Bel ensemble que ce coffret consacré à l'ère victorienne, avec pratiquement 1000 pages réparties en trois livrets ! A noter qu'il ne s'agit pas purement et simplement d'une traduction de suppléments anglais : on retrouvera ici à la fois des éléments tirés de Cthulhu by gaslight ainsi que des informations compilées par l'équipe Sans Détour, en plus de trois scénarios de création française. Sans plus tarder... entrons dans le détail !
1890 - Investigations au XIXè siècle
1890 - Esotérisme au XIXè siècle
1890 - Londres au XIXè siècle
Cthulhu 1890 - l'écran v6
Cthulhu au XIXème Version collector
Livre I : investigations au XIXe siècle.
Un peu plus de 350 pages pour poser le cadre des années 1890 en mettant l'accent, sans surprise, sur l'Angleterre et son empire.
Changement d'époque oblige, nous avons droit à des règles de création de personnages modifiées (en employant, comme pour les années folles, l'idée des différents archétypes, des styles de jeu, des dossiers consacrés à certaines professions en particulier). La mécanique étant exactement la même, on aura tôt fait de tout parcourir, le seul grand changement étant l'importance donnée au Crédit dans une société où l'ordre social est bien plus strict et rigide ! Une surprise tout de même, puisque l'on verra également la possibilité de jouer... un enfant. Pour le reste, du petit cireur de rue à l'aristocrate, en passant par le sacro-saint détective calqué sur Holmes et l'inventeur fan de Jules Verne, 21 professions sont ainsi présentées et offertes.
Mais avant tout cela, un court rappel historique est effectué sur la situation dans le monde (donc, en Europe et parmi ses colonies), l'Angleterre et la France étant mises en avant par rapport aux autres pays. C'est bref, comme indiqué, mais n'oublions pas que le supplément ne se veut pas aussi exhaustif qu'un certain Au cœur des années 20, du moins sur ce chapitre. Il sera tout de même difficile, à partir de ces informations, de sortir de la sphère anglaise : de même que j'expliquais que Le manuel des investigateurs était purement américain, celui-ci sera victorien jusqu'au bout des ongles.
Cela dit, une fois l'investigateur créé, il s'agira de lui donner à la fois la juste apparence et le matériel nécessaire : c'est tout le rôle des parties "équipement" et "quotidien", avec 70 pages. Ce n'est ni plus ni moins qu'un "catalogue pour toucher à tout" (oui oui, je vais encore ressortir l'exemple d'Au cœur des années 20, mais... c'est pourtant la meilleure analogie possible !), où... oui, on touche vraiment à tout ou presque, de l'habillement aux communications, des transports à l'armement. Sans Détour, ici encore, reproduit des pages tirées principalement des guides et almanachs Hachette de l'époque (on pourra d'ailleurs rire jaune, avec les proverbes ô combien sentencieux et autres propos misogynes alors parfaitement normaux), mais en nombre qui me paraît parfois excessif : certes, cela donne une touche authentique, mais un simple article plus synthétique aurait pu épargner des longueurs et mettre de côté des détails parfois inutiles. Un exemple : deux pages pour ne traiter que du... corset féminin. Mais à l'inverse, des trouvailles beaucoup plus pratiques, comme les illustrations de voitures de l'époque, ou encore une liste de mots de code pour télégrammes ! On retrouve donc ce mélange entre informations pleinement exploitables en jeu et d'autres qui ne relèveront que de la culture générale ou du seul plaisir de la lecture.
Maintenant que la première moitié a été survolée, se profile la deuxième, qui intéresse nettement plus : le Mythe et le surnaturel ! Tout d'abord, une chronologie tirée des œuvres de Lovecraft et d'autres auteurs horrifiques (pendant ce temps à Arkham, à Dunwich, à Kingsport, etc.) puis un catalogue des monstruosités que l'on peut croiser lors des parties. Et ? Et c'est tout. Non, vraiment tout. Une chronologie. Toute bête. Une liste de monstres – dont la quasi-totalité figure déjà dans le restant de la gamme. C'est tout de même peu. Certes, cela permet de faire connaissance avec des auteurs bien peu connus sous nos horizons francophones. Ou de mettre en scène de nouveaux Grands Anciens (comme s'il n'y en a avait pas déjà assez...). Mais... on ne pouvait donc pas trouver autre chose ? Des lieux, des cartes ? Des contrées alors exotiques, n'ayant plus d'intérêt dans les décennies à venir ? Non, rien de tel. Décevant, alors qu'on est supposé attaquer enfin l'aspect cthulhien du supplément.
