Notes et transcription : chris-@-cinebis.org">Christophe Thill
La vie des Lettres
QUI EST LOVECRAFT ?DANS la collection "Lumière Interdite" dirigée par Louis Pauwels aux Editions des Deux-Rives, un nouveau livre de H.-P. Lovecraft, Démons et Merveilles, vient de paraître. C'est le troisième traduit en France à ce jour, les deux premiers étant sortis aux éditions Denoël dans la série "Présence du Futur".
On chercherait en vain le nom de H.-P. Lovecraft dans les ouvrages parus en France sur la nouvelle littérature américaine. Ni Maurice-Edgar Coindreau ni John Brown ne le mentionnent. Jean Cocteau affirme pourtant que le premier récit de Lovecraft publié dans notre langue a été l'un des évènements littéraires de ces derniers temps. Un critique anglais va même jusqu'à prétendre qu'Edgar Poe, si on le compare à H.-P. Lovecraft, ressemble à de la musique de chambre.
Ce précurseur des romans de science-fiction vécut et mourut aux Etats-Unis dans la pauvreté et le silence [1]. Jacques Bergier nous apprend dans la préface de Démons et Merveilles qu'il avait absorbé une grande partie du savoir humain. Il connaissait un nombre incalculable de langues, y compris quatre dialectes africains, "écrivait avec autant d'érudition sur les mathématiques, les cosmogonies relativistes, la civilisation aztèque, la Crète ancienne, la chimie organique..."
Cet homme remarquable ne réussit pourtant pas à gagner plus de quinze dollars par semaine dans un pays où un laveur de vaisselle s'en faisait à l'époque soixante ou soixante-dix. Il a fallu vingt-cinq ans pour que ce visionnaire assurément halluciné et peut-être génial sorte de son obscurité.
Démons et Merveilles est un ouvrage autobiographique. Entendons que Lovecraft y dessine une partie de son itinéraire spirituel. J'avoue pourtant avoir été moins effrayé que le préfacier ne me l'avait laissé espérer. Moins admiratif aussi. Peut-être suis-je un mauvais lecteur pour ce genre de littérature fantastique. On m'assure que la gloire de Lovecraft est d'avoir ouvert à l'imagination humaine d'immenses domaines où elle ne s'était jamais aventurée. Mais les mots échouent trop souvent, là encore, devant l'indicible.
"Indicible" est précisément une des expressions qu'emploie un peu trop souvent Lovecraft. Il y ajoute, dans l'espace de deux pages, "incompréhensible", "indéfinissable", "intraduisible", "incatalogable", "inexplicable". Nous ne sommes guère éclairés. Cette musique des sphères, puisque musique il y a, n'est pas suffisamment concrète. On lui préférera tout de même l'orchestre de chambre d'Edgar Poe.
Claude MauriacLe Figaro n° 3589, 21 mars 1956, p. 15.