TocCyclopédie ■ Époques
« Par la vertu de ce vin du Sabbat, une pincée de poudre blanche dissoute dans un verre d'eau, le siège de la vie s'était trouvé isolé, la trinité humaine dissoute ; le ver qui jamais ne meurt, qui ne cesse de sommeiller en nous, devenait tangible, s'extériorisait en se revêtant d'une enveloppe charnelle »
Histoire de la poudre blanche, Arthur Machen

Elle s'avança, élégante, raffinée, en faisant claquer ses talons carrés sur la chaussée. Lom, le cœur battant la chamade, la reconnut. Notre Dame des Ténèbres, reine de vénusté. Les jeunes désœuvrés maussade l'instant d'avant, furent galvanisés par cette apparition, et la joie se répandit sur leur rangs. Ils exultèrent en poussant des cris tonitruants. Lom oublia sa bouteille de rhum. Avec un déhanché envoûtant, dont l'effet était encore accentué par la vue de deux longues jambes nues et fuselées, à peine couverte par la mini-jupe plissée, elle s'approcha de ses amis pour les embrasser avec chaleur.
Elle passa devant lui. Ses yeux se posèrent un bref instant dans les siens, mais elle fit mine de ne pas le reconnaître, et se dirigea vers l'homme au postiche, à la casquette et aux raybans. "Excuse-moi mais il faut que j'aille pisser" lui déclara-t-elle sans préambule. Avec un aplomb formidable de féminité, elle s'engagea vers les cabines d'aisance, disposées pour l'occasion à l'angle de la rue. Lom ne put s'empêcher d'admirer sa chute de rein, la cambrure magnifique de sa croupe aux mille délices. A peine eut-elle entrouvert la porte qu'elle la referma, dégoûtée par le remugle infâme qui avait frappé son odorat. Toujours souriante, elle se cacha entre deux cabines, en ayant eu soin de demander à une fille de lui servir d'écran. Quelques instants plus tard elle sortit, imperturbable, majestueuse et se mêla à la foule des fêtards.
Lom s'approcha d'elle. Son brillant sur la narine luisait faiblement dans les lueurs de la nuit. Hésitant il lui toucha le coude. "On se connaît ?" demanda-t-elle légèrement interdite. "Oui, je suis Lom... Nous avons passé un Halloween ensemble, tu ne te souviens plus ?" après un moment de réflexion " oui ! Mais tu étais plus canon avec les cheveux longs..." dit-elle d'un air mutin « en tout cas j'ai vu quel genre de lecture tu as. J'aime beaucoup » renchérit-elle. Lom crut déceler une pointe de condescendance dans sa voix. « toi et ton frère vous avez été baignés dans la fantasy tout petit et c'est vraiment très bien » le fait qu'elle le catalogue aussi rapidement ne manqua pas de blesser son orgueil, mais il était subjugué par sa beauté « pour ma part je préfère l'épouvante... » ses paroles semblaient sans force et inopportunes. L'assurance lui faisait défaut. Il l'aurait voulu l'impressionner mais il se sentait ridicule. « Tu fais des jeux de rôles; j'aimerai bien y jouer un de ces quatre; tiens, je te conseille de lire Les Portes de la Mort, en dix tomes, qui dépassent même le Seigneur des anneaux. » Il était de plus en plus agacé. Il fallait changer de sujet. « Qu'est-ce que tu fais en ce moment ? ». « Je pars faire de l'humanitaire au Pérou. » quelque chose la faisait sourire de ce qu'elle disait.