Et de Cthulhu et consorts, il n'en est pas davantage question dans la section qui suit, adaptant les trois styles de jeu à la mode de 1890. Que trouvera-t-on, alors ? Hé bien, les grands classiques littéraires comme criminels, de Jack l'Éventreur à Buffalo Bill, de Fu Manchu à la Guerre des Mondes. Comprenez-moi bien : que l'Appel de Cthulhu s'ouvre à d'autres horreurs, pour apporter une bouffée d'oxygène, rien ne me dérange en cela, bien au contraire. Mais... qu'on ne s'ouvre qu'à ce domaine, qu'on prive le supplément du moindre début de commencement de tentacule, là, en revanche, le bât blesse. Ce n'est plus Cthulhu 1890 mais 1890 tout court, pour ce premier livret (mais également pour les autres – voir plus bas).
Bref. Quelques PNJs-minute plus tard, viennent trois scénarios, dont le mérite premier est d'offrir une palette variée, chacun adoptant l'un des trois styles de jeu évoqués précédemment.
Le tout premier scénario, « Un pont entre deux mondes » (style de jeu : investigation occulte), entraînera les investigateurs à sauver un certain... Sherlock Holmes, à moitié dément et accusé de meurtre. Les amateurs d'intrigues étroitement liées à l'Histoire seront ici ravis, les pistes menant aussi bien aux origines du Tower Bridge qu'à un certain Shakespeare.
Le second scénario, « Enfants de la tombe » (style de jeu : mélodrame victorien surnaturel), joue avec un événement tristement vécu comme une déchéance : la naissance d'un enfant bâtard, couvrant la mère de honte. On aura tôt fait de se poser la question de savoir qui est le père... à raison. Romantisme noir et macabre au programme.
Enfin, le dernier scénario, « Dans les savanes d'Outretemps » (style de jeu : aventure fantastique), ne propose rien de moins que l'un des grands classiques du pulp et du steampunk, à savoir un saut vers le futur lointain, depuis les terres africaines... tout en gardant cependant un regard propre au XIXe siècle ! Une riche galerie de PNJ (et autant de caractères variés et parfois antagonistes), une multitude de sous-intrigues et mini-scénarios, une aventure riche en action... Pour une fois, on pose les livres et calepins pour laisser parler la poudre, il y a amplement de quoi au sixième millénaire !
Livre II : Londres au XIXe siècle.
Exhaustivité. C'est le mot qui vous sautera aux yeux, avec les 152 premières pages de ce livret consacrées à la seule Londres. Exhaustivité, au point que l'on aura l'impression de crouler sous les informations, tant elles sont abondantes.
Plutôt que de reprendre les informations point par point, dans l'ordre de ce guide, je préfère directement livrer le bilan des points positifs et négatifs.
- Pour ce qui est du positif, il y a tout d'abord l'imagerie ainsi que les cartes fournies, tout ceci étant d'époque. C'est à la fois beau, instructif, utile pour se mettre aussitôt dans l'ambiance... et s'apercevoir à quel point Londres était la mère des mégalopoles actuelles ! Non, vraiment, j'insiste, c'est très beau. Un autre bon point, à mes yeux, c'est d'avoir eu recours à des citations et des extraits d'auteurs ayant visité Londres : ce sont autant de points de vue riches et différents, qui là encore permettent de saisir l'esprit de cette ville, de ce que ne sont ni Paris ou New York.
- Entre le positif et le négatif, je n'arrive pas à trancher, il y a la description des grandes artères et des principales bâtisses de la ville. D'une part, c'est complet, à croire que rien n'a été laissé de côté, mais d'autre part on se retrouve à jongler avec des paragraphes et encore des paragraphes plus touffus les uns que les autres, avec des détails que l'on aurait davantage attendus de la part d'un guide touristique plutôt que d'un supplément de jeu de rôles. On retrouve ici le même sentiment, mi-figue mi-raisin, que j'avais eu à la lecture des Mystères de Lyon : l'auteur est le même, il n'y a donc aucune surprise.
- Enfin, un point négatif : plus haut, je parlais de guide exhaustif. Il l'est... pour les parties de Londres qui ont été abordées. Car l'auteur s'est livré à un choix. Or, sans non plus demander une encyclopédie traitant de la moindre obscure contre-allée, il y aurait pourtant eu la place et la possibilité d'étendre le spectre de la description en réduisant la taille des paragraphes des quartiers traités ou en synthétisant.
