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Après le décès d'un célèbre pianiste, certains de ses héritiers sont mystérieusement étranglés. Il semble que la main du défunt se soit échappée de son caveau afin de commettre ces forfaits...



La bête aux cinq doigts a été produit par la prestigieuse compagnie hollywoodienne Warner Bros, qui s'était illustrée dans le genre fantastique en faisant réaliser Docteur X (1932), Masques de cire (1933) ou Le mort qui marche (1936) par son réalisateur-vedette Michael Curtiz (Les aventures de Robin des bois (1938) avec Errol Flynn...). La bête aux cinq doigts est réalisé par Robert Florey (Double assassinat dans le rue Morgue (1932)...), et interprété par Andrea King (God is my co-pilot (1945) de Robert Florey, Red planet Mars (1952) de Harry Horner...) et Robert Alda (prêtre-exorciste dans La maison de l'exorcisme (1974), version bidouillée de Lisa et le Diable (1972) de Mario Bava ; on l'a aussi vu en inénarrable mister White dans le téléfilm américain La riposte de l'homme-araignée (1978), distribué dans les cinémas en Europe...). Ce film est l'adaptation d'une nouvelle de William Fryer Harvey. Son script a été rédigé par Curt Siodmak, lui-même écrivain, qui travailla sur plusieurs scénarios de films d'horreur pour la Universal (Le loup-garou (1941) de George Waggner, Le fils de Dracula (1943) par son frère Robert Siodmak...). La vraie vedette du film est évidemment l'acteur Peter Lorre, qui accomplit ici une de ses interprétations les plus mémorables.
L'énigmatique Peter Lorre

László Löwenstein / Peter Lorre naît en 1904 dans l'Empire austro-hongrois. Mais, à la fin de la guerre, on démantèle ce royaume, et un régime dictatorial va rapidement s'installer en Hongrie. De nombreux talents hongrois vont se disperser hors de leur pays au cours des années 20 : les photographes André Kertesz, Brassaï ou Robert Capa, le réalisateur Michael Curtiz, l'acteur Bela Lugosi (Dracula (1931)...)... Peter Lorre tente sa chance comme acteur à Berlin, en Allemagne, aux alentours de 1920. Sa carrière se limite d'abord au théâtre, puis il devient une star mondiale en jouant l'inoubliable serial killer de M, le maudit (1931), le célèbre chef-d'oeuvre du génial Fritz Lang (Metropolis (1927)...). Après quelques rôles de second plan, il quitte l'Allemagne en 1933, suite aux évènements politiques tragiques qui secouaient ce pays. Il passe par la France, où il apparaît dans De haut en bas (1933) aux côtés de Michel Simon et Jean Gabin : ce film est réalisé G. W. Pabst (Loulou (1929)...), cinéaste allemand en exil. Puis Lorre se rend en Grande-Bretagne, où Alfred Hitchcock lui donne le rôle d'un infect espion dans sa première version de L'homme qui en savait trop (1934).

Enfin, Peter Lorre arrive à Hollywood. Il tient ainsi le rôle principal dans Remords (1935), une adaptation de Crimes et châtiments par Josef Von Sternberg (L'ange bleue (1930)...), et surtout le film fantastique Les mains d'Orlac (1935), sur lequel on reviendra plus bas. Il refait un petit tour en Angleterre pour Quatre de l'espionnage (1936) de Hitchcock, puis retourne travailler aux USA. Il y trouve une grande notoriété en interprétant pour la 20th Century Fox, dans une série de huit films étalés entre 1937 et 1939, le personnage du détective japonais Mr. Moto (L'énigmatique monsieur Moto (1937)...), concurrent du perspicace chinois Charlie Chan, qu'interprétait Warner Oland (Charlie Chan à l'opéra (1937)...). Après cette série, il se spécialise dans les rôles de méchants et de sadiques (il interprète de redoutables dirigeants de prison dans L'île des hommes perdues (1940) et Cross of Lorraine (1943)). On le trouve notamment dans deux films de Robert Florey : Face behind the mask (1941), dans lequel il joue un personnage défiguré se vengeant des hommes qui ont tué l'amour de sa vie, et La bête aux cinq doigts. Trés productif, il apparaît dans des grands classiques de Hollywood, tel Le faucon maltais (1941) de John Huston, avec son ami Humphrey Bogart ; Casablanca (1942) de Michael Curtiz, encore avec Bogart ; ou Arsenic et vieilles dentelles (1944), classique de l'humour noir par Frank Capra (La vie est belle (1946)...), avec Cary Grant. Peter Lorre retourne en Allemagne et passe à la réalisation pour le sombre Un homme perdu (1950).

Hélas, il tombe ensuite gravement malade, et doit passer des mois dans un sanatorium en Suisse, dont il revient vieilli et méconnaissable. Après avoir travaillé pour le théâtre et la télévision, il retrouve les chemins des grands studios avec le classique de l'aventure Vingt mille lieues sous les mers (1954), produit par Walt Disney et réalisé par Richard Fleischer, dans lequel il forme un duo pittoresque avec Kirk Douglas. Sa carrière repart et on le trouve dans diverses oeuvres d'aventures (Cinq semaines en ballon (1961) d'Irwin Allen...) et de science-fiction (Le sous-marin de l'apocalypse (1961) d'Irwin Allen aussi...). On le retrouve ensuite aux côtés de son ami Vincent Price dans divers films d'horreur : L'empire de la terreur (1962) de Roger Corman d'après Edgar Poe, The comedy of terror (1963), oeuvre nettement parodique de Jacques Tourneur... Peter Lorre meurt d'un arrêt cardiaque en 1964.