À coté d'eux ses potes à l'aide d'un tube en carton, faisaient se contorsionner une petite blonde aux dreadlocks. Par intermittence, l'un d'eux hurlait « Limbo !! », surtout lorsqu'une charmante brunette en pantalon moulant franchissait l'obstacle avec grâce. "Ta femme et ton gosse sont restés à Rennes ?" s'enquit-elle. "Merde" pensa Lom, elle avait visé là où ça fait mal... Se sentant pris au débotté, le jeune breton esquissa un sourire timide. "Ils sont à la maison". Là il sentait qu'il touchait le fond de la grotesquerie. Le vide béait en lui, lui causant un vif déplaisir. Il lui fallait combler ce puits de Danaïdes. Boire un coup de rhum. Rouler un spliff. Il colla deux feuilles à gauche et tandis qu'il cramait sa zetla dans la paume de sa main, les escadrons de CRS, s'assemblait à l'autre extrémité de la rue. Il tira deux ou trois bouffées âcres de son joint, puis le passa à la belle, qui le refusa tout net. "Je ne prends que de la coke..." sa bouche menue se fendit à nouveau d'un sourire éclatant. Lom nota un charmant grain de beauté à la commissure de ses lèvres douces. Il voulait les embrasser, baiser sa peau satinée et hâlée. Il aurait pu la prendre là, anéantir la mauviette qui l'accompagnait comme on balaie de la poussière d'un revers de main, et devenir son maître au lieu d'être son esclave. Mais il se sentait trop lâche, malgré toutes ses prétentions, il n'était qu'un faible, à tout point de vue.
Dépité et presque totalement dégrisé, ses yeux errèrent sur la formation de police. Ils commencèrent à avancer. Il y avait quelque chose de bizarre dans leur rang, quelque chose qui échappait encore au regard vague de Lom... Une forme d'hostilité lointaine, froide, inhabituelle. De l'autre coté du bassin à flot, quai de Rohan, le bourdonnement puissant et lancinant de la bombarde et du biniou koz montait de la salle Carnot

Son égérie riait de plus belle avec son amant et ses amis, en l'ignorant complètement. Dans ses vapeurs narcotiques qui ne lui faisait plus aucun effet, Lom se remémorait la soirée d'Halloween. Encore un exemple confondant de son conformisme, de sa stupidité, de son manque d'empathie. Des corps qui tombent d'un immeuble condamné. Électrochoc de masse. Page blanche. Les images dans chaque interstice du réel. Dans une simple conversation. Et les clichés qui tombent de sa propre bouche comme des jurons. Sans plus de succès avec l'occultisme sinistre et galvaudé. Tantra. Le cœur putride du marais de Yeun Ellez. L'Homme des sorcières et son chien noir. Quand elle eut tourné les talons, il ne restait que les désordres honteux qui fuit le soleil bien aimé. « un bon Halloween en somme »s'amusa-t-il.
Soudain, Lom eut un vertige. Les visages tanguèrent devant ses yeux, et il en vit de nouveaux, nombreux, dans une pièce étriquée, bariolée de toutes les couleurs de l'arc chromatique qui défilaient en un kaléidoscope dément, bande son montée à l'envers. Et elle. Encore elle, inaltérée, au centre de tout, accoudée au bar. Et puis le port de plaisance revint. Les policiers s'avançaient, leurs mains gantés de cuir noir sur leur tonfa, leur bombe lacrymo. Ils repoussèrent les jeunes dans la rue ascendante. La tension monta. Plusieurs se rebiffèrent et se firent molester puis on leur passa les pinces. Ça lui était déjà arrivé... un souvenir plus que cuisant. Il la vit dans la foule, il voulait la suivre. Mais il était trop faible. Il suait à grosses gouttes. Mais non... elle ne lui tournait pas le dos. Elle était là, goguenarde, accoudée au bar, dans la petite cuisine criarde, bondée de monde, enfumée, saturée par les scratchs rageurs du dj à coté. "Alors le frangin, tu t'es pris une montée d'enculé, pas vrai ?"
Il tenta de retrouver une contenance et se dirigea d'un pas mal assuré vers le bar.
- Sers-moi un verre princesse, s'il te plaît
- oui, tu es un homme, un vrai, dit-elle sarcastique.
- alors l'humanitaire au Pérou, ça a donné quoi ?