Vient ensuite un guide pratique, en un peu moins de 140 pages, à destination du nouveau venu. Une section bienvenue, puisque si la partie précédente posait les bases géographiques et historiques de la ville, celle-ci vient donner vie à la ville : comment s'y rendre, comment y vivre, comment s'y débrouiller, les us et coutumes de Londres, sans oublier un point détaillé sur les musées de la capitale, de l'histoire naturelle à l'anatomie humaine... où des investigateurs dignes de ce nom ne manqueront pas de se rendre pour leurs enquêtes !
- Point positif : l'exactitude des descriptions et localisations. Tout est ici d'une précision extrême. Mais, conséquence, retrouver une information bien particulière dans tout ce chapitre nécessitera alors de prendre son temps.
- Parmi les points négatifs : les listings d'adresses à profusion, qui s'étalent sur des pages. Ce que je veux dire... c'est que je ne connais aucun MJ qui soit tatillon au point de nécessiter l'adresse précise d'une boutique où acheter un parapluie. Ou alors, on se contente de quelques indications, mais pas d'une avalanche de lieux comme celle-ci, c'est gaspiller de la place. De plus, si ce chapitre doit donner vie à la capitale, où sont les personnages ? Personne n'est mentionné, pas un seul PNJ (historique ou fictif) à rencontrer, les Gardiens se devront donc de meubler la capitale par leurs propres moyens.
Nous en arrivons à ce qui est, à mes yeux, la partie de loin la plus réussie et intéressante de ce livret : la face sombre de la Babylone noire. Ici, on découvre ce que Londres a de moins séduisant, à travers la pauvreté d'une partie de ses habitants, sa criminalité, ses forces de l'ordre, ses prisons, ses conditions de vie parfois sordides, ses politiques urbaines parfois contestables.
Voilà enfin LA partie nécessaire pour faire frissonner les investigateurs, les faire pénétrer dans des rues qu'ils auraient dû éviter, leur faire comprendre qu'il est temps de faire demi-tour... Sans compter toute une faune de Gavroches, marchands ambulants, mendiants, prostituées, arnaqueurs, receleurs, avec leurs spécificités londoniennes – passionnant. De même, plusieurs encarts viennent compléter ces informations, qu'il s'agisse de dévoiler le contenu de la boîte à outils du parfait cambrioleur ou d'expliquer la fabrication de fausse monnaie. Tout un milieu interlope qui fournira ainsi alliés comme ennemis aux joueurs !
Dernière partie, pour clore ce livret : voyager dans l'Angleterre victorienne. C'est une sorte de fourre-tout, avec diverses destinations de renom autour de Londres, des considérations sur la géographie, les ressources du sol anglais, les côtes du pays, son agriculture. Était-ce bien utile ? Là encore, on se retrouve davantage dans un guide touristique que dans un supplément de jeu de rôles : à vouloir tout aborder, à tout prix, on finit par en oublier d'en rester à l'utile et l'essentiel. Mais surtout, surtout... quand les dernières pages abordent les lieux de légendes et contrées liées à l'étrange, ainsi que les monstres propres à l'imaginaire anglais, on retrouve le même reproche que celui que j'avais adressé au premier livret : où est donc l'aspect lovecraftien ? Nulle part. Hého, on regarde le titre sur la couverture : Cthulhu 1890. CTHULHU. Vous voyez le problème ? Et ce, alors même que cette partie aurait pu justement résoudre le problème et lier folklore anglais et Grands Anciens. Qu'on ne me dise pas que ceci est impossible : la gamme Cthulhu Britannica y est parvenue...
Bon, pardon, je suis mauvaise langue. Le livret aborde la question du Mythe. Sur une page. Une. Sur les 444 du livret.
Finissons au moins sur un point positif : les illustrations des croquemitaines propres à l'Angleterre sont véritablement superbes. Ce n'est pas la première fois que l'illustrateur Loïc Muzy officie sur la gamme française, son travail est toujours autant de qualité.
Livre III : ésotérisme et surnaturel au XIXe siècle.
Le livret débute tout d'abord avec une chronologie des événements étranges et supposés liés au paranormal, des années 1840 à la fin du siècle, avant de les reprendre pour en exposer plus longuement les faits. Ici, nous ne sommes plus cantonnés à l'Angleterre seule mais au monde entier, de l'Europe à l'Indochine. Dois-je ajouter que... pas un bout de tentacule, là encore ? Non, toujours pas. Une nouvelle fois, tout s'y prête, mais rien n'est fait, débrouillez-vous. Rappelez-moi le nom de la gamme, un doute m'assaille...
