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Renfield se rend en Transylvanie pour vendre à un aristocrate étrange, le comte Dracula, une propriété dans les environs de Londres...



Le réalisateur allemand F.W. Murnau s'était inspiré su roman Dracula (publié en 1897) de Bram Stoker pour réaliser Nosferatu le vampire (1922), mais n'ayant les droits sur l'oeuvre originale n'ayant pas été payés, il n'était fait mention au générique ni du livre, ni de ses personnages, ni de son auteur. Puis, Dracula fût adapté officiellement avec beaucoup de succès au théâtre à partir de 1927 à New York. En 1931, la compagnie Universal achète les droits du roman et met sur pied ce Dracula, la première de ses grandes productions fantastiques parlantes. Au départ, il était question que ce soit le célèbre Lon Chaney (qui venait de jouer un vampire dans Londres après minuit (1927) de Tod Browning...) qui interprète le célèbre comte transylvanien, mais il décéda en 1930, à l'âge de 49 ans. Son réalisateur de prédilection, Tod Browning (L'inconnu (1927), La monstrueuse parade (1932)...) garda la direction de ce projet. Après avoir hésité longuement (on pensa à des comédiens comme Conrad Veidt (Le cabinet du docteur Caligari (1920)...), Paul Muni (Scarface (1932) de Howard Hawks...)...), le rôle de Dracula a été confié à Bela Lugosi, le comédien qui l'interprétait avec beaucoup de succès au théâtre.

Dracula a marqué un tournant fondamental dans l'histoire du cinéma fantastique américain. On se rappelle qu'en Allemagne, dans les années 20, on avait vu sortir de nombreux films étranges, caractérisés par une maîtrise tout à fait nouvelle des ambiances insolites et angoissantes. On y voyait apparaître des hypnotiseurs (Le cabinet du docteur Caligari (1921) de Robert Wiene...), des vampires (Nosferatu le vampire (1922)...), d'inquiétants personnages créés par des savants irresponsables (Le golem (1920) de Carl Boese et Paul Wegener ...), des musées de cire terrifiants (Le cabinet des figures de cire (1923) de Paul Leni...)... Les USA aussi on produit des films d'horreur à cette époque avec, notamment, les œuvres interprétées par Lon Chaney, "l'homme aux mille visages" : il incarne un Quasimodo monstrueux et très humain dans Notre-Dame de Paris (1923) de Wallace Worsley ; puis, il joue un autre personnage tragique dans Le fantôme de l'opéra (1925), véritable point de départ des films d'épouvante de la compagnie Universal. En 1927, il tient le rôle d'un vampire pour MGM dans Londres après minuit, film hélas perdu aujourd'hui. De son côté, le réalisateur allemand Paul Leni participe à l'introduction à Hollywood des éclairages et de l'atmosphère des œuvres expressionnistes allemandes avec un classique du cinéma de maison hantée : La volonté de mort (1927). La même année, Warner Bros présente Le chanteur de jazz (1927) d'Alan Crosland, premier film à proposer un système convaincant de reproduction du son synchronisé avec l'image : le cinéma parlant était né.

Dracula est donc la première grande production fantastique sonorisée de la Universal. Ce sera un énorme succès, entraînant aussitôt la mise en chantier par cette compagnie de Frankenstein (1931) de James Whale, tandis que la Paramount s'empresse de mettre en place le Docteur Jekyll et Mr Hyde (1931) de Mamoulian. C'est le début de l'âge d'or du cinéma fantastique hollywoodien : pendant cette décennie, on assistera à un déferlement ininterrompu de vampires (La marque du vampire (1935) de Tod Browning...), de savants fous (Frankenstein, Docteur X (1932) de Michael Curtiz...), de momies (La momie (1932) de Karl Freund...), de singes géants (King Kong (1933) de Merian C. Kooper et Ernest B. Schoedsack...), de morts-vivants (Les morts-vivants (1932) de Victor Halperin...), d'hommes invisibles (L'homme invisible (1933) de James Whale...), de loup-garous (Le monstre de Londres (1935) de Stuart Walker...)... Rapidement, dans de nombreuses suites, on rencontre même leurs familles (La fiancée de Frankenstein (1935) de James Whale, La fille de Dracula (1936)...) ! Pendant toutes ces années, les mythologies du cinéma fantastique vont s'ancrer profondément dans l'imaginaire du public du monde entier.

Le comte Dracula est interprété ici par Bela Lugosi, un comédien hongrois (on l'a vu par exemple dans Le crime du docteur Warren (1920), adaptation officieuse du roman Docteur Jekyll et Mr Hyde par Murnau) qui a fui l'Europe en 1921, suite à l'arrivée d'un régime politique assez dur dans son pays. Son interprétation de Dracula au théâtre à partir de 1927 connaît un grand succès, et il reprend ce rôle dans ce film. On le retrouvera alors dans de nombreuses autres productions d'horreur des années 30 (Double assassinat dans la rue Morgue (1932) de Robert Florey, Les morts-vivants, Le chat noir (1934) d'Edgar G. Ulmer, La marque du vampire (1935) de Tod Browning, Le loup-garou (1942)...). Mais il accompagnera aussi le déclin de ce genre à Hollywood, quand, dans les années 40, les parodies vont se multiplier (Deux nigauds rencontrent Frankenstein (1948)...). Il doit alors subir la pauvreté, et sa dépendance à la drogue (conséquence de graves blessures reçues durant la première guerre mondiale...) l'affecte de plus en plus. Dans les années 50, le réalisateur Ed Wood (Plan 9 from outer space (1958)...) sera pratiquement le seul à le faire tourner : leur amitié sera décrite dans le très beau Ed Wood (1994) de Tim Burton. Il meurt en 1956 et, en bon homme de spectacle, on l'enterre avec sa cape de Dracula. Il fera partie de ces quelques acteurs de légende (comme John Wayne, Marilyn Monroe, Bruce Lee ou James Dean) que le public associe sans distance à son personnage de cinéma. Même pour ceux qui n'ont pas forcément vu leurs films, Bela Lugosi et Boris Karloff (Frankenstein...) SONT le cinéma d'épouvante de Hollywood.