Elle fit semblant de ne pas comprendre. Elle jouait encore avec lui comme avec un pantin. Son verre éclusé il recommença à dégouliner. Le décors se remit à tourner. Il suffoqua. Il sentit le souffle chaud et parfumé de son haleine contre son oreille. "Vois maintenant". Sa voix suave fit littéralement exploser la charge érotique dans ses boyaux. Son esprit recommença à se dissocier en mille papillons colorés, jusqu'à l'aveugler, pour devenir tout son monde. Lorsque la lumière éclatante se dissipa le décors avait à nouveau changé. Il se trouvait au sommet d'un tas de ruines fumantes et noires. Il était toujours à Rennes, mais un désastre au proportions bibliques avait réduit la vieille ville en cendres. Des belles rangées de maisons à pans de bois, il ne restait rien sinon des monceaux de charpentes brûlées et brisées, de terre et de cadavres carbonisés.
L'armature squelettique d'une tour double barrait l'horizon. Non loin une structure pyramidal, qui semblait n'avoir subit aucun dégâts, était le théâtre d'âpres combats. Deux drones d'attaques triangulaires décrochèrent au dessus de sa tête dans un hurlement d'ouragan. Il se trouvait sur l'amoncellement de pierres formidable de l'église renversée. Il vit un groupe de survivants tentant de se frayer un chemin dans les décombres d'un centre commercial, non loin. Soudain un nouveau drone surgit de nulle part; il avait des sieg runen gravées dans sa coque, autour d'un globe de verre central, qui luisait d'un verre maladif. En un instant il se trouva au dessus des rescapés. Des rayons de plasma partirent de chacun de ses angles pour venir mordre le sol. Il commença à pivoter sur lui-même. Avant qu'ils aient pu se rendre compte de ce qui leur arrivait, une barrière mortelle se dressait entre eux et la survie. L'un d'eux tenta de passer au travers, mais la moitié de son crâne roula au sol dans une gerbe de sang. Le mécanisme relâcha le globe, qui se brisa au sol, libérant une brume verdâtre qui emplit rapidement tout le périmètre, dissimulant les prisonniers et leur sort qu'il devina horrible, car rapidement il n'entendit plus que des expectorations violentes et des hurlements effroyables. Sa sinistre besogne accomplie, le drone repartit, ses rotors poussant le nuage empoisonné vers Lom. Le spectacle qu'il vit alors le cloua sur place, malgré le danger. Il y avait une survivante. Elle. Le doute n'était pas permis malgré les habits déchirés, la crasse et les boucles nouées de sa chevelure en bataille. A genoux, elle sanglotait amèrement et poussait de longues plaintes déchirantes, serrant dans ses bras le cadavre d'une petite fille au visage ensanglanté. Hypnotisé par cette vision, le nuage délétère l'enveloppa sans qu'il s'en rende compte. Il suffoquait, son sang se mit à bouillir et ses yeux étaient prêts à jaillir de leur orbites... Lorsqu'il trouva de l'air par la lucarne de la cuisine. Elle s'approcha de lui. "Allons faire un tour". Elle lui prit la main et l'entraîna à travers l'appartement en fête. En passant le dj l'apostropha : «  ouais... va faire un tour en bas avec les raclos ! ». Dans la rue l'air était revigorant, mais trop tard pour les gueules saoules sous les encorbellements des maisons à pans de bois. L'église, inachevée, se dressait dans les ténèbres, la Sainte Vierge et le Christ dominant l'entrée de la façade tronquée mais Lom ne les voyait pas. Il était bien loin de leur lumière. Il songeait au Grand Dieu Pan qui dormait au pied de ses murailles.
Elle était pendue à son bras et après quelques pas elle lui demanda ce qu'il faisait dans la vie, mais il n'était pas disposé à en parler, honteux d'être un ouvrier crasseux. Il éluda. Son attitude compassé cachait un malaise diffus. Elle se montra plus loquace lorsqu'il l'interrogea à son tour sur sa profession. Elle était guide conférencière. Comme soupirant on ne pouvait pas faire plus empoté, et maintenant il lui semblait que ses entrailles étaient aussi sèche que le contenu d'une urne funéraire. Il y avait quelque chose d'irréel dans cette occurrence. C'était un pas de danse avec le démon. « Qu'aimes-tu dans la vie ? » demanda-t-il à brûle pourpoint. « voyager... et mes trois hommes... » assura-t-elle avec beaucoup de naturel. La foule sembla soudain à Lom plus oppressante et il flancha. Elle le sentit et ils firent demi-tour. A ce moment, il se trouvait moins que rien, bouillonnant de colère contre lui-même. Lorsqu'elle remonta l'escalier en colimaçon, son fignard se trouvait juste à hauteur de son visage. Il aurait pu le lui faire là dans l'escalier, mais rien n'avait changé depuis la rue. Il fit passer ça pour de la galanterie et passa devant. Mais il avait la conviction que cela faisait partie du jeu.
