesque d'une poupée désarticulée qu'on aurait laissé choir.
J'ai hérité de la maison. Ma s ;ur, d'argent comptant.
Le soleil couchant éclairait la maison d'une lueur rougeâtre, un léger vent se levait tandis que je me dirigeais vers la porte. Celle-ci s'ouvrit sans un bruit. Les rayons de lumière qui traversaient la porte ouverte du salon à ma gauche me donnaient l'impression d'entrer dans un mausolée fermé depuis des lustres. La poussière que soulevait chacun de mes pas assentissait encore cette impression. La cuisine a ma droite semblait dormir, tout comme la salle de bain adjacente. En face de celle-ci se trouvait la bureau, lieu sacro-saint ou nul autre que mon père avait accès. En face de moi, au bout du couloir, l'escalier s'ouvrait sur la bouche sombre, béante, de l'étage.
Le piaffement de mon chien rompit le silence. Je le vis sortir de la voiture et disparaitre au grand galop le long de la falaise.
Il reviendra tôt ou tard.
Je sortis le trousseau de clef que le notaire m'avait remis lors de notre entrevue. Comme je m'en doutais la porte du bureau était fermée. Aucune clef ne semblait y correspondre. Etrange. Etrange comme ce genre de chose peut vous paraître banale au premier abord. Le notaire avait probablement oublié de me la fournir. Je montais a l'étage ou je redécouvrais les trois chambres que je connaissais bien. La chambre de mes parents était celle au dessus du salon et du bureau. Une grande chambre qui surplombait la falaise. Ma chambre était celle la plus proche de l'escalier de l'autre cote et celle de ma soeur était un peu plus loin. Ces dernières étaient pleine de poussière et je ne doutais pas une seconde qu'elles n'avaient plus été utiliser depuis que l'on était partis.
Je redescendis, décider à ouvrir le bureau. La porte de celui-ci était entrouverte.
Je me demande maintenant, comment fut-il possible que la porte soit ouverte alors qu'elle était fermée a double tour quelques minutes plus tôt.
J'y pénétrait, doucement, sursautant au bruit de mes pas sur le plancher grinçant. Une forte odeur de moisi, d'urine d'excrément emplit mes narines. C'est avec horreur que je découvris l'état du bureau. Dans le coin gauche un lit de fortune avait été fait, des pages de livres arrachées et froissées servait de matelas, au pied duquel trônait une couverture moisie par le temps. Le coin droit dégageait une odeur pestilentielle, urine, excréments et autres déchets s'empilait dans un magma immonde, noirâtre qui semblait doué de vie. Le bureau au fond à gauche était couvert de livres, d'essais et de papiers froissés. A sa gauche, une petite étagère sortait du lot. Tout y était rangé suivant une ordre parfait. Quelques verroteries étranges servaient de presse-papier à une pile de carnets.
Pris de nausée, je sortis me précipiter dans la salle de bain.
Je vomis le sandwich que j'avais avalé quelques heures plus tôt. La figure trempée de sueur, je revins vers l'antre de mon père, et c'est là que je le vis. Je pensais d'abord à une hallucination due au jeu d'ombre du soleil couchant, mais il fallut se rendre à l'évidence. Sous le bureau, à la jonction du mur et du planché, un trou, assez grand pour y faire passer un homme, s'ouvrait, m'invitant à y jeter un oeil.
En m'approchant, j'entendis le ressac de l'eau. Peut-être y ferais-je un tour demain.
La lumière déclinait plus vite que je le pensais. C'est ceci qui me décida à rebrousser chemin et à aller prendre un hôtel à Fréjus. Tout sera plus clair demain.
Je ne pus dormir la nuit, ressassant sans cesse les images de ce bureau, du trou, de l'état de décrépitude dans lequel mon père vivait. Jamais je m'étais préparer à ça. Même cette année, lors de la fête de famille, il m'était apparu bien portant, propre sur lui. Ce que j'ai trouvé dans le bureau était le résultat de toute une vie, non pas des quelques mois qui me séparait de notre dernière rencontre. De plus, mon terre-neuve n'avait pas répondu à mon appel avant de partir. Je m'étais résigné et était parti sans lui.
Le lendemain, les yeux lourds, je me rendis pour la dernière fois à la maison de mon père. L'air était doux, et la lumière dansait sur la façade de la maison. Loa n'était pas là. Je me dirigeais vers la maison, passait devant le salon et ouvrait la porte du bureau. Il était vide. Tout avait disparu, les excréments, l'odeur, le lit de fortune... Tout, sauf le trou dans le mur et l'étrange verroterie posée sur une pile de carnets. Je pris le premier carnet. L'écriture de mon père. Un raclement.
Le trou dans le mur émettait un bruit étrange comme si une quelconque créature se raclait la gorge.