Même formule, dans un deuxième temps, avec les principaux mouvements ésotériques de l'époque : difficile de faire l'impasse sur un tel sujet, tant il y avait de groupes florissant sous l'Angleterre de Victoria, des Rose-Croix à la Golden Dawn, en passant par les médiums et prophètes. La partie s'avère très complète et détaillée, pour quiconque s'intéresse à l'occultisme, d'un côté de l'écran de jeu comme de l'autre, ainsi que pour mettre en scène des personnages plus ouverts aux idées peu conventionnelles (ou plus bizarres!). Reste que (oui, ce sera ma marotte), toujours aucun lien avec Cthulhu.
Et, quelque part, voilà qui résume mon sentiment sur l'ensemble des livrets : j'ai appris beaucoup de choses à la lecture de ces suppléments, du montant de la pension pour marins invalides à la lecture des lignes de la main, mais en quoi ceci va-t-il m'aider à jouer ou faire jouer à l'Appel de Cthulhu ? Je serais mesquin et injuste de dire que c'est un échec ou une escroquerie, mais je trouve tout de même fort de café qu'on ait fait entrer une telle somme d'informations factuelles et si peu liées au Mythe, si l'on exclut les trois scénarios et quelques trop rares pages. Pourtant, ce n'est pas le premier supplément « sans Mythe » de la gamme : on avait ceci pour les armes, pour l'équipement, pour les années 20, pour créer différemment les investigateurs... mais ces suppléments pouvaient se le permettre, puisqu'ils s'inséraient dans l'optique des Années Folles, riches en scénarios/campagnes. Or, ici, cet ensemble est le seul, en France, à traiter de l'ère victorienne. Et à quoi parvient-on ? A un mini-Wikipédia, dont-il faut reconnaître qu'il est richement illustré et documenté, mais qui oublie sa vocation première : ce n'est pas un manuel d'histoire-géographie mais un supplément de JDR...
Préface. 5
Une multitude de faits étranges. 6
Chronologie. 8
Le double d'Émilie Sagée. 12
Les empreintes de sabots du diable. 14
L'énigme de la Mary Celeste . 18
La mésaventure des Cumpston : poltergeist ou hallucination ?. 19
De
moutons vampirisés en Irlande. 20
Détonations inexpliquées en mer du Nord. 20
Rencontres avec des « serpents de mer ». 30
Des mouvements ésotériques en plein essor. 36
Chronologie. 38
La Rose-Croix. 40
Naissance d'une légende. 40
Croyances rosicruciennes. 42
La Rose-Croix à l'époque moderne. 46
Les Rose-Croix au XIX e siècle. 47
La franc-maçonnerie . 51
Histoire de la franc-maçonnerie . 51
Naissance des rites ésotériques. 57
La franc-maçonnerie classique au XIX e siècle. 59
Les rites ésotériques au XIX e siècle. 61
L'occultisme. 63
Principes et pratiques du mouvement occultiste. 63
Éliphas Lévi, une référence incontournable. 69
Saint-Yves d'Alveydre et la synarchie. 72
Papus et l'Ordre martiniste . 74
L'Ordre hermétique de l'Aube Dorée. 77
Le Carmel d'Élie : de Vintras à Boullan. 80
L'Hermetic Brotherhood of Louxor. 81
Maître Philippe de Lyon. 81
Le spiritisme. 96
Les sœurs Fox ou la naissance du spiritisme. 96
Alan Kardec, élaborateur d'une doctrine. 98
Daniel Dunglas Home, le plus grand médium de tous les temps ?. 99
Henry Slade, de l'ascension à la chute. 101
Victoria Woodhull, médium, femme d'affaires et candidate à la présidence des États-Unis. 103
Cora Scott, celle par qui s'expriment les esprits. 106
Anna Kingsford, grande rivale d'Helena Blavatsky. 107
Eusapia Palladino, de la célébrité aux polémiques. 108
Leonore Piper, le « corbeau blanc » de William James. 112
La Société théosophique. 114
L'organisation. 114
Principes et objectifs du théosophisme . 116
Expliquer le surnaturel.118
Chronologie. 120
Polémiques autour des phénomènes surnaturels.122
La nature des rêves.122
Les apparitions.132
Les phénomènes spirites .138
Géométrie non euclidienne et quatrième dimension.146
Les sciences psychiques : institutions et chercheurs.152
La Society for Psychical Research (SPR).152
Lord Rayleigh, physicien fameux, chercheur psychique peu convaincu.154
Camille Flammarion, l'astronomie, les sciences psychiques et la possibilité d'une vie extra-terrestre.155
Frederic Myers, survie de l'âme et théorie du « moi subliminal ».157
Edmund Gurney et les hallucinations télépathiques.159
Charles Richet et les causes physiologiques des pouvoirs médiumniques .164
Richard Hodgson, le chasseur de fraudes devenu médium.164
Frank Podmore, le sceptique .166
Index. 167