Des chants dans la nuit. Le lapin blanc brisé en mille éclats de conscience. Et elle qui tourne belle et terrible, devant lui qui la voyait comme un ange en feu, sous les coupoles d'argent et de jade, dansant pour le plaisir des dieux, l'observant depuis leurs trônes d'or. Il tendit la main pour la saisir, mais plus il s'approchait plus elle devenait insaisissable. À la fin il cria son nom, mais elle avait disparue. L'écho de son cri résonna dans la maison déserte. Il était assis, en nage, dans son lit parfaitement réveillé. Il était seul. Sa femme et ses enfants partis. Comment en était-il arrivé là, à une telle déchéance ? Un chaos d'image bouillonnait comme le maelström dans sa tête. Peu à peu, l'inquiétante étrangeté s'était installé dans son quotidien. « Polarise ton attention » disait la tête horriblement déformé d'Al Pacino dans le métro new-yorkais, sa tête jaillissant d'un vieux téléviseur. La photo d'une boîte gravé d'un sceau de la Kabbale. Une maison abandonnée dans une friche artisanale, pleine de livres poussiéreux. Son fils aîné tourmenté par un démon presque sous son nez. Un ami – présent lors de la soirée d'Halloween - assassiné le jour de la paix, dans un bar portant son nom à elle. A son enterrement, le chant aigre et obscène du révérend satanique qui emplissait les voûtes de l'église. Le symbole de Saturne sur une chair profanée. La montagne de l'Archange châtiant son impiété dans la rue de l'archange, lavant les mots d'amour et emportant l'or de son aïeule. La tête de son bébé heurtant les marches en béton. Le Myrtus, buisson de Vénus, dépérissant à vu d'œil.
Et elle, de retour, comme il l'avait rêvé, sarcastique, se moquant tranquillement d'eux. «  je le connais depuis qu'il est tout petit... » se gaussait-elle.
Matthieu Chedid le calomniant à son tour dans l'autoradio.
tes histoires
tes promesses
ton courage
tes prouesses
ça sonne faux
tes désirs
tes souffrances
tes soupirs
ce silence
ça sonne faux
Une amie de jeunesse aux réponses parfaitement calibrée sur son équilibre psychique, conditionné par le fait qu'il écrive.
L'ombre des tours de télécommunications des systèmes militaires, flétrissant la nature majestueuse alentour. L'herbicide dans les jardins bien proprets des bourgeois. L'ipé et le coumarou provenant des forêts tropicales dévastées, débités en lames pour faire des terrasses.

Le bruit blanc, radiophonique, de l'Apocalypse qui commençait dans la ville jumelle, celle que l'on nommait jadis Cité des Arbres.

Flots d'eau saturé d'acide et de désinfectant coulant dans les égouts d'une usine d'agroalimentaire. Mur blanc, moiteur, caméras, chair collé sur les murs. Au loin, encore une tour perdue au milieu de la campagne. Camping sous le ciel rose nucléaire. Perte de sa médaille de baptême avant d'arriver à pied des tours technocratiques impies, dominé par l'œil qui voit tout, qui balaient impitoyablement les consciences à la recherche de toute « déviance » paradigmatique. Pour l'annihiler. Ou l'utiliser.