Ici, Dracula est un aristocrate très élégant, se conduisant en société selon les meilleurs usages. Personnage séduisant et charismatique, il est doué d'un magnétisme surhumain. Cet être majestueux est une grande nouveauté par rapport au petit vampire rabougri incarné par Max Schreck dans Nosferatu le vampire. Lugosi l'interprète avec une grande sobriété, jouant essentiellement sur la lenteur de ses déplacements théâtraux et sur son regard appuyé et fascinant. Les rares fois où Dracula parle (la seule puissance de son regard lui permet d'imposer sa volonté à ses serviteurs), il joue de son redoutable accent hongrois et d'une déclamation lente et inquiétante. Outre ses pouvoirs hypnotiques, Dracula possède la faculté de se changer en chauve-souris, en loup ou en un nuage de brume. Mort-vivant, il ne supporte pas la lumière du jour et doit se nourrir du sang des vivants qu'il traque impitoyablement, comme un terrible prédateur. Ce personnage dominateur a évidemment sa goule, Reinstein, pour lui servir de serviteur. Lorsqu'il arrive à Londres, Dracula s'éprend de la fille du directeur d'un asile psychiatrique et souhaite en faire sa compagne d'immortalité, quitte à l'arracher au règne des vivants et à son jeune fiancé, particulièrement falot. Dracula devra alors affronter le professeur Van Helsing, savant très au fait des secrets occultes, bien décidé à éliminer le comte de la surface de la terre.

Dracula impressionne avant tout par son atmosphère. On retrouve le goût des décors de studios somptueux de Le fantôme de l'opéra : les montagnes de Transylvanie, l'intérieur du château du comte, les cryptes sombres où il entrepose son cercueil... sont autant de décors gothiques étonnants, qui influenceront de nombreux classiques du cinéma fantastique, comme les films des compagnies Universal ou Hammer (Le cauchemar de Dracula (1958) de Terence Fisher...), le cinéma d'épouvante italien (Le masque du démon (1960) de Mario Bava...), ou The crow (1994) d'Alex Proyas ou de Batman (1989) de Tim Burton, avec leurs grandes cités sinistres. Comme il se doit, l'histoire se déroule dans une ambiance brumeuse, nocturne et pluvieuse, splendidement photographiée par Karl Freund : ce grand chef-opérateur (Le golem, Metropolis (1927) de Fritz Lang...) est un de ses nombreux allemands qui fuyaient les tragiques évènements de leur pays d'origine et apportaient à Hollywood les acquis de l'expressionnisme allemand en matière d'atmosphère. L'innovation va aussi venir de la bande-son : en 1931, le cinéma parlant est une invention récente, et son usage n'est pas encore vraiment codifié. Cela accentue l'ambiance tout à fait étrange de Dracula. Il y a extrêmement peu de musique, et la plupart des séquences sont plongées dans un silence tendu et angoissant, comme dans un cauchemar étouffant. L'usage de bruitages très nouveaux (grincements de portes, pleurs d'enfant, cris de femmes...) va servir de base au répertoire sonore du cinéma d'épouvante tel qu'on le connaît encore aujourd'hui. Un autre élément typique des productions fantastiques de la Universal et de ses concurrentes des années 30 est présent : le goût pour un certain exotisme. En effet, l'action de ces films ne prendra rarement place aux USA. On voyagera dans des pays "lointains" comme l'Egypte (La momie...), la France (Le fantôme de l'opéra, Double assassinat dans la rue Morgue...), l'Europe centrale (Frankenstein...) et la Grande-Bretagne (Docteur Jekyll et Mr Hyde...)... revus à travers le talent des décorateurs des usines à rêves (à cauchemars en l'occurence !) d'Hollywood.

La réalisation de Browning frappe par sa rigueur implacable et sa lenteur vénéneuse et déprimante. Il pèse sur ce Dracula une atmosphère de tristesse funèbre unique, mélancolique qui étreint le cœur comme seule la conscience de la mort peut le faire. On trouve aussi de singuliers éclairs de poésie macabre, notamment lors de l'inoubliable premier éveil du comte et de ses compagnes livides, vêtues de longues robes blanches flottant dans l'air glacial d'une vielle crypte malsaine ; ou lorsque, fascinée par le comte, Mila Seward se love lentement au cœur du manteau du vampire, qui referme sa cape sur elle comme sur une proie tendrement désirée. On regrette toutefois que, dans la seconde moitié, certaines séquences, privées de la présence magnétique de Bela Lugosi, soient un peu bavardes et ennuyeuses pour le spectateur de l'an 2000, qui n'a pas besoin qu'on lui explique dans le détail la mythologie vampirique.

De nombreux éléments de Dracula (décors, interprétation...) ont été maintes fois imités, jusqu'à devenir des clichés. Pourtant, on les retrouve et on les apprécie aujourd'hui dans leur fraîcheur originelle. Ce film bénéficie d'un romantisme funèbre et dépressif tout à fait unique. Il impose définitivement le personnage de Dracula comme un grand mythe du cinéma fantastique qui, aujourd'hui encore, continue à fasciner le public, comme l'ont prouvé les succès de Vampires (1998) de John Carpenter ou de Entretien avec un vampire (1994) de Neil Jordan.

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