Le carnet avait les coins cornés, certaines pages portaient des marques de sang.
Le raclement reprit, plus fort, plus proche.
La première page était datée du 14 Octobre 1997, deux mois avant la mort de maman.
Cette fois si, je suis sûr que quelque chose monte du trou, se rapproche, souriant à mon endroit.
Je fuis, emportant avec moi les carnets de mon père, courrant à en perdre haleine vers la voiture, l'engin salvateur démarra en trombe, me portant loin de ce lieu maudit.
Ca fait maintenant, 3 mois que j'ai fini de lire les notes de mon père. Ca fait maintenant six mois que Loa doit être coincée dans l'estomac de la maison. Ca fait maintenant un mois que je rêve d'un lieu paisible ou je n'aurais besoin de rien, ou je pourrais couler des jours heureux, ou je pourrais voir ma soeur de temps en temps, ou je pourrais vivre avec mes chers parents.
Une maison dans le sud, au bord d'une falaise...
Journal Intime
Ce n'est pas de gaîté de coeur que je me suis levé ce matin.
Comme tous les matins, je me dis qu'aujourd'hui j'arrêtes de fumer. Comme tous les matins, je me promet de refuser tous les ordres qui me mèneront vers l'aile nord de l'hôpital. Comme tous les matins, je jure devant dieu que j'appelerais ma fille.
Après une rapide toilette, j'entre dans la voiture, ouvre la boite à gants et en sors un paquet de gauloise brune, sans filtre. Dès la première bouffée je me sens mieux, reposé.
Il faudrait vraiment que j'arrêtes de fumer.
Le trajet n'est pas long entre mon appartement et mon lieu de travail. Mais je ne peux m'empêcher de tourner un peu en ville. C'est mon plaisir personnel.
La vieille Georges est encore en train de sermonner le jeune prêtre de la paroisse.
Louis, Sir Louis comme il aime s'appeler, prend grand soin de son cheval, immobile, dans le prés devant son pavillon.
Katherine, fait les cents pas en attendant son amant qui ne viendra plus.
Le docteur Trinquet accueille déjà des patients dans son cabinet.
Et moi, pendant ce temps je roule, je leur fais un signe de la main, me délectant de chacune des bouffées de ma cigarette.
Je tourne au coin de la boutique de journaux. Et ce que j'y vois me glace d'effroi.
Mme Morte m'a vue. Une femme immense, forte, d'une poigne à briser le bras de l'homme le plus fort du monde. Je fais marche arrière alors qu'elle arrive vers moi à une vitesse folle.
Pas le temps de partir, elle me rattrappe. Me prend par le bras et ne me lache plus.
Ses doigts épais m'enserrent le poignet comme des lianes. J'ai beau me débattre, pester, hurler, rien n'y fait, elle maintient sa prise,
Les larmes me montent aux yeux puis roulent le long de mes joues.
- " ll est temps d'aller dans l'aile nord" me sussure l'infirmière, tout en poussant mon fauteuil roulant....
Ce n'est encore pas aujourd'hui que j'appelerais ma fille.
Journal d'un infirme
Hôpital Psychatrique de Paris-Perseuil.
Fin de Course
Ca fait des jours qu'elle est là. Elle attend patiemment qu'il vienne la chercher.
Elle a froid depuis longtemps et elle aimerait à nouveau courrir, foncer, bruler la route comme ils l'ont tellement de fois fait jadis.
Il fait nuit et la maison blafarde semble endormie, si l'on omet la faible lueur de la pièce du salon. Elle regarde la fenêtre attendant un mouvement de sa part. Mais rien ne bouge, sinon les ombres dansantes de la télévision noir et blanc.
Le ciel nuageux se perce déversant ses gouttes de pluie. D'abord épars, puis de plus en plus proche, dense.
Elle distingue de moins en moins bien la maison, elle qui reste sous la pluie. Elle soupire. Le vent frais qui souffle la dérange. Mais, grâce à lui l'averse est vite passée.
La maison est de nouveau visible sous la lumière de la lune ascendante. Elle regarde à nouveau la fenêtre mais rien ne semble avoir bouger.
Celle-ci est entrouverte, permettant à l'air de circuler plus facilement au sein de ces murs décrépits.
L'air vicié de la maison se renouvelle, permettant à ceux qui y vivent de respirer.
Le jour se lève.
Le soleil brille.
Elle voit une collègue à elle, jeune, blanche et rouge, de nombreux tatouages parcourrant son corps vif, et deux opales bleue tronant sur sa tête. Elle comprend alors que plus jamais elle ne courrera la route. Comme son proprietaire qui sort de la maison les pieds devant, une dépaneuse arrive pour l'emmener vers son cimetière à elle...