Vagues discontinues de paranoïa, de peur et de haine. Enfermé dans une chambre 101 à l'échelle de sa vie, Lom n'était bientôt plus que l'ombre de lui-même, un écrivain raté, ayant oublié sa foi, sa langue, sa culture, ses anciens, sa famille, errant dans l'inframonde de l'occultisme et des paradis artificiels. Sa femme ne tarda pas à mettre les voiles, incapable malgré son amour de le sauver de la dégradation engendré par la drogue, la faiblesse morale, la décadence de son époque. Et par dessus tout, l'action invisible, pernicieux, du vin du sabbat. Et pendant le temps de solitude et d'oisiveté que la séparation lui procura, il eut toute latitude pour ne penser qu'à elle, la Femme Écarlate.
C'était vendredi. La nuit. L'heure approchait. Engourdi, il se leva et tituba jusqu'à la table encombrée de lettres de mise en demeure et de commandement de payer d'huissiers, de feuilles de personnages pour l'Appel de Cthulhu, de bouteilles vides, de cendriers cascadant de mégots de clopes et de joints. Il avait envie de se griller une sèche, mais il savait qu'il ne devait pas pour ce qu'il avait à faire. De toute façon il n'y en avait plus. Il inspira profondément pour faire entrer le plus de prana possible. Il descendit l'escalier, fort d'une résolution terrifiante, les pupilles dilatée, hirsute et dépenaillé. Il pénétra dans une petite pièce vide à l'exception de cartons remplis de figurines brisées, de jeux de rôle déchirés. Une grande et vieille armoire de chêne, qui jurait sur le linoléum prosaïque, était plaquée contre le mur gris en face de la porte. Sur le mur à droite était accroché un miroir en cerf volant convexe, à 45 ° vers le haut et 90° vers le bas. La partie supérieure du cadre était composé de carton plié et l'inférieure d'une équerre de bois aux extrémités arrondies et aux bords biseautés. Un quadrillage en résille de plomb couvrait la partie médiane droite de la glace. Il grimaça en le voyant. Il avait fait quelque chose de dangereux. Cette objet appartenait aux déviants de la loge Zoso et il le leur avait dérobé; il leur avait même fait l'affront d'abattre le bel acacia devant leur repaire, et que ces pervers chérissaient par dessus tout. Ils viendraient bientôt se venger et récupérer ce qui leur appartenait. Mais il n'avait pas peur de ces punaises. Il avait de quoi les accueillir.
Une gandoura de laine blanche était pendue derrière la porte. Des arabesques de soie bleue ornaient l'encolure. Il l'enfila et se dirigea vers la fenêtre, pour en fermer les volets. Le rayonnement spectral de la lune gibbeuse baignait les ténèbres d'un éclat inquiétant. Quelqu'un ou quelque chose était à l'affût dehors. Il verrouilla le tout rapidement, et attrapa un petit objet enveloppé dans un torchon crasseux, caché au dessus de l'armoire et le glissa dans sa poche. Puis il prit une clé autour de son cou, débloqua le meuble massif et après avoir marqué un temps d'arrêt, il l'ouvrit en grand. Un triptyque de bois sculpté en remplissait tout l'intérieur. Les panneaux latéraux figuraient deux hommes nus portant chacun une coupe enflammée, l'une tournée vers le haut et l'autre vers le bas. C'étaient les mignons du redoutable personnage central : le Baphomet, l'Homme des Sorcières. Nyarlathothep. Contrairement aux représentations classiques du cornu, sa face n'était pas bestiale, mais celle d'un jeune homme charismatique. Main droite vers le haut et main gauche vers le bas. Il y avait un petit autel recouvert d'un satin vert sur lequel était posé un brûle parfum contenant du thym, un bougeoir portant un cierge noir et un petit vase rempli de liquide odorant. Le rituel pouvait commencer.