Jeux de mains...

Dès le classique allemand Les mains d'Orlac (1924), réalisé par Robert Wiene (Le cabinet du docteur Caligari (1919)...) et interprété par un Conrad Veidt (idem) hallucinant, le cinéma fantastique avait utilisé les mains comme enjeu de séquences d'épouvantes. Le pianiste Orlac, horriblement blessé dans un accident de train, se faisait greffer les mains d'un criminel ; mais elles refusaient de lui obéir et tentaient de commettre des crimes contre sa volonté. Une variante sera proposée avec Les mains d'Orlac de 1935, réalisé à Hollywood par Karl Freund (La momie (1932)...), dans lequel Colin Clive (le savant du Frankenstein (1931) de James Whale...) joue le rôle d'Orlac. Pour pimenter les choses, le pianiste y est confronté au docteur Gogol (interprété par Peter Lorre), chirurgien amoureux fou de son épouse Yvonne Orlac.

Avec La bête à cinq doigts , une simple main coupée, douée d'une volonté propre, se promène et devient un monstre menaçant. Ce concept sera promis à une belle postérité, puisqu'on le retrouvera dans, entre autres, The crawling hand (1963) de Herbert L. Strock (I was a teenage Frankenstein (1957)...), dans lequel la main d'un astronaute décédé sème la mort. Dans La main du cauchemar (1981) d'Oliver Stone, la main coupée d'un dessinateur de BD frappe les ennemis de son ancien propriétaire. N'oublions pas les série TV de La famille Addams (la première date de 1964) et leurs adaptations cinématographiques (La famille Addams (1991) et Les valeurs de la famille Addams (1993) de Barry Sonnenfeld), dans lesquelles la Chose (une main douée d'une vie propre) est un "membre" à part entière de cette sympathique communauté monstrueuse.

Plus récemment, dans Evil dead 2 (1987) de Sam Raimi, Ash doit affronter sa propre main possédée par un esprit démoniaque, ce qui donne lieu à des séquences aussi bien influencées par Les mains d'Orlac que par La bête aux cinq doigts. La médiocre comédie horrifique La main qui tue (1999) de Rodman Flender fonctionne sur le même principe.

La bête

La bête aux cinq doigts, par son atmosphère gothique, ses éclairages expressionnistes, son contexte exotique (l'action prend place en Italie) et ses situations aussi fantastiques que violentes, se rattache à l'âge d'or du cinéma fantastique américain, qui avait notamment culminé avec les classiques de la Universal au début des années 1930 (Dracula, Frankenstein...). Pourtant, par bien des aspects, il rappelle aussi le film noir américain, genre mis en place au début des années 1940, à partir de Le faucon maltais de Huston : ce genre mêle sombre intrigue policière et angoissante atmosphère expressionniste. Dans La bête aux cinq doigts, la belle demeure du musicien, son vaste salon aux ornements gothiques raffinés et son jardin pluvieux, font ainsi beaucoup penser au thriller Deux mains, la nuit (1945) de Robert Siodmak, huis-clos angoissant dans lequel un étrangleur traquait une jeune femme muette à travers une splendide maison. De même, l'élégance de la réalisation et le travail délicat sur l'atmosphère et la photographie évoquent certaines productions de Val Lewton pour la compagnie RKO, telle La féline de Jacques Tourneur. Tout ce travail fort réussi sur l'atmosphère doit beaucoup au directeur artistique Stanley Fleischer (L'homme au masque de cire (1953) d'André de Toth...), au chef-opérateur Wesley Anderson (les magnifiques travellings autour du piano) et surtout au fameux compositeur Max Steiner (King Kong (1933)...).

La bête aux cinq doigts mélange donc une affaire criminelle traditionnelle, avec enquête policière et nombreux suspects, à des éléments propres à un film d'horreur, le moindre n'étant pas la présence d'un véritable "monstre", la fameuse main coupée étrangleuse. Toutefois, cela ne se fait pas sans accroc, notamment en ce qui concerne le scénario : on peut trouver que celui-ci, à force de passer d'un genre à l'autre, a un peu tendance à gripper vers la fin du récit. Néanmoins, toute la première partie du métrage est aussi classique que fluide, même si la fameuse "main" se fait légèrement attendre. Elle n'apparaît en effet que dans la dernière demi-heure, durant laquelle le secrétaire Hilary, un homme fragile et passionné par les sciences occultes, va affronter la main coupée au cours de séquences d'anthologie, interprétées par un Peter Lorre au sommet de son talent et baignant dans une saisissante atmosphère surréaliste. Ces scènes ont recours à des effets spéciaux inégaux, alternant des moments époustouflants (la main coupée jouant du piano) et des plans bâclés (un comédien avec un pull noir promène sa main sur une table). Finalement, le mot de la fin sera laissé à une explication légèrement teintée de psychanalyse (ce qui était assez à la mode à cette époque), voyant un être rongé par la culpabilité sombrer dans la folie (cela évoque d'ailleurs un peu La maison du docteur Edwardes (1945) d'Alfred Hitchcock).

Notons que, même comparé à la performance époustouflante de Peter Lorre, le reste du casting ne démérite jamais. De même, le récit ne faiblit pas et n'ennuie jamais le spectateur, même si on regrette un peu le dénouement à la fois décevant et prévisible. La bête aux cinq doigts est un film d'horreur classique et globalement réussi, brillant notamment par la qualité de son interprétation et la solidité de sa réalisation élégante.

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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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