Après avoir allumé les charbons dans la cassolette et y avoir jeter de la poudre d'encens, il sortit une craie de sa poche, un petit morceau de soie replié de sous l'autel et s'empara de la bougie. Ces deux derniers objets portaient des signes cabalistiques. Il se leva et traça trois cercles distincts sur le sol. Dans l'un il disposa la chandelle, dans l'autre il déplia l'étoffe, - qui contenait un bout de parchemin recouvert d'un pentacle -, et il se plaça lui-même dans le troisième, en tailleur. Commença alors une longue antienne en latin et en hébreu. Au terme de la fastidieuse litanie, il marqua une pause. Puis il toucha le cercle du cierge de la main droite et celui du pentacle de la main gauche et répéta sept fois de suite " Deviens mienne". Enfin, il prononça à nouveau une prière, courte, et se leva pour retourner à l'occultum. Il décrocha une figurine de cire accrochée à sa ceinture, à son image. Il avait cousu, sur cette imitation de son corps souple et gracile, un bout de tissu coloré en guise de jupe, avec son nom, inscrit en travers de son sein. Il la considéra un instant en se demandant si le simple contact avec elle avait suffit pour charger le volt et incorporer la proportion ad hoc de vie fluidique à la dagyde. Une mèche de cheveux aurait été l'idéal. Tant pis. Il ajouta à nouveau du thym dans le brûle parfum, et du bois de santal. Puis il jeta la poupée dans le feu. « Ainsi je fais fondre cette cire sous les auspices de l'esprit invoqué, ainsi fondra d'amour le cœur de glace que je veux enflammer »
Alors que la figurine s'embrasait, il lui sembla percevoir un mouvement infime dans la pièce. Il se tourna. Son reflet dans le miroir le considéra, interloqué. La psyché ne renvoyait que lui. L'arrière-plan avait disparu. Il avait laissé la place à un gris nébuleux, mouvant. Soudain un bruit dans le garage le fit sursauter. Il se leva. Quelqu'un était en train de crocheter la porte de communication. Il reporta son attention sur la glace. Tout était normal. Décontenancé, il secoua la tête puis il sortit le chiffon sale de sa poche et le déroula pour faire tomber dans sa main un Five seveN USG usagé. Il recula jusqu'à l'armoire et tint la porte en joue. Il y avait des bruits de pas furtifs dans la pièce à coté. L'huis s'ouvrit subrepticement. Il défourailla et un homme en cagoule s'effondra à l'intérieur en criant. Les autres refluèrent précipitamment dans le garage. Le malandrin n'était que blessé à l'épaule. Lom s'avança vers lui et braqua son arme sur sa tête. L'autre leva des yeux humides et implorants vers lui. « Pitié... ». Le breton, sans hésitation, appuya sur la détente et la cervelle macula le mur. Il reprit sa position initiale. Mais une des canailles était restée en embuscade, et un filament traversa la pièce, sans qu'il est le temps de l'esquiver complètement. Son œil gauche, touché par le gel lacrymogène, pleurait abondamment, et, enflammé de douleur, il s'effondra dans l'occultum, renversant la cassolette. Les braises brûlèrent le tissu, et l'incendie se propagea rapidement dans l'armoire. Fou de rage, il envoya une salve de balles dans le mur, faisant sauter les carreaux de plâtre. Un des intrus hurla. Il se tourna vers la fenêtre, l'ouvrit et sauta dehors. L'un d'eux l'attendait à l'extérieur lui pointant une arme de poing vers le torse. Avant qu'il ait pu esquisser le moindre geste, deux dards le perçaient et l'onde de choc électrique l'expédia au tapis pour le compte. L'ennemi se jeta sur lui, lui passa des menottes, et commença à l'étriller sans merci, jusqu'à ce qu'il soit complètement sonné, le visage en sang. Les autres arrivèrent, l'embarquèrent et le jetèrent dans une BMW noire, qui démarra en trombe. La dernière vision qu'il eut de sa maison fut celle du Baphomet baigné de flammes. Groggy, il sentit à peine un des lascars lui remonter la manche pour lui faire une injection. Le rush de rabla le cueillit comme un fruit bien mûr, et son esprit bascula dans un étrange paradis clair-obscur.
Dans le désert à la fois vaste et étriqué de son subconscient, il sentait que quelque chose ou quelqu'un approchait, et alors qu'il était sur le point de distinguer son contour, la réalité le rattrapa comme une douche glacée. La descente fut longue et nauséeuse d'autant que le voyage était interminable et la dernière étape de plus en plus accidentée. Il connaissait leur destination. Bientôt ils longèrent un lac long et étroit, passèrent devant un antique cimetière, juste avant de franchir une haute grille de fer forgé et un poste de gardiennage. Et finalement un manoir du 18ième, de plain-pied, se découpa dans le pare-brise. Deux oriels -dont l'une munie d'une porte- saillaient de la façade. Ils le traînèrent jusqu'à l'entrée. Une chouette le frôla. Il vit la souche de l'acacia et gloussa. Une des brutes, au crâne rasé et au faciès simiesque, l'attrapa par le col et lui administra un crochet du droit dans l'œil. Il se débattit violemment et un objet contondant s'abattit sur son occiput, l'assommant à nouveau.
Ça approchait. Un parfum familier flotta à ses narines. Des lèvres douces et humides effleurèrent le lobe de son oreille. « ¡Pie, caballero ! Estas al yunque. ». Il leva sa tête du dallage de marbre, en damier blanc et noir. Il avait froid. Ils avaient déchiré sa gandoura et sa chemise et l'avaient jeté sans ménagement au sol, face contre terre. Une grande salle carrée sans fenêtres, aux voûtes supportées par des colonnes ouvragées. Une seul ouverture, et en face une cathèdre, surmontée du miroir. Un homme masqué, vêtu d'une robe de brocart noire et argent, siégeait, hiératique. Une foule de sectateurs, un pandémonium de dominos hideux et grotesques, se tenait, immobile autour de lui. Sur la droite du maître de cérémonie, un cage, où voletaient une centaine de papillons aux ailes oranges et noires. Danaus plexippus. Le magister, au loup noir cornu et plissé sur le front, se fendit d'un sourire narquois, qui accentua les cicatrices de sa peau vérolée. « Te voilà en notre pouvoir... mon frère ». Lom se redressa péniblement, perclus de douleur, et le toisa avec haine. « Toi et moi nous n'avons rien de commun, raclure ». L'amusement de l'autre était palpable. « pourtant nous servons les mêmes maîtres... » répliqua-t-il sur le ton de l'échange de banalités. Lom banda ses muscles aux veines palpitantes, du moins ce qu'il en restait après des mois d'inactivité et de monomanie. « La différence entre toi et moi c'est qu'il y a certaines... offrandes que je ne suis pas disposé à faire, alors que vous autres... Donc, toi et tes copines, vous feriez mieux de décarrer avant que je vous fasse bouffer vos ratiches... ». Sa gouaille n'avait pas fondue, elle. Le gourou fit un bref signe de tête à l'un de ses sbires, probablement la gueule de macaque. Celui-ci fit un pas, un éclat argenté, un coup leste porté à l'œil, et une vrille de douleur lui transperça le crâne, le faisant vaciller au sol, essayant de stopper, pathétique, l'épanchement du fluide incarnat sur le marbre. Le chef se leva de son trône, et s'accroupit devant lui. Il murmura quelque chose d'horrible à propos de sa femme et de ses gosses. À travers les vagues de souffrance intolérable, le breton se rappela que s'était le moment qu'il attendait. Il sortit le stylet de sa chaussette trouée, et faucha l'air, rapide comme l'éclair. Les yeux derrière le masque témoignaient qu'il refusait de se rendre à l'évidence. C'est alors que le sang jaillit de la gorge béante, et qu'il s'effondra, rendant l'âme dans les convulsions les plus épouvantables qui soient.
Interdits pendant quelques secondes, ses coreligionnaires finirent par se ruer sur Lom, le désarmèrent et commencèrent à le lyncher. Soudain l'un d'eux cria et ils stoppèrent la bastonnade. Lom savait qu'il allait mourir, son corps n'était plus qu'une grande plaie. Mais à travers le mur épais, dolent, que formaient ses dents brisés, ses doigts écrasés, son œil crevé et toutes les déchirures dans sa chair, il comprit que quelque chose terrifiait les démonomanes et que cela venait du miroir. En panique, ils refluèrent dans le couloir, et quelques instants plus tard un monstrueux hurlement collectif, un cri primal d'horreur et de souffrance échappé de leur bouche à tous, qui cessa aussitôt après. Puis le silence. Et à nouveau un bruit. Des talons de femme claquèrent sur le marbre.
Son œil valide eut du mal à la distinguer lorsqu'elle émergea du couloir sombre. Les pans de sa basquina chamarrée virevoltaient autour de ses jambes cuivrées. Elle agitait nonchalamment un éventail de dentelle noire, et quand elle passa à sa hauteur, languide, elle se contenta d'une brève œillade à son endroit. « Llevo mucho tiempo esperando ... princesa... » parvint-il à articuler au prix d'un mal indescriptible. Elle sourit en coin avant de se diriger vers la cage. Elle l'ouvrit et la nuée de monarques la drapa d'une robe vivante. Le regard qu'elle posa alors sur lui glaça le peu de sang qui restait dans ses veines, à l'heure où plus rien n'aurait dû l'effrayer. Elle se campa juste au-dessus de son corps agonisant, le poing fermé sur la hanche, un des ses brodequins noirs en avant. Ses yeux lançaient des éclairs, à faire vaciller des mondes. Elle le considéra un long moment, taciturne. « Ignores-tu donc ce que je suis ? Croyais-tu que ton petit charme aurait le moindre effet sur moi ? ». tandis que la vie l'abandonnait, il rassembla ses dernières forces pour exhaler ces quelques mots : « je voulais... juste... que tu... viennes... Lilith... ». La reine de la nuit adoucit l'expression de son beau visage, redevenant presque bienveillante. Presque humaine. « Tu connais le prix, n'est-ce pas ? ». Lom acquiesça péniblement. « Et ceux qui t'aiment ? ». Elle lut la réponse dans son œil. « D'accord, frangin ». Elle s'agenouilla, posa doucement sa tête meurtrie sur ses cuisses et commença à baiser ses lèvres sanglantes. C'était comme si mille roses avaient éclos sous son palais, et le décor - l'illusion qui en tenait lieu - se déchira comme une gaze. Ils franchirent les Portes de la mort, pénétrèrent en Ozlomoth, acclamés par les hurlements suraigus des tentaculaires Ganichiloth, les vengeurs de crimes. Puis ils allèrent jusqu'au fond du cône d'ombre de la terre, là où s'étend le domaine de Yog Sothoth, où il s'abîmèrent dans un gouffre de chair. Et l'aiguillon de viande, qui le taraudait depuis si longtemps, - à l'égard de la Femme Écarlate exclusivement -, fut satisfait au-delà de ses espérances, par les plus redoutables et les plus secrets de ses appas […]

Et désormais, le breton observe des choses indicibles, très loin du monde, depuis sa cellule capitonnée, parfaitement sanglé dans sa camisole chimique et physique. Parfois, il rentre dans des accès de rage meurtrière qui font la hantise des infirmiers. Il pourrait broyer le monde dans sa colère.

Rapport d'expertise psychiatrique X011235F Centre Guillaume Rénier
An 2063
Individu de type schizoïde ayant évolué - vraisemblablement comme conséquence d'un abus de drogue - vers un schizophrénie à tendance paranoïaque. Croit être l'amant d'une créature imaginaire. Se présente lui-même sous le patronyme de Gwyllgi, qui, je crois, est un chien maléfique des contes bretons insulaires . Pense que nous sommes en 2013. Recommande les électrochocs pour pallier aux crises d'agressivité. Rémission probablement impossible. À maintenir en isolement.


Gwilherm An Hen 2013
«
La femme écarlate
■ La Flamberge 21/12/2013
Nouvelle publié précédemment sur la cour d'Obéron - avant que je me fâche avec eux -, corrigé, modifié, pour vous exclusivement amis toceurs !

enjoy...
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L'Appel de Cthulhu 7e Édition est copyright © 1981, 1983, 1992, 1993, 1995, 1998, 1999, 2001, 2004, 2005, 2015 de Chaosium Inc.; tous droits réservés. L'Appel de Cthulhu est publié par Chaosium Inc. « Chaosium Inc. » et « L'Appel de Cthulhu » sont des marques déposées de Chaosium Inc. Édition française par Edge Entertainment.
Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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